Le retour des défenseurs du nucléaire sur le devant de la scène.

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL
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Dans le Journal de 7h du 12 août, RTS la 1ère annonce le retour des professionnels du nucléaire sur le devant de la scène. Pour réécouter (dès 3 min 05):

http://download-audio.rts.ch/la-1ere/programmes/le-journal-du-matin/2014/le-journal-du-matin_20140812_standard_le-journal-de-7h_9f4075a4-9545-4312-af6e-2dfcecbe2d62-128k.mp3

 

Les messages de Kettenreaktion (réaction en chaîne)

Les pro nucléaires reviennent sur le devant de la scène. Une association du nom de Kettenreaktion (réaction en chaîne), composée de scientifiques et de professionnels du secteur nucléaire, milite contre l’abandon des centrales nucléaires et espère retourner l’opinion publique. Le temps joue en faveur des pro nucléaires : plus Fukushima s’éloigne et plus les adversaires de la transition énergétique osent dire leur conviction.

Hanz-Rudolph Lutz est président de l’association Kettenreaktion. Ce physicien a été le 1er directeur de la centrale de Mühleberg. Interviewé il observe que :

o       dans tout le monde, seules l’Allemagne et la Suisse parlent de sortir du nucléaire

o       la majorité des médias ne sont pas objectifs : ils ne formulent aucune critique sur les limites des énergies alternatives et ne donnent pas d’information sérieuse sur la sécurité nucléaire.

o       un contrepoids est nécessaire

L’association Kettenreaktion a pour objectif de retourner l’opinion publique dans la perspective d’un référendum déjà annoncé contre l’abandon du nucléaire. Elle veut fédérer une grande coalition d’associations professionnelles et de partis politiques pour gagner ce référendum.  M. Lutz est optimiste : les Suisses ont voté déjà quatre fois et ont toujours refusé d’abandonner le nucléaire. Pour appuyer sa démarche, l’association Kettenreaktion vient de publier des annonces publicitaires pour un montant de 50'000 fr dans des journaux alémaniques.

 

Eclairage : le déséquilibre de l’information

L’information est doublement déséquilibrée.

D’un côté il y a une désinformation régulière par les partis et ONG opposés au nucléaire qui diabolisent au lieu de faire de l’analyse. Exemple récurrent : le slogan inlassablement répété selon lequel il n’y a pas de solution aux déchets radioactifs (alors que si la solution qui existe était appliquée pour les déchets dits « spéciaux », qui sont 100 fois plus volumineux et dont la durée de vie est illimitée (donc plus que longue), il n’y aurait pas les près de 40'000 sites contaminés suisses recensés par la Confédération pour ces déchets spéciaux. Il n’y a pas de sites contaminés par des déchets radioactifs des centrales : Bonfol n’a pas son équivalent nucléaire).

Bon, on peut admettre que cette exagération fasse partie du jeu politique et démocratique habituel. Oui, mais face à cette désinformation règne de l’autre côté une sous-information chronique de la part des divers milieux qui disposent des connaissances et des responsabilités : électriciens, hautes écoles, académies des sciences. Les électriciens parce que leurs conseils d’administration sont politisés : les actionnaires sont en grande majorité des collectivités publiques (cantons et communes) dont beaucoup de représentants sont issus de partis roses et verts. Les milieux scientifiques, écoles polytechniques et académies, dépendent fortement, pour  leurs budgets d’enseignement et de recherche, de financements décidés par le parlement fédéral. Et ils connaissent quelles sont les sympathies et pour quels projets les financements seront les plus généreux.

Dans ce contexte, les médias ne sont pas les seuls responsables du déséquilibre. Ils en sont d’abord le reflet. On pourrait attendre cependant un peu plus d’indépendance, d’investigation vraie et de courage : eux qui aspirent tant à jouer les justiciers et les redresseurs de tort, pourquoi un tel alignement sur les positions très idéologiques de quelques partis et ONG ?

Pour illustrer, le journal français La Croix a publié récemment un reportage sur une jeune scientifique et chercheuse française sur la sécurité nucléaire. Le lien de l'article c'est ici. Regardez cet article : pas de polémique, pas de militantisme, on explique juste la motivation et la vocation d’une jeune femme : qui a déjà vu un article équivalent dans nos médias ? Et pourtant, c’est sur la base de ce type d’information que le citoyen devrait pouvoir former son opinion.

