La marche est un moyen de communication exceptionnel. Moins la marche sert à aller d’un endroit à un autre, plus elle permet d’envoyer des messages. Cette évolution est un marqueur de civilisation. Mao, en bon marxiste, pensait que la violence était le moteur de l’histoire. Sa Longue Marche était d’abord une opération stratégique très réelle. C’est ensuite que la propagande a transformé une retraite coûteuse en vies humaines en glorieuse épopée conduite par le Grand Timonier. Au contraire, chez Gandhi, la marche est une des expressions de la non-violence, une des formes de « Satyagraha », de « fermeté dans la vérité », comme la grève de la faim. Dès 1913, il suscite, en Afrique du Sud, une marche des femmes contre l’obligation de se marier à l’européenne et en 1930, en Inde, il conduit la Marche du Sel, pour dénoncer les taxes qui privent les pauvres de l’accès à un bien naturel et vital. La marche est devenue un moyen pacifique de protester. Elle attire l’attention des médias. La répression, qui s’abat sur elle, rend sa revendication sympathique et en condamne les auteurs aux yeux de l’opinion publique. Ce n’est pas un hasard, si l’un des deux pays les plus peuplés du monde, celui de Mao, est une dictature et l’autre, celui de Gandhi, la plus grande démocratie. La lutte des classes avait chez nous ses manifestations. Elle a encore des défilés résiduels le 1er Mai. Mais avec l’apaisement qui sied aux vieilles sociétés démocratiques, la marche a gagné en spiritualité. La marche est morale plus que politique. Elle proclame l’indignation des marcheurs. Elle brandit des valeurs plus que des revendications.
Le lien entre la marche et la quête spirituelle est inscrit dans notre tradition. Le renouveau des Chemins de Compostelle exprime le besoin de renouer avec elle. Le Chrétien, ou non, d’ailleurs, quitte la ville de la foule et des habitudes, pour aller vers un but, une ville dont le nom est associé à l’étoile. Tout y est : l’effort, la recherche, le ressourcement personnel, sont une manière de se libérer symboliquement d’une société où la spiritualité a de moins en moins de place. Sans doute, la renaissance de ce pèlerinage a-t-elle inspiré un certain nombre de marcheurs porteurs de messages. Toutefois, la multiplication de ces marches collectives à la Gandhi ou plus individuelles, leur succès médiatique en même temps que leur absence de résultat, font naître un doute sur l’authenticité qui les anime. La marche ne deviendrait-elle pas un « truc » publicitaire habile pour capter l’attention ? Ces chemins ne mèneraient-ils nulle part ? Le député Lassalle est bien sympathique. Mais après un grève de la faim, il a pris lui aussi la route, en France d’abord, puis en Europe. Un vrai petit Gandhi… Mais est-ce pour cela qu’il a été élu ? Cet homme généreux n’est-il pas avant tout un communicant exceptionnel ? Un communicant qui n’a d’autre message que lui-même ? L’image de Forrest Gump, dans le film de Robert Zemeckis, surgit : il se met à courir, traverse les Etats-Unis, suivi par une foule qui grossit sans cesse, puis un beau jour, il s’arrête. Il ne restera de sa course qu’une image publicitaire. Dans le fond, il n’avait rien à dire. Mais tous ceux qui le suivaient montraient simplement que leur vie routinière ne leur… disait plus rien. Après avoir beaucoup marché, et rencontré le Saint-Père, Jérome Kerviel arrive à la frontière italienne entouré par des représentants de l’Eglise et des membres de l’extrême-gauche française. Sa marche solitaire a été à la fois une ascèse pour se purifier des péchés de la finance et une protestation contre la justice de classe qu’il a subie. Mais, c’est aussi et surtout un excellent moyen d’attirer l’attention et la sympathie du public. La grâce présidentielle ne ferait pas de doute, s’il la demandait. En restant en Italie, en obligeant la Justice Française à lancer un mandat international, peut-être relancerait-il le débat sur les limites morales des techniques financières actuelles. Sans doute permettrait-il bien des postures dans le monde politique, mais il faudrait être naïf pour imaginer qu’il en sorte une remise en cause des pratiques financières. Après tout, des centaines de milliers de marcheurs n’ont pas modifié la volonté du gouvernement dès lors que celui-ci allait dans le sens du véritable pouvoir.
Pour de nombreuses raisons, des marches « blanches » sont organisées. Cette couleur, qui n’en est pas une, est ambiguë. Symbole de pureté, mais aussi symptôme d’impuissance, elle devient en marchant protestation morale contre une société qui manque d’éthique. C’est, comme on le dit d’une balle, un acte politique « à blanc ». Pendant ce temps, « Welcome to New-York » rate les marches, ce qui n’a rien d’étonnant pour un film destiné aux voyeurs et dont le sujet a été trouvé dans le caniveau.
Christian Vanneste, 18 mai 2014
Et vous, qu'en pensez vous ?