En 2003, la RTS m'interviewait pour avoir mon avis sur l'intervention militaire en Irak. Normal, j'étais le seul intellectuel suisse romand à ne pas être offusqué par cette intervention et à le dire dans l'espace public (en privé, c'était autre chose…). Je trouvais même obscènes les cris d'orfraie poussés par les bien-pensants devant cette intervention. Après tout, il y avait un tyran en Irak.
Avant-hier dans un restaurant genevois, une table de Kurdes près de la mienne. Je leur demande ce qu'ils pensent de cette intervention. Ils sont unanimes à dire que c'était une bonne chose. Hier, dans le train, un Irakien engage la conversation avec moi. Même réaction à la même question. Son pays a été libéré d'une brute sanguinaire. Je ne suis pas surpris. En 2003, la RTS avait un correspondant à Bagdad, Roger Auque, qui disait déjà la même chose.[i] Ce qui me surprend aujourd'hui, c'est la puissance de la doxa à l'époque. Moi-même, je me demandais parfois si je ne m'étais pas égaré en refusant de me joindre au chœur des pleureuses ou des hurleurs qui dénonçaient l'Amérique.
Et puis, avant-hier matin encore, la presse nous annonce que des jeunes socialistes suisses veulent supprimer le drapeau suisse lors de la fête du premier août. Ce drapeau favoriserait les pulsions identitaires, transformerait le patriotisme en nationalisme, conduirait donc à la violence puis à la guerre. Je réalise aujourd'hui que ce n'était pas seulement l'Amérique qui était dénoncée en 2003, mais tout usage de la force sur la scène internationale. Même la Suisse est maintenant soupçonnée par un Carlo Sommaruga d'être capable d'un tel usage. Il faut donc la rendre aussi impuissante que possible. La paix par la castration.
Le triste Carlo et les jeunes socialistes se contentent d'appliquer un modèle si simpliste qu'il abrutit l'esprit. Si le patriotisme était de la graine de violence, il faudrait condamner d'un bloc les résistants au nazisme, l'attitude d'Israël et bien entendu, celle de Guillaume Tell et ce tous les Suisses pour qui il a été une source d’inspiration. Quand on s'est arrêté de penser, on ne fait plus dans la dentelle.
La volonté de pacifier la planète en éliminant la violence ne date pas d'aujourd'hui. Aux plus belles heures du communisme, les congrès pour la paix abondaient.[ii] De nombreux intellectuels occidentaux s'y précipitaient pour étaler la pureté de leur cœur. Même Einstein, malgré toute son intelligence, les a honorés de sa présence.[iii]
Quand la violence est déclarée source du mal dans le monde, les écluses de la bêtise s'ouvrent toute grandes. Le mal, lorsqu'on croit l'avoir circonscrit pour l'éliminer, a en effet pour propriété de rendre aveugle et fou. Robespierre a commencé par condamner la peine de mort pour achever sa carrière politique dans le sang de la guillotine. De même, les pacifistes, en poursuivant l'utopie d'un monde sans violence, amènent la guerre, comme la nuée l'orage.
On demandera pourquoi. Inutile de répondre à cette question. Mieux vaut la méditer seul et en silence. Tout ne peut pas être expliqué, surtout pas le mal. On ne peut que lutter contre lui, pas à pas, sans même l'espoir d'une victoire finale.
Jan Marejko, 31 juillet 2014
[i]« Désirer la défaite de la démocratie américaine, aussi imparfaite soit-elle, face au dictateur qui a assassiné des centaines milliers de personnes, constitue une véritable hérésie. » Roger Auque, OTAGES : De Beyrouth a Bagdad - Journal d’un correspondant de guerre, Editions Anne Carrière, Paris. 2005, p.128.
[ii]Ces congrès pour la paix avaient parfois une vertu. Ils dessillaient les yeux d’intellectuels acquis à la cause du socialisme ou du communisme. Par exemple, Sidney Hook qui le raconte dans Out of Step: An Unquiet Life In The 20th Century, New York: Harper & Row, 1987.
[iii]« Einstein made radio broadcasts, or was relayed by telephone from his Princeton home to whatever pro-peace meeting had asked for his presence. » Tiré de Peace Pledge Union, http://www.ppu.org.uk/people/einstein.html.
