Naturalisations : à la fois exigeant et intégrateur

Uli Windisch
Rédacteur en chef

 

Le thème des naturalisations revient régulièrement dans le débat public et au Parlement suisse en particulier.

On assiste à chaque fois à un rituel opposant deux camps bien retranchés dans leur perception non seulement de la naturalisation mais de leur vision de l’ensemble de l’immigration.

La gauche se veut toujours ouverte, généreuse, politiquement correcte et critique tous ceux qui ont des exigences encore fortes et qui estiment que la nationalité a une grande valeur et se mérite et qu’il n’est pas question de la brader.

La gauche a néanmoins passablement changé son discours. Il y a peu elle prétendait que le passeport suisse n’était plus désiré, pour ne pas dire que plus personne n’en voulait,  parce qu’un passeport d’un pays européen avait plus de valeur et que le passeport suisse était même un handicap. Quant il s’agit de critiquer la Suisse la gauche est toujours présente.

Mais depuis peu, ce passeport est à nouveau convoité, par exemple à la suite du vote du 9 février 2014 sur l’immigration de masse, certains immigrés pensant qu’ils risquaient de devoir quitter la Suisse, ce qui n’est absolument pas le cas.

Ce n’est pas la seule raison. Il y a sans doute aussi le fait que l’UE ne représente plus le nirvana, et que finalement on se rend compte que la Suisse a tout de même des traits politico-culturels de plus en plus enviés et appréciés au niveau international. Par exemple notre démocratie directe, et l’UE en est bien éloignée. Et c’est peu dire. Cela en plus de la situation économique  enviable.

Notre point de vue a toujours été très clair et vise une approche qui devrait permettre de dépasser le manichéisme idéologique, à notre avis stérile et contreproductif.

L’évolution internationale montre une nouvelle fois qu’il faut rester exigeant sur l’obtention de la nationalité. Les jihadistes européens n’en sont que l’exemple le plus récent et spectaculaire, et cela montre aussi que la déchéance de la nationalité pour des naturalisés ne doit pas être qu’une possibilité théorique.

N’a pas aussi le droit de penser que seuls des étrangers venus en Suisse de manière régulière puissent demander la naturalisation et de s’étonner que des illégaux, clandestins et réfugiés  puissent, à la  longue, avoir la même possibilité de se naturaliser ; bien des réfugiés qui ont été accueillis en Suisse ne retournent pas dans leur pays une fois la situation devenue plus normale (même s’il existe de nombreux exemples contraires) alors qu’un tel retour pourrait aussi  bénéficier à leur pays et « faire de la place » pour d’autres personnes gravement menacées.

Même des exigences fortes ne découragent pas une demande de naturalisation, malgré les moqueries relatives à ce sujet de bien des Suisses qui se veulent « progressistes » et qui sont prêts à céder à toute demande ayant une coloration politiquement correcte.

Exigences fortes d’un côté, mais aussi favoriser l’intégration par tout un ensemble de moyens, anciens et nouveaux. Nous l’avons dit depuis bientôt 20 ans : de premiers droits politiques au niveau communal, étant donné le pouvoir fortement intégrateur de la démocratie directe avec ses votations populaires, pourrait y contribuer et valoriseraient à la fois la Suisse et les immigrés.

De même, l’organisation de « votations blanches », pour les collégiens, apprentis, etc permettraient de les initier à cette démocratie participative en préparant en classe des dossiers et en s’exerçant à l’argumentation contradictoire, de même qu’au vote, vote blanc en classe avant la votation elle-même. Dans une classe, au moment du vote, après des jeux et pratiques de débat et d’argumentation, aucun élève n’exigerait que seuls les Suisses puissent voter et que les élèves étrangers se retirent. Cela revient à pratiquer l’intégration concrètement plutôt que de l’évoquer abstraitement,  idéologiquement.

Avec de l’imagination on peut trouver  toutes sortes de démarches mettant ainsi directement en pratique l’intégration plutôt que de se contenter d’en parler rituellement.

Plus généralement, on devient aujourd’hui plus exigeant dans le choix des immigrés, en considérant comme nécessaire une préparation avant leur arrivée. Il est déjà courant dans bien des pays d’exiger la connaissance de la langue avant même l’entrée dans le pays, étant donné l’importance capitale de la langue, en soi d’abord, et ensuite afin que les parents  puissent aider leurs enfants à l’école. Ce travail est fait dans certains cas avec les immigrés déjà présents, et c’est une bonne chose, mais on va maintenant dans le sens susmentionné dans plusieurs pays. On cite souvent le Canada et l’Australie.

Bien des pays cherchent à abandonner certaines pratiques qui étaient peut-être possibles et valables autrefois mais qui posent de plus en plus de problèmes, par exemple le droit du sol. Cela intervient au moment où l’on parle de plus en plus d’immigration de masse.

Des pays qui connaissent des délais de naturalisation courts se demandent si de tels délais permettent vraiment l’intégration et ne favorisent pas, au contraire, le repli communautaire avec tout ce que ce phénomène peut entraîner comme conséquences catastrophiques et dont on commence enfin à se rendre compte.