 

Quelle confiance accorder à des scientifiques et des professionnels?

Il n’y a pas de réponse absolue à cette question. D’un côté on peut les voir comme un « lobby », étiquette qui devient encore plus connotée négativement si le lobby  est dit nucléaire. Des gens payés, vendus, … C’est pratiquement mission impossible pour n’importe quel professionnel de prouver son honnêteté. Et il est vrai aussi qu’il n’y a pas de collectivité parfaite a priori. Il y a cependant un point qui devrait retenir l’attention : ces professionnels portent une responsabilité. S’ils se trompent et que leur installation conduit à un accident et des dégâts pour la société,ils devront rendre des comptes devant un tribunal sûrement. À l’inverse les opposants ne porteront aucune responsabilité pour les inconvénients et les défaillances éventuelles des systèmes qu’ils vous ont proposés.

Il ne faut certes pas leur faire une confiance absolue aux professionnels. Mais une défiance aveugle ne serait pas la meilleure attitude. Ils doivent aussi être écoutés. Serait-il acceptable  de décider d’un système scolaire sans écouter un enseignant, ou d’une politique agricole sans prendre l’avis d’un agriculteur ? Tenir compte de la réalité du terrain est essentiel dans tous les secteurs d’activité. Les professionnels sont les mieux placés pour dire la réalité du terrain.

Enfin la dimension « scientifique » est importante dans cette profession. Cette dimension a aussi une double face. D’un côté il y a le risque de l’arrogance, de l’attitude de celui qui dirait « je suis le seul à (pouvoir) comprendre ». Mais en contrepoids il y a une exigence forte de modestie et d’humilité : un scientifique se méfie d’abord de lui-même et a un besoin profond de vérification. La question clef est : mon analyse, mon calcul, est-il le juste reflet de la réalité ou celle de mes intuitions ou de mes préférences subjectives ? Notre société, pourtant très marquée par les apports de la science et de la technique, ne manifeste pas tous les jours et dans tous les secteurs cette attitude de modestie et de vérification scientifique vis-à-vis de ses croyances et préférences.

 

Jean-François Dupont, 14-08-2014

 

 

 

10 commentaires

  1. Posté par Christian Favre le

    http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/forum/6068866-presente-par-mehmet-gultas-23-08-2014.html?f=player/popup
    Là vous allez directement à l’instant 52min 53 sec et vous apprenez donc que l’assemblée communale de la Punt, dans les Grisons, renonce à accorder l’autorisation de construire une centrale hydraulique. La raison évoquée est qu’elle dérangerait des gypaètes barbus. ça c’est nouveau…des éoliennes qui dérangeraient des oiseaux, c’est explicable, un barrage + une conduite forcée + une usine qui dérangeraient des poissons aussi, par contre des oiseaux, là franchement j’aimerais bien que l’on me cite un cas. Bien sûr il y a les travaux qui pousseraient les volatiles à se déplacer un brin.

  2. Posté par Christian Favre le

    Au vu de ce qui se présente actuellement:
    1. Focalisation sur les économies des ménages, voir dernière revue de l’OFEN http://www.bfe.admin.ch/themen/00612/00620/index.html?lang=fr&dossier_id=06080
    2. Fortes oppositions (avec succès) à l’extension de l’hydraulique des associations de l’environnement
    3. Pas de soutien de l’État aux entreprises novatrices comme Flexell à Yverdon
    4. Illusion quant aux chiffres et aux possibilités, par exemple pas un mot sur l’augmentation de cadence des trains
    Bref il est clair que nos sociétés se sont bâties sur le nucléaire et sortir du nucléaire demanderait une toute autre approche et des moyens 100 fois plus importants. Ce qui risque d’arriver c’est que l’on va couvrir le Plateau et les crêtes du Jura d’éoliennes tout en constatant qu’il nous manquera alors de stockage et d’énergie de base assuré actuellement par l’hydraulique et le nucléaire. Donc sans nucléaire et sans extension de l’hydraulique c’est tout simplement impossible.
    Pour démontrer le contraire il faut des chiffres clairs démontrant le fonctionnement du réseau avec les 60% actuel d’hydraulique et les 40% avec solaire, éolien et stockage de ces énergies aléatoires. Ainsi que le coût global.
    Donc au vu de ce qui se passe et des continuelles oppositions à l’extension de l’hydraulique je voterai contre la sortie du nucléaire. C’est quand la votation ?
    J’ajoute que je suis totalement ouvert à une démonstration me prouvant que j’ai tort…J’attends.
    Ce qui risque hélas d’arriver c’est que l’on commencera à débattre lorsque ce sera trop tard…

