Ce qu’il ne faut surtout pas ouvrir: un livre

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Noëlle Revaz, la Suissesse la plus attendue de cette rentrée littéraire, publie une satire du monde des livres, située dans un futur très proche. Cinglant et drôle.

"L'infini livre",
Noëlle Revaz, Ed. Zoe, 320 pages. Fr 29.50

Dans ce monde-là, on choisit ses amis sur catalogue. Quand on n'a pas de descendants, on peut toujours coller des stickers d'enfants géants sur les fenêtres pour faire illusion, cela fait tout aussi bien l'affaire. Et les écrivaines Jenna et Joanna se détestent, mais peu importe, les animateurs de la télévision les comparent immanquablement. Après tout, elles sont toutes les deux brunes. De toute façon, personne n'aurait l'idée d'ouvrir leurs livres. Les couvertures et la vie privée des auteurs, des people et des acteurs suffisent largement à nourrir la conversation sur les plateaux. Voici le monde de "L'infini livre", un roman aux personnages désincarnés et stéréotypés, à l'ironie mordante et à l'écriture simple mais inventive, qui comprend notamment un usage particulier des deux points. Le dernier roman de Noëlle Revaz, après l'oralité âpre de "Rapport aux bêtes", a un peu la froideur d'"Efina", et parle du danger de s'arrêter aux apparences.

"L'infini livre" est très critique envers les journalistes qui ne cessent de comparer les écrivains entre eux, au point d'évacuer leurs singularités. Vous ne comparez jamais les livres entre eux ?

Si, bien sûr. Mais l'étape de la réception ne devrait pas être escamotée. On a tendance à juger tout de suite que tel livre appartient à tel courant, tel style, à le ramener à autre chose. Dans mon roman, c'est une question de temporalité: tout doit être immédiat. Parce qu'on ne prend pas le temps d'approfondir, tout est aplati, réduit à sa surface, même les enfants peuvent être remplacés par des autocollants. Comme les écrivains et les livres, ils ne sont que des images. Le temps est compressé, il n'y a plus de durée, et on pense qu'ainsi on s'épargnera l'effort de devoir considérer ce dont on parle. C'est pour cela que beaucoup de scènes se ressemblent dans "L'infini livre". Tout le roman est écrit à l'imparfait, sauf les deux dernières phrases. Cela gomme le relief, met toutes les actions à égalité et plonge l'intrigue dans cette espèce de présent continu que j'essaie de décrire, où le temps ne se déroule pas. C'est une aventure immobile. Par ailleurs l'imparfait me permettait de faire beaucoup de mise en place et de descriptions, comme il se doit dans un livre d'anticipation.

Pourquoi avoir choisi de faire un livre d'anticipation?

J'avais envie de rêver, d'imaginer des possibilités. Un livre jamais ouvert, c'est quelque chose qui n'existe pas encore, mais qui nous pend au nez. Je ne voulais pas l'inscrire dans le présent, parce que je ne voulais pas forcément faire une critique directe, mais amener plutôt une réflexion par le biais de la fiction. L'anticipation donne de la liberté. Comme on quitte la réalité que l'on connaît, les lecteurs ne peuvent pas vérifier les faits. Mais il s'agit d'un futur qu'on voit en se mettant sur la pointe des pieds. Avec cet univers légèrement futuriste, j'avais envie de parler de ce comportement, de cet état d'esprit qui existe aujourd'hui, qui fait qu'on a tendance à tout simplifier, à parler de livres, d'art, ou aussi d'événements graves comme la guerre, sans prendre le temps de vraiment les considérer et de les connaître.

Comment l'idée des livres jamais ouverts vous est-elle venue?

Cette idée m'est venue lors d'une visite chez un ami, qui n'avait qu'un livre dans son salon. Ce livre avait l'air perdu chez lui, et je savais que cet ami n'avait jamais même imaginé l'ouvrir, alors que les livres me donnent tout de suite envie de fureter, de voir ce qu'il y a à l'intérieur. Cette image m'a permis d'aborder le sujet qui m'intéressait, de donner une direction à un premier jet que j'avais commencé il y a trois ou quatre ans, avec un personnage féminin qui regardait des animateurs à la télévision. Comme il s'agissait d'un livre d'anticipation à la langue assez simple, je pensais que ce serait un livre pour adolescents, et puis je me suis rendu compte que le sujet était un peu plus complexe.

Votre roman est très critique à l'égard des médias, mais aussi à l'égard des éditeurs.

Le personnage de l'éditeur dans mon livre illustre une tendance très commerciale. Tout le monde sait que l'édition est un business. Peu importe ce qu'on publie, pourvu que ça marche. Mais dès que Joanna et Jenna changent, découvrent leur intériorité, désirent écrire un vrai livre, et quittent leur rôle stéréotypé, leur éditeur change aussi. Forcément, lorsqu'on modifie un comportement, la réalité change autour de soi car on la regarde avec d'autres yeux.

Et vous avez justement changé d'éditeur pour "L'infini livre".

Oui, comme l'une de mes héroïnes et je suis très contente que ce roman soit publié chez Zoé.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE DE COULON

 

Extrait de: Source et auteur

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