Il y a aussi depuis un certain temps des prises de positions politiques et des analyses de l’immigration qui vont totalement à l’encontre d’exigences fortes et qui créent des effets contraires, des effets pervers, en matière d’attitude envers l’immigration.

Très brièvement, certaines analyses de type uniquement économique veulent montrer le rôle capital de l’immigration pour les économies des pays  développés qui souffrent d’une démographie moribonde. Il s’agit d’une réalité, mais en étant exclusivement centré sur l’économie, on ne voit pas certains effets nettement moins positifs dans les domaines sociaux, culturels et politiques.

A propos de ces effets « moins positifs », il ne suffit plus de simplement évoquer des populismes regrettables et de stigmatiser les membres de ces mouvements, au risque de créer des tensions politiques de moins en moins maîtrisables. Il nous faut des analyses multidimensionnelles, abordant toutes les dimensions, aspects et effets de l’immigration, et surtout en finir avec les discours aveuglés, lénifiants, et qui cachent ces aspects les moins positifs, au nom d’un a priori qui ne voit dans les immigrés que positivité et apports bénéfiques inconditionnels. Qui aurait pensé il y n’a qu’une dizaine d’années encore que le multiculturalisme, chanté inconditionnellement et à tue-tête par certains, se révèlerait un jour non plus comme la panacée  mais comme hautement problématique, dangereux et même destructeurs dans certains pays ; ces derniers temps ce sont de nombreux pays de l’UE qui en font la douloureuse expérience. Il en aura fallu du temps pour l’admettre ! Au point ou certains acteurs politiques exigent maintenant un retour en arrière.

Populisme que tout cela ? Qui aujourd’hui stigmatise qui ? Et se livre à des amalgames et des généralisations abusives ?

Pour terminer, on peut rappeler un exemple de prise de position politique qui produit sans doute aucun des effets pervers, des conflits, des mouvements politiques réactifs plus ou moins violents, et qui à coup sûr n’améliore pas l’image de l’immigration et les attitudes envers les immigrés dans une grande partie de la population.

L’exemple est celui de Cécile Kyenge, cette Africaine entrée clandestinement en Italie et devenue Ministre de l’immigration, et qui veut ouvrir toutes grandes les portes  à l’immigration, régulière ou non, et accorder plus que généreusement un ensemble de droits inhabituels et même la naturalisation avec des facilités peu répandues. Et c’est un euphémisime !

Ou, quand la dite attitude humaniste, la générosité et l’ouverture inconditionnelles tournent à l’irresponsabilité politique. L’Italie est en train d’en faire l’expérience et il ne suffit pas d’accuser après coup l’UE quand on a créé une image et un climat qui pouvaient laisser penser que tout un chacun était bienvenu. Et très nombreux sont ceux qui sont venus…au point où l’on craint, après coup toujours, l’envahissement, et des tensions politiques dont on cherche ensuite à se défausser ?

Face aux catastrophes engendrées, on doit s’interroger sur les causes et les responsabilités, car s’apitoyer sur l’état de fait ne convient plus à tout le monde. Vient l’heure où il faut rendre des comptes, plutôt que de chercher de nouveaux boucs émissaires.

Il faudrait, par exemple, éviter d’en arriver à  nouveau à une perception de l’immigré naturalisé qui se résumait en une formule propre aux plus sceptiques des années 1950-1960 envers l’immigration, et envers la naturalisation en particulier, et qui se résumait en une formule devenue célèbre : « un étranger naturalisé ça fait un Suisse de plus mais pas un étranger de moins » !

Le risque d’un retour de telles formules dans l’espace public existe…si…

Uli Windisch, 12 juin 2014

2 commentaires

  1. Posté par Eddie Mabillard le

    Vous parlez que les parents doivent savoir la langue pour aider leurs enfants.
    En 1970 j’avais émigré en Australie, en ce moment-là l’anglais n’était pas encore demandé, seulement une profession dont le pays avait besoin, il faut dire qu’en ce temps béni seul les Européens étaient acceptés en masse pour les autres les restrictions étaient pratiquement rédhibitoire pour obtenir un visa. Mais pour revenir à ma phrase d’introduction, ce que je constatais c’était que les enfants jeunes, de 10 à 18 ans, après six mois de séjour de toute la famille en Australie accompagnaient leurs parents pour traduire, soit dans les bureaux gouvernementaux, à la banque ou même au travail pour traduire, mais, il faut aussi dire que ces personnes avaient à cœur de s’intégrer et de vivre comme les Aussies.
    La Cécile Kyenge, la Taubira ou d’autres pays comme la Suède introduisent même des législations pour punir les autochtones qui se permettraient de critiquer de quelque façon que se soit les néo-arrivants clandestins, voyous ou autres.

  2. Posté par Lafayette le

    très juste,
    « un étranger naturalisé ça fait un Suisse de plus mais pas un étranger de moins »
    la formule reste tellement criante, que le Suisse restera un étranger dans son propre pays, tel un indien dans un pays colonisé.

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