Olivier Delacrétaz
Editorial
Les accords supranationaux, les réseaux des transports et des communications, de la finance et de l’énergie, des épidémies et de la pollution, de la criminalité et d’Interpol aplatissent les frontières et réduisent à peu de choses les différences de cultures et de mentalités qui caractérisent les peuples. Ces cultures se diluent en outre dans un flot continu de migrants qu’elles accueillent sans les assimiler.
En Suisse même, les mécanismes de la centralisation, c’est-à-dire de la mise au pas sociale et politique des Etats cantonaux, sévissent en permanence.
Pourquoi défendre encore le fédéralisme et l’indépendance de la Confédération? Pourquoi continuer à penser en termes de communauté politique, de nation historique, d’Etat souverain? Ne vaut-il pas mieux laisser faire les pesanteurs inévitables de la mondialisation, se recentrer sur soi-même, ses soucis et ses intérêts personnels, ses grillades dominicales, ses vacances et sa retraite?
Beaucoup le pensent, sans voir que, résistant au rouleau compresseur de la mondialisation, les nations s’obstinent à exister et à agir dans une perspective nationale. Les Etats-Unis, la France, l’Angleterre, l’Allemagne raisonnent en fonction de leurs intérêts à eux. Les BRICS, c’est-à-dire le Brésil, la Russie, les Indes, la Chine et l’Afrique du Sud, en font autant. En fait, la mondialisation a surtout pour effet de désarmer les petites communautés nationales face aux Etats les plus puissants.
Les partis prônant la défense de l’identité nationale ne cessent de s’étendre, indépendamment de la valeur individuelle de leurs chefs et de la valeur collective de leur programme. Cela aussi témoigne de ce que l’homme le plus moderne n’a rien perdu de son besoin vital d’appartenance communautaire. Même les jeunes des banlieues les plus déculturées tiennent à marquer leur appartenance à une identité collective, au travers de leur accoutrement, de leur vocabulaire, de leurs tatouages ou de leur numéro postal.
On avait espéré que l’abaissement puis la suppression des frontières politiques abaisseraient puis supprimeraient les frontières entre les hommes, apportant l’unité et la paix au monde. C’est le contraire qui semble se passer. Sous l’unité superficielle des normes techniques, des traités économiques mondiaux et des grandes institutions internationales, les divisions entre les peuples ne cessent de s’agrandir. Les cultures se disloquent, certaines disparaissent. Mais on ne voit rien qui annoncerait, même imperceptiblement, la naissance d’une civilisation mondiale de remplacement.
La porosité des frontières réclamée par tant de personnes bienveillantes a facilité l’extension des empires financiers, la multiplication des multinationales tentaculaires, des familles maffieuses, des bandes terroristes et des groupes de pression sans visage. Les membres de la «grande famille humaine» se déchirent à belles dents pour mille motifs raciaux, ethniques, religieux et pétroliers.
Le «village global» est en feu, voilà la réalité.
On nous dira que si la mondialisation est une tromperie, le passé des nations n’est pas immaculé non plus, que l’humanité y fut aussi écrasée plus souvent qu’à son tour. C’est peu contestable. Il reste que l’ordre, si relatif soit-il, des nations présente quelques avantages sur la globalisation tous azimuts.
D’abord, dans le cadre limité d’une culture nationale, avec une langue et des mœurs communes, le monde est plus lisible, les relations des personnes entre elles et avec la société peuvent s’approfondir dans la durée et cimenter le socle possible d’une paix sociale qui soit plus qu’une absence précaire de guerre.
En ce qui concerne le pouvoir de décision politique ou économique, il est bon qu’il soit autochtone et partage la culture du peuple sur lequel il s’exerce. S’il est bon, il le sera en pleine compréhension des désirs et des besoins du lieu. S’il est mauvais, son appartenance pourra en limiter ou en cadrer les nuisances. Et dans une certaine mesure, les frontières protègeront au moins les Etats voisins de sa malfaisance.
Enfin, face à l’extérieur, la multiplicité des Etats nationaux morcelle le mal. Elle relativise la fureur de la guerre totale en ralentissant son déploiement, en préservant, par l’obstacle des frontières gardées, des coins de paix ou de moindre affrontement. Dans la perspective mondialisante, au contraire, chaque guerre est grosse d’une guerre totale. Les pressions subies par la Suisse pour qu’elle participe aux sanctions antirusses, et quoi qu’on pense de celles-ci, sont exemplaires de ce processus d’amplification.
Nous croyons que les nations historiques préserveront l’avenir du monde mieux qu’un désordre planétaire qui s’accroît indéfiniment. Le souci de l’humanité passe par le souci de sa propre communauté nationale. Pour nous, c’est à la défense et à la mise en valeur du Pays de Vaud, Etat souverain membre de l’Alliance fédérale, que nous continuons de vouer tous nos soins.
Olivier Delacrétaz, La Nation, 8 septembre 2014
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