Après bien des tergiversations, des indécisions, des délais d’attente (le Jura sera-t-il réunifié un jour, Moutier passera-t-elle de l’autre côté), la gouvernance politique jurassienne a jeté l’éponge, sans avoir jamais vraiment donné ni le soutien nécessaire, ni les moyens humains et financiers à une psychiatrie de proximité. A dire vrai, jamais le projet de construction d’une unité hospitalière intégrée à la médecine (une utopie moderne, inspirée de l’humaniste italien Basaglia, pratiquée en Suisse en particulier à Brigue mais aussi dans le canton de Berne) n’avait été vraiment soutenu et son fonctionnement expliqué. On y préférait une naïve alternative de type hôpital de jour pour patients chroniques, ce qui ne résoud pas les questions liées aux interventions urgentes et surtout aux soins dits « contraints » en psychiatrie. Or, c’est bien là que le bat blesse. A la différence des soins physiques (il y a quelques exceptions), l’obligation des soins en psychiatrie est une lourde et pénible réalité. Le droit de la protection de l’adulte, entré en vigueur le 1 janvier 2013 ne parle plus de « privation de liberté » à fin d’assistance mais de placement à fin d’assistance. Comme le dit si bien la juriste S. Hatam de Pro Mente Sana, l’obligation de se soigner, sous prétexte altruiste, est le nœud de douleur qui étrangle la psychiatrie parce que cette obligation s’est apparentée à des formes de répression sociale, politique, d’intolérance sociale ou d’émotivité disproportionnée. L’UHMP a été conçue, dans cette approche humaniste et moderne qui en faisait un lieu d’intervention multidisciplinaire (médical, psychiatrique, psychologique, social) de durée limitée. En se distançant des idéologies de soumission psychologique du style psychanalyse et en introduisant le modèle égalitaire et démocratique de la thérapie cognitive. Le retour ou le maintien à domicile étaient la priorité, de même que l’implication des thérapeutes extérieurs, psychiatres ambulatoires et médecins de famille qui connaissent les ressources positives de leurs clients et savent s’en occuper adéquatement sur le long terme. Or ce modèle, qui limitait d’emblée la durée de séjour n’a pas été accepté et compris par tous ceux (politiques, proches, services sociaux, médecins installés) qui vivent l’illusion de la faisabilité des contraintes de soins sur le long terme. Ceux qui croient, et ne veulent surtout pas trop savoir comment, qu’il est aisé d’enfermer, contraindre, faire prendre des médicaments et peut-être même occuper des patients qui ne collaborent pas, se bercent d’illusions. Les psychiatres expérimentés savent bien qu’on ne peut pas contraindre et que l’adhésion à un traitement psychothérapeutique ou médicamenteux prend du temps, du dialogue, de la confiance. Or le temps manque aujourd’hui. Tout est urgent, juridisme précautionneux, tout est émotions négatives, peurs, inquiétudes des proches, irritation face à des comportements imprévisibles ou énervants. Donc on fait pression on amplifie la crise, on croit que la contrainte urgente sera miraculeuse. Et ce n’est pas le cas. Les équipes soignantes en psychiatrie passent la plupart de leur temps à sécuriser, contrôler, se protéger de clients qui ne veulent rien, si ce n’est s’en aller, consommer des produits, affirmer leur liberté. Alors que l’ancien système qui faisait hospitaliser ailleurs (Bellelay, Préfargier) permettait de cultiver l’illusion des soins efficaces (enfermer, médicamenter, occuper), on voyait bien dans la cour de l’UHMP, au vu et au su de tout le monde, l’inanité et le non-sens de telles attentes. Tant qu’il y aura des soins contraints, l’échec et le coût humain (burn out) sera élevé. L’UHMP est morte de la saturation de situations contraintes, sans soutien politique et institutionnel, grillée dans une tâche qui n’était pas la sienne. Une psychiatrie moderne aujourd’hui ne peut pas non plus proposer un modèle de soins asilaires, éloignés du lieu de vie, centrée sur l’occupation en ateliers, l’ergothérapie, le paternalisme thérapeutique sur le modèle de l’approche du handicap mental.
Les politiques jurassiens qui ont fini par faire fermer une unité de soins aigus en psychiatrie ne peuvent pas cultiver l’illusion qu’on peut exporter à l’extérieur du canton de telles situations de double contrainte. Pourquoi d’ailleurs les autres institutions cantonales voisines s’accommoderaient-elles de soins que le Jura ne veut pas proposer. Tant que la Loi permet le placement contraint se posera la question de la définition, de l’adéquation et de la faisabilité de telles mesures. Du coût, de l’obligatoire soutien des institutions qui s’exposeront à cette tâche ingrate, aux soignants qui s’y épuiseront, entre le marteau et l’enclume de la détresse psychologique et la contrainte imposée par les proches, face à laquelle il faut être outillé et soutenu pour résister à la voie de la facilité.. Créer des institutions de soins qui doivent recourir à la contrainte n’est pas forcément une bonne affaire économique ou pour la renommée de l’Etat. Ceux qui, naïfs, ne voient dans l’avenir que des places de travail à créer déchanteront rapidement. Si le canton du Jura voulait rester vraiment progressiste, il réfléchirait à ne pas imposer des soins sur le long cours. Des soins aigus contraints peuvent être, sur le modèle médical somatique (avec des moyens d’anesthésie par exemple) appliqués en urgence. Mais jamais une contrainte durable ne sera efficace. Basaglia avait fermé les hôpitaux psychiatriques classiques, asilaires italiens en affirmant que les soins de crise relevaient des urgences hospitalières. Il avait développé les soins communautaires et le suivi à domicile. Ceux qui doivent « refonder » la psychiatrie devraient veiller à ce que les soins contraints et autres placement paternalistes et liberticides soient réduits et limités au strict minimum. Et non pas exportés par convenance personnelle à d’autres structures cantonales voisines. La contrainte doit être l’exception et non la règle. Allez, un peu de courage et d’esprit de pionnier, moins d’hypocrisie et de démagogie.
Dominique Baettig, ancien Conseiller national et médecin psychiatre de pratique libérale
17 août 2014
Le problème des psychiatres n’est rien d’autre que de ne pas vouloir savoir de qui ils sont les agents, de la personne privée, de la famille ou de la santé publique. Les politiciens ne savent pas et ne veulent pas savoir de quelle psychiatrie résolument sociale le canton a réellement besoin en termes de santé et de sécurité publiques !
Le problème des psychiatres n’est de ne pas vouloir savoir de qui ils sont les agents, de la personne privée, de la famille ou de la santé publique. Les politiciens ne savent pas et ne veulent pas savoir de quelle psychiatrie résolument sociale le canton a réellement besoin en termes de santé et de sécurité publiques !