Quelques passages tirés d'une interview d'Alain Bauer :
Une illusion terrible a permis la création de deux univers qui se juxtaposent. Celui d’une misère réelle et qui s’accroît dans le silence et l’indifférence, et celui du gâchis et du mépris, entre luxe insolent et ignorance.
Les statistiques officielles ne fournissent que des informations limitées : elles ne prennent en compte que les crimes et délits, pas les contraventions ou les “incivilités”. Elles n’enregistrent que les faits constatés et déclarés, alors que les enquêtes de victimation indiquent que près de la moitié des actes ne seraient pas enregistrés.
Mais c’est au nom de cette présentation statistique qu’on a opposé le réel connu au réel vécu par les citoyens auxquels on tentait de démontrer que leur sentiment d’insécurité relevait de la psychose, de l’exagération ou de la manipulation.
L’Etat a “éliminé” les délits plutôt que de poursuivre les délinquants. Par la décriminalisation, puis la dépénalisation entamée au début des années 70, par la mise en place de systèmes de conciliation ou de médiation, l’Etat, dépassé par l’inflation des procédures, a évacué des prétoires et de la statistique judiciaire de nombreux faits.
En classant sans suite, souvent par manque de moyens, plus de huit plaintes sur dix, les parquets ont contribué à renforcer le phénomène, notamment en matière de stupéfiants. Sans parler de la non-inscription au casier judiciaire de certaines condamnations, faute de moyens des greffes.
Ce n’est pas de la nouveauté de ces phénomènes qu’il faut s’inquiéter, mais du renversement de tendance qu’ils démontrent. Le nombre de mineurs délinquants n’a jamais été aussi important (près de 20 % du total des mis en cause). Ils sont plus jeunes, plus récidivistes, plus violents.
La délinquance est devenue un phénomène d’expression sociale, marqué par des tendances d’enfermement dans un univers fini , “le quartier”, marqué par des modes d’appropriation qui vont des tags au contrôle territorial caractérisé par des passages de “frontières”, sans oublier l’utilisation des téléphones portables ou des “pagers” pour l’organisation des trafics. Les bandes se féminisent, développent des dépendances à l’alcool, connaissent un niveau de troubles psychiatriques important. Près de 1 100 quartiers sont “sensibles” en France, environ 200 présentent des signes tangibles de rejet des institutions et d’agressions récurrentes contre ses représentants. Les affrontements sont de plus en plus violents, homicides et tentatives sont en hausse constante et les saisies d’armes à feu sont loin d’être anecdotiques.
Impuissance de l’Etat, usure, sentiments d’abandon et d’impunité pour les délinquants sont aujourd’hui des perceptions largement répandues.
L’Etat a surtout réagi en fonction des violences urbaines et répondu par un amoncellement de dispositifs désormais unifiés sous le vocable “politique de la ville”. Les sigles barbares se sont ajoutés les uns aux autres selon la logique du capharnaüm.
Il lui revient maintenant d’assumer enfin une réorientation forte pour répondre aux besoins exprimés par la population. Faute de quoi les tenants des solutions les plus simplistes et les plus extrêmes, qui disposent à portée de main du bouc émissaire responsable de tous les maux, arriveront à convaincre des électeurs de plus en plus nombreux.
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