D’accord avec P-H. Reymond !
Je me souviens d’avoir vu en direct à la séance du Conseil de sécurité de l’ONU où le Secrétaire d’état Colin Powell, l’air très gêné, présentait des preuves si mal faites, dignes des pieds nickelés, et des évidences si peu probantes que cela m’a fait immédiatement mal pour lui, que jusqu’alors je tenais pour un honnête homme.
Des dictatures tyranniques sont tombées. D’autres viennent qu’il faudra faire aussi tomber. C’est toujours une justification nécessaire, mais pour qu’elle soit suffisante il faut un plan pour après la victoire, une alternative viable et meilleure que le mal que l’on dénonce.
Ce n’a pas été le cas ni en Afghanistan, ni en Irak (même si certains Kurdes ont sorti des marrons du feu), ni en Libye. Et en Syrie on a enfin compris qu’on ne savait pas comment faire, comme en Somalie, au Yémen, en Corée du Nord ou à Cuba, ce qui n’est pas non plus encourageant.
À propos des pacifistes moralisateurs: c’est je crois Nietzsche qui a dit qu’il n’y a pas plus menteur qu’un homme indigné.
Cher Jan Marejko, « il y avait un tyran sanguinaire » dites-vous. Et maintenant, combien y en a-t-il? Par ailleurs ce que je retiens des arguments fondateurs de l’intervention était en premier lieu les armes de destruction massive. Alors que le moindre pilier de bistrot était à même de savoir que Saddam était un Rodomont! Et ce depuis les 25 Scuds lancés sur Israël en 1991. Dont 22 ont été détruits en vol par des missiles patriots, deux sont tombés dans des terrains vagues et le dernier a causé trois morts. Mais revenons sur cette guerre pour la paix, pour éliminer un tyran sanguinaire et amener la démocratie. Elle aurait pris une autre tournure si l’on n’avait pas traité Rafsandjani et Khatami comme la cinquième roue du char. J’ai vu et entendu leurs témoignages, et les tiens à la disposition de qui souhaite en prendre connaissance.
Alors cette intervention que vous approuviez alors n’a pas amené la paix, pas plus que la castration. Savez vous qu’en hébreu il y un rapport entre « paix » et « payer »? Que j’entend alors par « compléter », « maintenir l’équilibre ».
Pourquoi donc, si l’identité suisse leur paraît aussi dévalorisante, le jeunes socialistes ne la récuseraient-t-ils pas pour choisir un passeport à la mesure de leur respect et de leurs aspirations humanistes: Hamas, Est-Ukrainien, voire une des factions libyennes pour ne citer que quelques exemples?
Monsieur Marejko, pour ma part ce qui a été choquant à cette époque ce sont les mensonges d’états orchestrés avec beaucoup de moyens. Ce qui est choquant aussi c’est cette propagande scandée dans un rythme hypnotique pour persuader l’enthousiasme de jeunes gars qu’ils allaient se faire démembrer pour défendre leur patrie, alors que ce n’était qu’une guerre à motivation personnelle de quelques cowboys néocons qui n’aimaient soudainement plus la gueule de leur ancien allié ( et pour le projet plus vaste.
Qu’ils y eût quelques retombées positives pour certains, c’est une autre chose, mais en finalité le résultat n’est pas meilleur aujourd’hui dans le nord de l’Irak.
A part cela j’entend très bien le reste de ce qu’exprime votre billet
Les moutons ne sont pas là où l’on pense. Vraiment grave de ne voir que des gens réactifs sans cervelle ça commence à faire beaucoup depuis la guerre en Yougoslavie… et ça prend des chemins de + en + partisans, on devient carrément sourds dingues : on reagit sur un titre sans avoir lu le contenu! ? On a dû rater un truc!
Cela ne m’étonne pas du sinistre charlot sommaruga!
J’espère quand même que le Peuple se rend compte de ce que ces criminels veulent emmener les Etats et qu’aux prochaines fédérales, on donne un bon coup de balais pour se débarrasser de cette fange qui me rappelle de plus en plus une sinistre époque où on ne jurait que par le pacifisme. Nous savons ce que ça a donné: six ans de guerre et plus de soixante millions de morts.
Alors n’oublions pas de leur botter le c** en 2015.