J'ai oublié par quel cheminement Daniel Cohn-Bendit vint chez moi, dans l’appartement sans confort que j’avais loué pour payer mes études à l’Université de Genève. Je le vois encore pianotant sur mon vieux piano. De quoi discutions-nous ? J’ai aussi oublié. A mes yeux, il n’était qu’un camarade dans le grand mouvement étudiant de mai 68 grâce auquel nous allions provoquer une formidable révolution. Dans ma naïveté, je ne doutais pas que nous étions sur le point, tous ensemble, de connaître un bouleversement cosmique, prélude d’une société nouvelle et pure. Dany le Rouge était venu en Suisse nous prêter main-forte à nous, les camarades, pour faire advenir un nouveau monde. C’était aussi simple que ça.
Quelques jours auparavant, je l’avais vu à la télévision face à un journaliste du Figaro. Celui-ci avait déclaré que jamais on avait vu un mouvement comme celui de Dany, provoquer une révolution. Immédiatement, il avait répliqué avec panache, agitant sa tignasse rousse : « Eh bien, vous allez voir comment nous, nous allons faire ça ! » Cette réponse m’avait électrisé. Enfin quelqu’un qui ne proposait pas une solution, un programme, mais qui, par sa présence, son verbe révolutionnaire, disait que quelque chose de nouveau allait surgir dans le triste monde d’un capitalisme répétitif à en mourir ! En un instant j’avais basculé dans un espoir fou, dans la fièvre d’une attente messianique. En un instant, je m’étais métamorphosé en un fou de Dieu, prêt à n’importe quelle violence pour faire advenir un nouveau royaume. Cioran a parlé de cette étrange folie dans Histoire et Utopie, folie qui surgit brusquement sans qu’on ne puisse jamais en trouver la cause.
Des hauteurs béantes d’où je contemplais des lendemains qui chantent, je revins temporairement sur terre avec Cohn-Bendit quelques semaines plus tard. Plus précisément sur des pistes de ski à Chambéry. Un groupe d’anarchistes lausannois l’avait invité et je l’avais rejoint. Du haut de ces pistes, il pointait la France toute proche, me disant qu’il ne pouvait plus y retourner. De mon mieux, j’essayais de lui apprendre à skier et je le revois encore essayant maladroitement de s’initier au chasse-neige. Le soir, dans un chalet que je ne pourrais plus retrouver, nous parlions de la révolution russe, trahie par les communistes. Cela me donnait l’occasion de contempler une autre hauteur béante, celle de mon ignorance de l’histoire et de la politique. Dany, lui, n’y faisait pas du chasse-neige.
Je le retrouvai à Zurich, des décennies plus tard, pour l’interviewer. Je m’attendais à partager nos souvenirs. Rien de tel ! Dany était froid, distant, technique. Etait-il devenu un technocrate bruxellois ?
Pas vraiment puisqu’au parlement européen, il a donné dans des envolées rappelant cette faconde révolutionnaire qui m’avait tellement bouleversé. Hélas, le voyant s’agiter dans ce parlement, je n’ai plus été bouleversé du tout. Ses gesticulations m’ont paru creuses, pathétiques. L’ardent révolutionnaire était devenu une grande poupée mécanique secouée par des spasmes d’indignation. Il m’avait touché dans ses maladroits exercices de chasse-neige sur les pistes de Champéry. Aujourd’hui, sa rhétorique n’est même plus touchante, mais inquiétante parce que symbole d’un sursaut hesselien (Stéphane Hessel) conduisant le plus souvent au chaos, voire à la guerre civile.
Jan Marejko, 17 avril 2014
Cher Jan Marejko,
Soyez bien heureux de l’avoir connu “révolutionnaire”, moi je l’ai vu dans mille turpitudes tentant de clamer une impossible innocence, alors qu’il se complaisait à sodomiser des jeunes à lui confié par des parents déjà durement éprouvé par la vie. N’est pas Socrate qui veut…
Et, enfin, j’ai vu ce pathétique trublion attaquer la Suisse qui allait suplier l’Europe de s’y rallier enfin…..de révolutionnaire, à l’instar de Trotsky, petit youpin englué dans une idée révolutionnaire qui l’a dépassé !