Le Dauphiné Libéré retrace l’intense activité de recherche de notre contributeur Henry Spira qui n’a cessé d’enquêter sur la dernière guerre mondiale ces dernières années et notamment sur la situation des réfugiés juifs en Suisse. L’objet de ses recherches a été compilé dans un ouvrage publié il y a quatre ans intitulé “La frontière jurassienne au quotidien, 1939/1945”.
Malgré ses 91 ans, Henry Spira est très dynamique, notamment lorsqu’il s’agit de parler d’histoire et en particulier de la Seconde Guerre mondiale. De cette époque tourmentée, il s’en souvient bien. Issu d’une famille juive, il a eu la chance de naître en Suisse et d’être par conséquent protégé par la neutralité helvétique.
Ce ne sera pas le cas pour près de six millions d’Européens israélites exterminés pendant la Shoah. Beaucoup, comme la famille Mayer, iront chercher refuge en Suisse. Le petit pays accueillera plus de 28 000 Juifs du printemps 1942 au début de l’année 1945.
Henry Spira commence à s’intéresser à la Seconde Guerre mondiale à l’heure de la retraite, par un étrange concours de circonstances. « Je faisais des recherches généalogiques lorsque je suis tombé sur de drôles de choses », raconte l’ancien commerçant.
Ces « drôles de choses », sont des carnets écrits par sa mère pendant la guerre. Des centaines de noms, et lieux y sont inscrits comme autant d’énigmes à résoudre.
Au fil de ses recherches, le vieil homme découvre avec stupeur que ses parents Suzanne et Armand, recueillaient, puis aidaient et sauvaient des fugitifs juifs, en les évacuant notamment hors de la zone frontière.
Les frontières suisses sont en effet fermées le 12 août 1942. À partir de cette date, beaucoup de fugitifs civils sont interdits de séjour et refoulés. Entre 3 000 et 4 000 Juifs sont refoulés du territoire suisse du printemps 1942 à août 1 944.
Henry Spira n’a cessé d’enquêter sur la guerre ces dernières années. L’objet de ses recherches a été compilé dans un ouvrage il y a quatre ans intitulé “La frontière jurassienne au quotidien, 1 939/1 945”.
L’historien a rencontré Yitzchak Mayer à plusieurs reprises. Il connaît bien la vie de sa famille qu’il a suivie par le biais de nombreuses recherches archivistiques. Il a notamment aidé Yitzchak Mayer à trouver un éditeur suisse pour son livre “La lettre muette”.
La frontière jurassienne au quotidien, 1939-1945, éditions Slatkine, 2010.
Par J.P. | Publié le 20/07/2014 à 06:00 |
HISTOIRE. Le périple d’une famille juive à travers toute la région pour survivre .
La famille Mayer (Jacky, Roszy, David et Yitzchak), en décembre 1943 à Lausanne.
Difficile à l’âge de 9 ans de comprendre que l’on doit fuir et se cacher pour le simple fait d’être né. Inconcevable même. Et pourtant. Et pourtant, il y a 71 ans Yitzchak Mayer, son frère et leur mère, menacés de mort car Juifs, ont dû parcourir des milliers de kilomètres pour atteindre la Suisse. Cette histoire, Yitzchak, aujourd’hui âgé de 80 ans, a décidé de la partager il y a quatre ans dans un livre intitulé “La lettre muette”. Pour ce faire, il fait parler sa mère Roszy dont il était très proche. « Il est difficile de raconter une histoire du point de vue d’un enfant, ça n’est jamais la réalité. » Pour plus d’authenticité, l’homme décide donc de se mettre à la place de sa mère. C’est ainsi que pendant près de 300 pages, c’est le récit d’une femme éplorée écrivant à son époux raflé à Marseille que l’on lit.
Le courage d’un curé sauve la famille
Pour vivre, Roszy et ses enfants partent pour la Suisse en février 1943. Alors enceinte, accompagnée de ses deux garçons de 9 et 6 ans, cette femme d’origine roumaine souhaite se rendre à Saint-Claude où se trouve sa sœur.
Malheureusement, ils oublient de changer de train et se retrouvent à Annemasse où ils sont interceptés par la police française et amenés au commissariat de police. L’officier de police, résistant, place les deux garçons au château de Livron tenu par des religieuses. La mère est hospitalisée.
La chance sourit à la famille : un curé se faisant appeler Albert Dupont les aide à fuir, les soustrayant ainsi à la déportation. Il les amène dans une auberge du côté de Bellegarde, probablement à Châtillon-en-Michaille. Le fils de l’aubergiste les cache dans sa camionnette et les amène jusqu’à Saint-Claude. Ils y restent quelques jours, avant que le curé ne leur fasse de nouveau signe. Le grand jour du départ pour la Suisse est arrivé. Max Arbez passeur jurassien mène la petite famille jusqu’à la frontière. Pendant quatre pénibles jours ils marchent de nuit dans la neige et dorment de jour dans les étables.
« Mon chéri, jamais je ne pourrai te rapporter ce que nous avons traversé lors de ce périple hanté par le froid », écrit Roszy à travers Yitzchak. « L’homme a créé les frontières et a chassé les hommes comme des chiens analyse-t-il. Tout à coup, l’enfant que j’étais, arrive à la frontière suisse. S’il met un pied à droite, il vit, si c’est à gauche, il meurt. »
Des deux côtés de la frontière, soldats suisses et allemands se font face. Après bien des palabres, la famille est finalement autorisée à rester en Suisse. Elle vivra. Peu après, Roszy donne naissance à David à Lausanne en mars 1943.
Le cadet des enfants Mayer ne connaîtra jamais son père décédé comme plus d’un million de personnes à Auschwitz. Comme ses frères il est l’héritier d’une histoire tragique. 250 personnes de leur famille meurent durant le génocide. « David m’a soutenu dans la rédaction de ce livre. Il reconnaît le fait que cette traversée n’était là que pour lui donner la vie. »
Yitzchak vit aujourd’hui en Israël. Il a représenté son pays en qualité de consul général au Québec, puis d’ambassadeur en Belgique, au Luxembourg et en Suisse. Lorsqu’il revient en Haute-Savoie ou en Suisse, ses pensées le replongent inexorablement plus de 70 ans en arrière. « Pour moi la Haute-Savoie signifie la passerelle entre la vie et la mort. Toute cette région fait partie de mon âme, de moi. » Avant de conclure : cette région fait partie de l’histoire, mais plus que cela, elle fait partie du patrimoine de l’humanité. »
Source : Le Dauphiné Libéré, 20 juillet 2014
Bonsoir Monsieur Henry Spira,
Merci pour cette interessante lecture. Je vous souhaite une bonne année 2017. Surtout bonne santé. Bisous. A bientôt de vous revoir. Laurence PERRIN.
Le livre d’Henry Spira est passionnant par ses précisions historiques entre-coupés d’histoires décrites avec de nombreux détails. Il mérite d’être connu davantage.
Hommage ô combien mérité à ce grand chercheur et travailleur, parfaitement impartial, ce qui est extrêmement rare en histoire.
Son livre est passionnant.