Par Michel Gay.
On entend souvent dire qu’on ne sait pas quoi faire des déchets nucléaires. Bonne nouvelle : dans les faits, c’est faux.
Plus de 90 % des déchets radioactifs en volume sont aujourd’hui gérés de façon définitive dans plusieurs centres de stockage qui sont en service depuis de nombreuses années. Pour les 10% restants qui contiennent la majeure partie de la radioactivité, c’est-à-dire pour les déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue (HA et MA-VL), la solution reconnue internationalement comme sûre et pérenne depuis longtemps est le stockage définitif à grande profondeur (500 m), encore appelé « stockage géologique ».
Les éléments radioactifs ne remonteront éventuellement à la surface qu’après une période si longue que leur dangerosité aura disparu. Leur radioactivité décroît avec le temps et se confondra alors avec la radioactivité naturelle ambiante du sol. La croûte terrestre contient environ 3 grammes d’uranium par tonne et jusqu’à 20 g dans les régions granitiques en France (Massif central, Bretagne, Alpes). Les seuls obstacles aujourd’hui ne sont donc pas d’ordre technique ou scientifique mais d’ordre social, psychologique…et donc politique.
Des obstacles politiques
La France, depuis la loi « Birraux » de 2006, prépare ce stockage définitif à Bure (entre Meuse et Haute-Marne). En 2025, le gouvernement devra prendre des décisions qui relèvent de son pouvoir régalien pour autoriser ce type de stockage (définitif ou provisoirement réversible pendant une centaine d’années).
Demain, c’est-à-dire dans 50 ans ou plus, le stockage géologique pourrait être complété par la transmutation dans des réacteurs à neutrons rapides (surgénérateurs), ou dans des accélérateurs dédiés (ou une combinaison des deux) qui permettrait de consommer une partie des déchets dangereux actuels en les transmutant en produits peu ou pas radioactifs. Le stockage géologique recevrait les éléments restants. Le volume des déchets ultimes et le coût de leur gestion seraient ainsi diminués.
Actuellement, la totalité de l’électricité nucléaire, soit 75% de la production nationale, est produite par la fission d’un gramme d’uranium par Français et par an ! (60 tonnes d’uranium fissionnées par an pour 60 millions de Français, ce qui représentent moins de 4 mètres cubes). L’ensemble des déchets HA et MA-VL (donc comprenant aussi les gaines des combustibles) représente moins de 500 m3 après conditionnement dans des cylindres de verre et d’acier à la Hague. Et moins de 2000 m3 après avoir été revêtu des protections supplémentaires en béton pour le stockage géologique.
La deuxième erreur courante est de croire que ce stockage géologique ne serait pas financé. Bonne nouvelle : c’est encore faux. Le coût de ce stockage est provisionné. En France, il est inclus dans le prix du kWh3, presque le moins cher d’Europe, que chacun paie sur sa facture d’électricité.
La troisième erreur enfin, est de croire que le montant de notre facture d’électricité pourrait « s’envoler » si cette provision s’avérait insuffisante. Encore une bonne nouvelle : si le coût du stockage venait à doubler, l’électricité facturée aujourd’hui 13 c€/kWh augmenterait de moins de 0,3 c€/kWh4. De plus, heureusement, le coût actuel de cette indécision politique qui rallonge les délais de mise en stockage définitif, reste faible : moins de 0,1 c€/kWh sur la facture d’électricité du consommateur.
On peut rappeler que le prix du kWh est de 30 c€ en Allemagne pour les particuliers, en grande partie pour financer les subventions aux énergies renouvelables (« Energiewende« ) et leurs conséquences.
Les anti-nucléaires à la manœuvre
Pourquoi ces fausses croyances sont-elles si répandues ?
Principalement parce que des antinucléaires, habiles en communication, jouent sur les peurs des populations en agitant régulièrement des épouvantails bardés d’amalgames, de raisonnements biaisés et de mensonges. Ensuite, parce que l’humain peine naturellement à appréhender des temps longs comme 10.000 ans) et il se méfie de ce qu’il ne comprend pas. Il est donc réceptif aux peurs distillées régulièrement par les médias.
Pourquoi les gouvernements successifs ne prennent ils pas de décision ? Tout simplement parce que les « politiques » ne veulent pas ouvrir ce dossier sensible et que, sur le plan strictement technique…il n’y a pas d’urgence.
En effet, les déchets nucléaires vitrifiés conditionnés dans des cylindres d’acier doivent refroidir en surface pendant plusieurs dizaines d’années (au moins 60 ans et même unsiècle) avant d’être définitivement stockés. Plus ils refroidissent, plus sûr et moins cher sera le stockage des déchets dont le dégagement de chaleur constitue un facteur dimensionnant.
Les responsables politiques ne voient donc pas l’intérêt pour le moment de s’engager dans cette voie polémique et épineuse (il faudrait faire preuve de pédagogie) qui pourrait déplaire à certains électeurs potentiels…
Cette attitude « frileuse », encouragée par les antinucléaires, est cependant néfaste au développement du nucléaire car elle contribue à accréditer l’idée fausse « qu’on ne sait pas quoi faire des déchets nucléaires ». Il est plus surprenant que ni les adversaires du nucléaire, ni les responsables de ce stockage en profondeur ne semblent pressés de déclarer que la solution existe.
Les antinucléaires ont fait des déchets une arme contre le nucléaire et ils ne tiennent pas à ce que le problème des déchets soit résolu. C’est leur principal point d’appui pour justifier l’arrêt du nucléaire. L’objectif est de « constiper » la filière nucléaire pour qu’elle meurt d’une « occlusion intestinale ». Le raisonnement tient en quelques mots : « Puisqu’on ne sait pas quoi faire des déchets, il faut tout arrêter immédiatement ! ». Et une fois prise la décision politique de sortir du nucléaire, comme en Allemagne, on s’oriente comme par miracle vers une solution acceptable par les antinucléaires… qui est le stockage géologique combattu en France.
