PHILIPPE BARRAUD
Il est particulièrement difficile d’imaginer le futur du journal Le Temps. On n’entend en effet que les patrons de Ringier et du quotidien, mais guère d’analyses indépendantes. Normal: quel journaliste peut encore se permettre d’émettre un avis, voire une critique, à l’égard d’employeurs omniprésents? Il reste que les perspectives sont inquiétantes.
Les patrons de presse ont une faiblesse: ils communiquent mal – ce qui est un comble. En termes de langue de bois en effet, ils sont au niveau d’un Politburo soviétique. Que ce soient les patrons de Ringier ou le président du Temps, ils en font des kilos sur leur amour de ce quotidien prestigieux, sur leur attachement viscéral à la Suisse romande – tellement que personne ne les prend au sérieux.
Les sauveurs du Temps apparaissent plutôt comme des pillards, qui vont mettre à profit la relative bonne santé du quotidien pour sauver L’Hebdo, qui péclote. Ils font penser à ces raiders de la finance qui rachètent des entreprises, en pompent la substance, puis les liquident. Comment les choses pourraient-elles se passer différemment, lorsque les vrais patrons, les éditeurs zurichois, exigent un rendement dépassant les 10% ?
Les patrons de Ringier, qui se sont arrangés avec Tamedia pour lancer un appel d’offres-bidon destiné à faire baisser le prix (merci aux Amis du Temps pour leur complicité involontaire…), ont aussitôt parlé de synergies avec les autres titres de Ringier Romandie. Il faut toujours se méfier du mot synergie dans ce genre d’occasion, car il présage rarement quelque chose de bon. On peut certes penser à des synergies publicitaires, puisque les mêmes annonceurs, essentiellement les grandes marques horlogères, portent ces publications à bout de bras. Mais pour le reste, vouloir rapprocher Le Temps et L’Hebdo sur le plan rédactionnel signerait la fin de l’un et de l’autre. La filiation avancée entre Le Nouveau Quotidien et Le Temps est abusive: le premier était une sorte de clone de L’Hebdo, et il n’en susbiste nulle trace dans Le Temps actuel.
L’Hebdo perd des lecteurs parce qu’il a oublié d’évoluer avec son marché. Son eurolâtrie forcenée apparaît terriblement ringarde, marquée au coin des années 70, ce qui est tout de même assez lointain. Il agace la clientèle, qui ne s’abonne pas à un magazine pour subir chaque semaine un catéchisme pro-européen et anti-UDC, avec de surcroît un grand-écart branlant entre idéologie bobo-de gauche et adhésion totale à l’économie de marché. Il faut parfois choisir son camp…
On peut craindre, dans la nouvelle configuration, une contamination du Temps par ces orientations maladroites, sous prétexte de synergies et de rationalisation. A cet égard, mettre tous les journalistes de Ringier Romandie dans une sorte de bocal unique, à Lausanne ou ailleurs, où ils généreraient, à la demande, des articles, de la vidéo ou du numérique pour l’un ou l’autre titre, conduirait à une perte de susbstance désastreuse. Les bons journalistes ne sont pas des pions à qui on dit: “Aujourd’hui tu fais ça, Coco. Et si ça ne te plaît pas, j’en ai douze derrière la porte.” C’est tout à leur honneur, mais dans le climat actuel, on pourrait bien voir, à l’avenir, de bons journalistes chômeurs.
Extrait de: Source et auteur
“Mais pour le reste, vouloir rapprocher Le Temps et L’Hebdo sur le plan rédactionnel signerait la fin de l’un et de l’autre.”
Ne changez rien, merci.
Pas un franc pour l’hebdo et le temps…..pas un franc pour ces gens là….même un abonnement e-paper.