  3. Posté par Jean-François Dupont le

    Le fond du problème, et ses solutions, à savoir le bon fonctionnement entre décideurs et experts a été remarquablement analysé par Yves Bréchet de l’Académie des sciences française dans une conférence à lire sur:
    http://www.asmp.fr/travaux/colloques/2011_11_28_brechet.pdf
    Malheureusement même une partie du monde scientifique semble d’avantage inspirée par ses propres préférences (et intérêts) que par la recherche objective de la réalité. Comme M. Christian Favre je trouve: “…regrettable, très regrettable que les ingénieurs ne s’investissent pas dans ce débat de très grande importance… “. Concernant l’hydraulique, il semble qu’une analyse très sérieuse du potentiel encore exploitable a été faite par Elekrowatt et le prof. EPFL Anton Schleiss, il y a déjà quelques années. Résultats: une augmentation serait au maximum autour de 5 % de la production totale d’électricité en Suisse. De plus, il semble que l’augmentation des débits minimaux non turbinés, prévue par une modification de la loi sur la protection des eaux, réduira progressivement (la nouvelle loi s’applique dès le renouvellement des concessions hydrauliques) la production d’autant, même de légèrement plus.
    Concernant le pompage-turbinage on a beaucoup exagéré son potentiel: un ami spécialiste des mouvements d’énergie dans l’ex EOS a évalué que pour stocker une quantité d’énergie intermittente éolienne ou solaire qui remplacerait le nucléaire suisse, il faudrait 20 fois le volume du barrage des Grande-Dixence. Le projet de Nant de Dranse (dans le complexe d’Emosson) correspond à un dixième du volume du lac de Grande-Dixence. Aujourd’hui la réalité technique est que les énergies renouvelables (yc l’hydraulique) et les économies d’énergies à elles seules ne sont pas en mesure de stabiliser notre consommation d’énergies fossiles, et encore moins de la réduire. L’abandon du nucléaire conduit inéluctablement à une augmentation de la consommation de charbon, de mazout et de gaz. C’est plus cher et plus polluant.

  4. Posté par Christian Favre le

    Merci…il existe d’ailleurs un lien entre l’enseignement de l’histoire suisse et la gestion de l’énergie: l’abandon de la droite toujours et encore obnubilée par ses banques chéries, pour le reste…
    La droite est majoritaire depuis toujours en Suisse et laisser, comme elle l’a fait, la responsabilité d’un département tel que le Detec à des personnes n’ayant aucune connaissance technique, c’est déléguer les prises de décisions aux avis des fonctionnaires et cela est une aberration. A titre d’exemple la droite vaudoise a un Conseiller d’état chargé de la finance qui est lui même un expert en la matière et…oh miracle ça fonctionne !
    http://www.uvek.admin.ch/dokumentation/00474/00492/index.html?lang=fr&msg-id=54091
    L’option actuelle est absolument limpide: subventionner à fond le solaire et l’éolien et utiliser l’hydraulique uniquement comme stabilisateur, donc aucun grand projet d’augmentation de production hydraulique.
    Politique nulle à souhait, politique de l’arrosoir: on subventionne même les riches donc on gaspille encore et toujours l’argent utile à des projets de réelles substitutions du nucléaire puisque c’est ce qui a été décidé.

