Nous ne pouvons pas nous empêcher de chercher des causes à ce qui nous arrive. L'histoire humaine est si tragique que nous voulons des explications pour tous les événements. Cela nous rassure. Nous espérons, grâce à ces explications, pouvoir maîtriser l'avenir et éviter les catastrophes. C'est en partie une illusion, mais comment y renoncer ? A moins d'aimer les catastrophes...
Après une thèse sur les systèmes totalitaires liés à la pensée politique de Rousseau,[1] j'ai longtemps dénoncé des idéologies qui, à gauche et à droite, me paraissaient perverses. Je ne crois pas avoir eu tort, mais je me trompais sur un point. J'estimais que par cette dénonciation, j'indiquais un chemin grâce auquel nous pourrions éviter le mal ou le malheur. C'était de l'orgueil. Pour qui donc me prenais-je, à m'estimer capable de montrer le droit chemin à l'humanité ?
Aujourd'hui, je sais que le mal est comme l'Hydre de Lerne, ce monstre à neuf têtes, combattu par Hercule. A chaque fois qu'il coupait une tête, une autre repoussait. Ce n'est pas parce que nous avons coupé la tête du monstre nazi ou communiste que nous avons préparé un avenir meilleur. Il faut le savoir et, une fois qu'on le sait, on peut se remettre à chercher les causes du mal, avec humilité, c'est à dire sans s'imaginer qu'on va sauver l'humanité.
Si nous nous mettons à chercher humblement des causes à ce qui arrive dans l'histoire, alors nous avons une chance de contribuer modestement à éviter le pire. Et ce n'est certainement pas vers l'économie qu'il faut se tourner en premier pour mieux comprendre ce qui nous motive. Car ce qu'on découvre tout d'abord, c'est que l'identitaire est beaucoup plus important que le PIB, la croissance ou le chômage. Personne n'est prêt à mourir pour le PIB. Mais mourir pour une patrie, des peuples entiers sont prêts à le faire, comme nous le rappellent aujourd'hui les commémorations de la Première guerre mondiale.
Jusqu'à la fin du 20eme siècle, on trouvait des ouvrages expliquant l'avènement de Hitler par la crise économique de 1929. Aujourd'hui, on doit se frotter les yeux lorsqu'on prend connaissance de cette délirante explication. Elle s'enracinait dans un mouvement intellectuel visant à réduire l'être humain à un homo economicus. Si l'homme n'est plus qu'un être de besoins, tout s'éclaire. Il est dangereux et grogne comme un chien méchant lorsque ses besoins ne sont plus satisfaits, pacifique et béat lorsqu'ils le sont. Et s'ils le sont pour tous les habitants de la terre, on entre dans une ère de paix universelle et planétaire. Le mythe de la mondialisation trouve ici son origine. Il a suscité et suscite encore l'enthousiasme. Pensez ! Plus de conflits grâce à une redistribution équitable des richesses ! Pathétique espoir.
Ce mouvement de réduction de tout et de tous à l’économie, Dieu merci, s'essouffle aujourd'hui, malgré le succès d'un Thomas Piketty, acharné à expliquer le comportement des hommes par le niveau de leurs revenus et les inégalités manifestées dans ces revenus. Quant à d'autres explications censées révéler les mécanismes du comportement humain comme celles de Maslow, Skinner ou Pavlov, elles ont pratiquement disparu et l'on ne peut que s'en réjouir.
L'impossibilité d'expliquer les actes terroristes par référence à la pauvreté économique des acteurs a aussi joué un rôle. Ces actes ne peuvent plus être insérés dans le schéma de l'homo economicus retroussant les babines lorsque son revenu est trop maigre. Nombre d'attentats ont été accomplis par des individus bien nourris, de bonne famille et bien éduqués. Avant l'économie, il y a les passions identitaires. Certains, s'appuyant sur une psychologie de bazar, croient pouvoir « désendoctriner » les jeunes attirés par l'islamisme, mais ils ne convainquent pas. Les explications simplistes prétendant expliquer les comportements humains à partir de quelque modèle économique ou psychologique, sont pratiquement discréditées. Pour autant, nous peinons encore à regarder en face l'identitaire, comme en témoigne le brouhaha autour du dernier livre d'Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse.
Pourquoi est-ce si difficile de regarder en face les passions identitaires et, dans une certaine mesure, de les comprendre ?
C'est qu'à les prendre au sérieux, on remet en question deux mythes fondateur de la modernité : l'individualisme et la raison. Nous voulons nous comprendre comme des individus autonomes et rationnels. C'est notre foi. Or l'identitaire nous emporte au-delà de nous-mêmes, au-delà de sages décisions, même au-delà de notre propre intérêt. Un individu emporté par le souffle d'une communauté peut en arriver à ne même plus craindre sa propre mort, comme en témoignent toutes les guerres, justes ou injustes.