Les seconds voient là une source durable d’activités et de revenus en termes de recherches et de démonstrations…aidés en cela, involontairement, par les antinucléaires qui font durer la phase d’expérimentation. Prendre son temps permettrait peut-être aussi d’apaiser les craintes, d’optimiser la conception et d’améliorer « l’ingénierie » pour diminuer les coûts des travaux de réalisation.
Les tergiversations politiques sur le stockage définitif des 10 % restants de déchets nucléaires HA et MA-VL peuvent donc malheureusement durer encore jusqu’en…2025 car pour des raisons différentes, voire opposées, chacun semble y trouver son compte. Mais cet attentisme entretient une situation préjudiciable à l’essor économique. Ces incertitudes sont aussi porteuses de germes dangereux. Le manque de soutien des élus pourrait faire basculer insidieusement l’opinion publique vers un rejet du nucléaire ce qui reviendrait en France à se tirer une balle, non pas dans le pied, mais dans le genou, par ignorance.
Ainsi, même s’il n’y a pas d’urgence, il est temps que nos responsables politiques s’engagent franchement pour soutenir le stockage géologique. Ce revirement courageux mettrait un
terme à cet argument antinucléaire fallacieux qui sème le trouble dans les esprits et qui nuit à une adhésion populaire en faveur du nucléaire. Ce soutien affiché aurait le mérite de clarifier la situation et de fixer un cap énergétique stable pour le bien de nos entreprises qui attendent une énergie abondante et bon marché sur le long terme.Le stockage naturel des déchets existe depuis longtemps
Pour terminer avec une autre bonne nouvelle, il faut aussi savoir que le stockage naturel d’éléments radioactifs existe depuis…très longtemps ! Des concentrations naturelles d’éléments radioactifs, tels que l’uranium et le thorium, sont enfouies dans l’écorce terrestre depuis des milliards d’années.
Au Canada, le gisement de Cigar Lake dans la province de l’Athabasca est resté confiné sous 400 mètres de sédiments pendant plus d’un milliard d’années avant sa découverte. Mieux, au Gabon, dans le gisement d’Oklo, des réacteurs naturels découverts en 1972 se sont déclenchés il y a 1,7 milliards d’années. Ils ont « brûlé » (fissionné) de l’uranium pendant des milliers d’années en produisant plusieurs tonnes de déchets, dont le plutonium. Il n’y a pas eu de dispersion des déchets radioactifs dans le milieu naturel puisqu’on retrouve sur place les éléments ultimes, qui ne sont plus dangereux, de la désintégration des radioéléments issus du fonctionnement des réacteurs naturels.
On a ainsi découvert que la nature, seule, a su confiner des déchets nucléaires et les conserver plus d’un milliard d’années, bien après que le potentiel agressif de leur radioactivité ait disparu. L’homme, en ajoutant des connaissances et des techniques, peut confiner ses déchets nucléaires de manière sûre et pérenne. Il sait le faire aujourd’hui aussi bien, sinon mieux, que la nature pour assurer sa sécurité, son bien-être et son développement.
Conclusion
Le stockage géologique des déchets nucléaires ne présente aucun danger, ni pour nous, ni pour les générations suivantes. Il est d’un coût raisonnable et nous pouvons l’assumer financièrement. Nos élus doivent le comprendre et le dire pour rassurer les Français qui n’entendent et ne voient s’agiter que des antinucléaires dans les médias.
L’industrie nucléaire constitue incontestablement un atout pour la France. Elle représente un gisement de création d’emplois non délocalisables et une valeur importante pour l’économie française. La production massive d’électricité d’origine nucléaire est le seul moyen pour doter la France d’une politique énergétique efficace à long terme.
Des pays comme l’Espagne et l’Italie se sont fourvoyés dans l’éolien et le photovoltaïque. En Allemagne, le rêve fou d’une société sans nucléaire alimentée par le vent et le soleil commence à faire long feu. Après avoir dilapidé des milliards d’euros dans les énergies renouvelables, ce grand pays augmente de plus en plus sa consommation de charbon importé des États-Unis, de lignite (existant en abondance dans son sous-sol) et ses émissions de CO2. Sa « transition énergétique » visait le contraire…
Si nous laissons des antinucléaires dogmatiques et des esprits naïfs mal informés abuser et même affoler les Français par des mensonges et des amalgames, alors notre pays, qui n’extrait ni charbon ni gaz de son sous-sol, court à la catastrophe.
Sans un soutien affirmé du nucléaire en France, les industries nucléaires d’autres pays (Russie, USA, Chine, Inde,…) bénéficieront seules des retombées économiques et sociales de cet extraordinaire potentiel de croissance et d’emploi lié au développement actuel et futur de cette filière à travers le monde.
Grâce à l’énergie nucléaire qui est un formidable moyen de production d’énergie durable, sûr, massif et bon marché, le besoin en électricité de nos enfants est assuré pour des siècles… si enfin les « politiques » s’engagent résolument et clairement dans cette voie.
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Pour les annexes, télécharger la version PDF du fichier en suivant ce lien
- Annexe 1 : Circuit du combustible nucléaire en France et ses explications (7 pages pour mieux comprendre le circuit annuel du combustible nucléaire comprenant un recyclage partiel en France).
- Annexe 2 : Extraits (16 pages) du rapport de synthèse de l’inventaire national des matières et déchets radioactifs (L’INMDR 2012 est un rapport de 200 pages).
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Merci pour ce passionnant article!