  5. Posté par Jean-François Dupont le

    je corrige mon commentaire précédent: il faut lire Dreyfus à la place de Pétain. Milles excuses

  6. Posté par Jean-François Dupont le

    À M. Christian Favre. J’apprécie beaucoup vos commentaires et votre lucidité. J’ai mis votre nom dans le moteur de recherche des Obs. et je suis tombé sur plusieurs références des plus passionnantes, dont celle-ci: http://www.lesobservateurs.ch/2013/12/21/la-suisse-et-la-2e-guerre-mondiale-partie-ii/
    Vous êtes à Pilet-Golaz ce que Zola a été à Pétain. Cet éclairage était complètement nouveau pour moi et je vous en remercie vivement. Par ailleurs, Suzette Sandoz vous rend un bel hommage avvec cet autre article sur Les Obs.: http://www.lesobservateurs.ch/2012/08/20/un-antidote-passionnant-au-rapport-bergier/
    Bravo et merci. C’est une autre controverse que l’énergie, mais cela fait aussi partie des (bonnes) surprises et du charme d’Internet. Et il y a quelque chose en commun entre les deux controverses: un certain écart entre la réalité du terrain et ce qu’en disent beau coup de médias et certains politiques.

  7. Posté par Böse Birgitt le

    Décidément TOUT ce que le peuple demande finit pas passer à la trappe…

  8. Posté par Christian Favre le

    Il est regrettable, très regrettable que les ingénieurs, universitaires ou non comme je le suis, ne s’investissent pas dans ce débat de très grande importance pour l’avenir et l’indépendance énergétique tout à fait réalisable du pays. Comme c’est le cas en histoire, on déteste les débats en Suisse…quelle tristesse.

  9. Posté par Christian Favre le

    On devrait distinguer plusieurs situations. Un écologiste me recommande d’utiliser le train au lieu de la voiture pour me rendre en Normandie. On comprend bien qu’il est en effet plus écologique, question de consommation d’énergie, d’utiliser le train au lieu de la voiture. Cela étant, la principale chose qui distingue un train français d’un sous-marin nucléaire est le milieu ou chacun évolue, pour le reste les deux fonctionnent au nucléaire et l’écologiste serait bien en mal de trouver actuellement une autre source en France.
    Mais pour la Suisse c’est différent, le nucléaire représente le 40% de la production électrique le reste provient de l’hydraulique. Or la topologie et la météorologie suisse est extrêmement encore favorable à l’hydraulique. Malheureusement les options choisies par les électriciens ces dernières années, à savoir les centaines de millions engloutis non pas dans l’augmentation de production mais uniquement dans la puissance sensée rapporter gros ont été une erreur. On sait ce qu’il en est advenu avec la concurrence nordique du solaire et du charbon. Cette option était fausse et si nos politiciens avaient eu la bonne idée de nommer un véritable chef à la tête du Detec, soit dans ce cas un ingénieur électricien capable d’anticipation, sûr que l’on aurait évité ces erreurs. Ces erreurs sont encore innombrables, pensons au 40 millions des SIG gaspillés en frais d’études inutiles ! J’ajoute encore que l’on ferait bien aujourd’hui de songer aux conséquences de la disparition des glaciers, véritables régulateurs des débits de rivières et à mon avis il serait très judicieux de songer à construire de nouveaux barrages permettant de maîtriser l’effet entonnoir laissé par la disparition d’un glacier. Régulation de crues, réserves d’eau potable et production d’électricité. Les écologistes en présentant toujours uniquement des situations critiques à l’hydraulique, comme celle de l’Orbe, refusent d’accepter le fait que l’on peut encore beaucoup turbiner en Suisse, sans dégâts écologiques. Ajoutés à cela d’autres technologies, comme l’hydrogène (vecteur d’énergie et production décentralisée utile au transport, générateur électrique et chauffage), la pyrolyse du bois, le bio-gaz, la géothermie, le solaire et quelques éoliennes, la Suisse a tout pour sortir du nucléaire mais pour cela il faut aussi sortir les milliards comme pour les banques.
    J’ajoute tout de même qu’il est incroyable de décider de sortir du nucléaire pour des raisons écologiques et d’accepter en même temps d’importer de l’énergie sale bon marché pénalisant gravement les nouveaux projets hydrauliques.

  10. Posté par Alain le

    La Belgique a aussi programmé la sortie du nucléaire mais c’est aussi remis en cause dans le cadre des négociation pour un nouveau gouvernement

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