L'identitaire, c'est se sentir lié à un groupe, appartenir à une communauté, repérer des amis et des ennemis comme cela se faisait hier avec les guerres et comme se fait maintenant et pour l’instant en Occident avec les clubs de football, en Orient avec Al Qaïda.
L'identitaire emporte au-delà de soi-même, et c'est très excitant. Dans ses formes extrêmes, l'identitaire est comme une drogue et il faut donc prendre garde. Mais il est aussi nécessaire. Que suis-je, réduit à moi-même, sinon une chose qui, pour reprendre une formulation de Hannah Arendt, vivote dans l'insignifiance de sa vie privée ?[2]
L'identitaire est partout autour de nous sous une forme larvée. Dans les stades de football, comme j'ai dit. Mais aussi chez les aoûtiens qui, même devant des bouchons d'un millier de kilomètres sur l'autoroute du soleil, continuent à sourire. C'est si agréable de se sentir partie prenante d'une grande migration vers le Sud ! C'est comme d'être pris dans un grand mouvement vers quelque champ d'honneur. Or un champ d'honneur, c'est parfois un cimetière, pour les corps des soldats comme pour l’âme des touristes.
Jan Marejko, 6 août 2014
[1] Jean-Jacques Rousseau et la dérive totalitaire, Lausanne: L'Age d'Homme, 1984
[2]Même Stefan Zweig, écrivain profond, subtil et hostile à la guerre, n’a pu résister à l’enthousiasme qu’a suscité en lui et autour de lui, l’entrée en guerre de l’Allemagne en 1914. « Chaque individu, écrit-il, éprouvait un élargissement de son moi, il n’était plus l’homme isolé de naguère, il était incorporé à une masse, et sa personne jusqu’alors insignifiante prenait un sens. » Le monde d’hier : souvenirs d’un Européen, Paris : Belfond, 1982, p.263. Des témoignages semblables abondent en France et en Allemagne. De cela, on ne parle pas dans les commémorations autour de 1914. Ce ne serait pas correct.
Sujet peu facile mais captivant.
Sous prétexte que l’individualisme serait la source des maux de l’occident les gens orientés à gauche prennent une posture soi-disant morale pour le dénoncer.
C’est K. Popper qui a mis en évidence la grande confusion qui est faite, souvent à dessein, de mélanger deux paires de concepts qui n’ont rien à voir entre eux:
Collectivisme Individualisme
Altruisme Égoïsme
Le premier concerne l’organisation d’une société, de l’état.
Le second est lié au caractère d’une personne.
Une bonne tactique gauchisante est de dénoncer le mauvais égoïste pour ensuite démontrer qu’il faut une gouvernance centralisée.
Rousseau a bien sûr contribué au totalitarisme collectiviste, en cela il est un digne successeur de Platon et prédécesseur de Hegel et Marx.
Incroyable! Mais comment le dire? Et par où commencer? Il y a tant à dire, pour montrer que la question d’identité est au cœur de ce qui est nommé “le péché originel”! Dont tous parlent mais que nul ne connaît! Voyons, si vous le voulez bien, l’affirmation du serpent -qui n’en est pas un mais c’est une autre histoire – “le jour où tu en mangeras tu “sera comme” Dieu, connaissant le bien et le mal”! Il faudrait que je partage ce que j’ai reçu quand à la notion que nous avons de “bien et mal”, mais ce sera pour plus tard. Bien qu’elle ait un rapport étroit avec l’idée de maîtrise, que Monsieur Marejko met en évidence. Donc “tu seras comme” associe l’être et la ressemblance! Dans le cas du mythe, on prête à Dieu des facultés qu’il n’a pas. C’est le même type de relation qu’on a avec les idoles. Des facultés qu’il n’a pas, le Tout-puissant et omniscient? Eh bien non! C’est même écrit dans les premiers versets du mythe, de la Genèse. J’y reviendrai le moment venu. Mais allons au désert, où Israël pérégrinations. Le leader est sur la montagne. La seule référence est absente. C’est le comble du vide insupportable, nous ne sommes rien! Fais nous un veau, un Dieu qui marchera devant nous! Et ils donnent leur or, et Aaron coule dans un moule, “et il en est sorti ça” dira-t-il à Moïse. Ils ont foiré, mais la marche continue. Comme aujourd’hui.
Pour m’acheminer vers une conclusion je dirai que le verbe être est sous-entendu en hébreu. Donc “je” signifie “je suis”. Mais vous pouvez lire “je EST”. Si donc vous lisez “Je EST chemin, vérité et vie” la phrase prend une autre tournure. Sachez encore que les lettres constituant, en hébreu, je, ANI, donnent une fois permutées, AIN. AÏN signifie “néant”! Et nul n’en fera l’économie!
Ce sera tout.