Comme la plupart des initiatives sur lesquelles nous prononcer, l’objectif n’est pas d’opérer des changements fondamentaux, mais augmenter les parts de marché électoral de la gauche ou de la droite du système. L’initiative de gauche sur une caisse publique unique n’échappe pas à cette règle. En face, on répète en boucle que le système actuel, « libéral », de concurrence entre 61 caisses donne entière satisfaction et peut être amélioré sur des points de détail (compensation des risques et transparence des réserves). Mais l’augmentation régulière et inexorable des primes fait douter qu’il y ait un pilote dans l’avion et que les Lois du Marché et de la concurrence s’appliquent bien à la gestion des maladies chroniques et garantissent une vraie solidarité. Depuis que l’assurance maladie est obligatoire (l’assurance de base) et que l’Etat garantit les coûts, une mentalité « casco complète » s’impose insidieusement, comme dans la gestion des dégâts automobiles. Le fait de devoir payer des primes incite certains à consommer des prestations, pour avoir l’illusion de rentrer partiellement dans leurs frais. L’augmentation de ces coûts est intégrée par l’assurance qui augmente ses primes. La responsabilité individuelle s’estompe, le gaspillage se justifie, les primes augmentent et la suspicion vis-à-vis des usagers consommateurs se généralise. Par ce processus, la plupart des soins, traitements, médicaments sont proposés à un prix qui s’éloigne de plus en plus à une prestation qu’on pourrait payer soi-même. Le remboursement est garanti et le nombre de citoyens qui obtiennent des subventions car ils ne peuvent même plus payer l’intégralité de leurs primes, augmente dangereusement, mettant aussi la solidarité à mal.
Même pour un esprit de droite, il est évident que la gestion des soins médicaux « lourds », hospitaliers et ambulatoires est une tâche de l’Etat qui doit garantir un niveau minimal de qualité pour tous. Pour cela, il faudra, un jour, encore plus découpler l’assurance de base, de celle, de qualité et de choix de confort pour ceux qui veulent et peuvent s’assurer en privé de manière complémentaire. Et se rapprocher sûrement d’un système à deux vitesses. Le compromis mélange actuel, public/privé a un effet d’amplification des coûts, car le confort, les soins rapides taillés sur mesure ne pourront plus indéfiniment gonfler les primes de la base obligatoire.
Parmi les modèles intéressants, celui de Singapour qui repose sur une épargne obligatoire permettant d’accumuler des réserves financières pour gérer sa santé de base au cours de toute sa vie, en ayant assez pour la sénescence où les pathologies médico-sociales augmentent. L’Etat garantit les soins hospitaliers lourds et les soins aux démunis. La responsabilité dans l’épargne est une attitude qui modère le recours à la « bobologie » anxieuse et au droit à la redistribution du capital santé par la gauche « sociétale ».Sans oublier la médecine préventive, qui soigne « à la louche » des maladies encore inexistantes.
Une caisse étatique qui garantisse des prestations raisonnables de base ? Pourquoi pas. Chiffrons les coûts, pour voir. Pourquoi une telle caisse ne serait-elle pas une offre à mettre en concurrence avec les caisses privées. Avoir une vaste palette de choix…Et pourquoi envisager aussi la liberté de ne pas s’assurer et jouir de sa responsabilité individuelle. Le système actuel n’offre pas de véritable concurrence et la seule alternative est de changer chaque année pour une caisse aux primes plus basses, qui devra aussi augmenter l’année suivante. Il n’y a plus de fidélisation de la clientèle qui est invitée à prendre des risques en choisissant des franchises élevées et obéir à la logique à court terme du meilleur marché dont on s’accommode quand on est en bonne santé. Et qu’on refuse quand on est malade (des soins rapides, garantis et de qualité). Et pourquoi ne pas envisager une alternative de nouveau mutualiste, de proximité, avec fidélisation réciproque (médecins, assurés, malades). Un vrai débat, des vraies alternatives et non pas un modèle flou qui rigidifie le modèle actuel qui n’est plus, depuis longtemps, satisfaisant. Alors…Voter oui pour faire accélérer l’issue prévisible de ce système ou voter non par peur du changement ? Un choix diabolique. Il reste un vaste chantier.
Dominique Baettig, 4 septembre 2014
“la seule alternative est de changer chaque année pour une caisse aux primes plus basses, qui devra aussi augmenter l’année suivante” ?
La réalité vous donne tort, Dominique. La caisse la moins chère reste la moins chère depuis de nombreuses années et souvent pendant que les médias de gauche, enfin les médias tout court, en font des tonnes sur les augmentations moyennes ou maximales, je n’ai pas d’augmentation du tout. Mais là-dessus silence radio des médias. Les trains qui arrivent à l’heure et la possibilité d’éviter ou de diminuer fortement certaines augmentations en choisissant la bonne caisse, toujours la même, ne les intéresse pas. Pas assez scandaleux et pas assez vendeur. Le seul moyen de juguler les augmentations de primes serait de juguler l’augmentation des coûts de la santé. Le système actuel est satisfaisant pour moi même s’il pourrait être amélioré avec une obligation de transparence. Le seul inconvénient de la liberté de choix c’est que chacun a aussi le choix de faire son propre malheur et que les masochistes semblent majoritaires en Suisse. Est-ce vraiment une raison pour obliger tout le monde à passer au communisme ? Pas pour moi. Chacun doit assumer ses choix. Si les Suisses voulaient vraiment une caisse unique ils iraient tous dans la caisse la moins chère et ils auraient une caisse unique bien gérée contrairement à celle des socialistes. Mais ils n’en veulent pas.
Une caisse étatique mais pas unique ? Bonne idée, ne serait-ce que pour voir le montant de ses primes, je fais le pari que ce ne seraient pas les moins chères, mais c’est justement ce que la gauche cherche à cacher aux votants.
“voter non par peur du changement” (qui est un slogan des partisans de la caisse unique) ?
Non, voter NON par peur d’une interdiction du changement (de caisse) et d’une augmentation inévitable des primes pour des centaines de milliers d’assurés qui comme moi sont dans les caisses moins chères que la moyenne (un fait qui a été admis par Pierre-Yves Maillard dans une interview au Temps).
@ Nicolas : qui est chargé de contrôler que les comptes des caisses ? Qui sait qu’elles ne séparent pas l’assurance de base des complémentaires (d’après vous !) ? Qui peut faire en sorte que les caisses respectent la LAMAL ? Ce sont les politiciens, de gauche comme de droite. Les mêmes qui veulent nous fourguer une caisse publique qui ne fera en aucun cas baisser les coûts de la santé.
Quant aux fichiers dont parle M. Bonnard, pensez-vous que cela changera avec une caisse publique ? Vous pensez que l’Etat va se gêner de créer des fichiers médicaux ?
Cette caisse publique ne résout aucun des problèmes actuels. C’est un emplâtre sur une jambe de bois. Une centralisation totalement inutile et qui va s’avérer au final très coûteuse.
D’ores et déjà merci aux suisses-allemands qui vont une fois de plus nous sauver la mise.
Intéressant point de vue que je partage en grande partie, tout en souhaitant y rajouter quelques remarques:
D’abord,comme le remarquait Pierre Lehmann, le niveau de santé d’un pays est mesuré par son contraire, les dépenses de santé, alors que la vraie santé ne coûte rien ou presque (activité physique, nourriture saine etc). Cette déviation sémantique est d’autant plus oubliée que “la santé” est devenue une grande industrie, y compris pour des maladies imaginaires comme de soi-disant troubles psychiques soigneusement entretenus. Voyez entre autres les caisses-maladies agiter la perte d’emplois contre la caisse unique…
Ensuite, il conviendrait de dénoncer haut et fort le gros scandale que constitue la construction discrète de bases de données médicales sur chaque individu, les caisses-maladies s’étant arrogées de facto le droit de tout savoir alors que la Lamal ne leur donne que celui de s’assurer qu’elles ne se font pas rouler. Garder des données ne leur étant pas explicitement interdit, elles le font, même si au final elles ne paient rien lorsqu’on n’atteint pas la franchise.
Même les résultats d’analyses y passent! Comme si les caisses-maladie devaient faire partie intégrante du secret médical qui est une base de la relation de confiance entre médecin et malade.
Sans illusions sur une baisse de primes apportée par la caisse publique, je voterai oui quand même, au moins pour qu’il soit enfin possible de piloter politiquement ce système, y compris sur l’aspect du secret médical.
Il faudra, un jour, encore plus découpler l’assurance de base de l’assurance privée. C’est la meilleure de la décennie! Ce “détail” qui figure pourtant dans la loi, n’a jamais été appliqué par les caisses. Un détail dont les implications se chiffrent au mieux en centaines de millions, mais plus probablement en milliards. Si les assureurs le respectaient comme ils sont tenus de le faire depuis l’application de la LaMal, les primes de l’assurance privée exploseraient. Ils ne se battraient pas bec et ongles pour conserver une assurance de base sensée ne leur apporter aucun bénéfice, autre “détail” stipulé dans la loi. Ceux qui prétendent que cela va changer sont d’une hypocrisie à vomir.
Très intéressant votre propos sur les assurances. Merci