Cette Ukraine dont personne ne veut

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Vladimir Poutine avait-il un sourire crispé à la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques d'hiver de Sotchi? Difficile à dire, tant le vieux requin russe a l'habitude de se contenir.

poutine-sotchi-clotureLes Jeux Olympiques ont été un indéniable succès - non seulement sur le plan sportif, mais aussi sur le plan de l'image de marque, unique raison d'être de la manifestation. Poutine s'est investi personnellement pour ces jeux. Il souhaitait donner à la Russie une marque de grandeur et de respectabilité à la hauteur de son engagement.

Il n'avait certainement pas prévu que 24 heures plus tôt des manifestants hostiles à la Russie renverseraient le gouvernement pro-russe d'Ukraine, alors que tous les projecteurs du monde braqués sur la Russie l'empêcheraient d'arborer toute autre attitude que son visage de cire habituel. Un chapitre de plus à écrire dans le grand livre des griefs de la Russie contre le monde entier.

La façon dont le dirigeant se serait fait cueillir est d'autant plus remarquable qu'elle renvoie à sa propre invasion militaire de la Géorgie, dûment planifiée en 2008 au beau milieu des Jeux Olympiques de Pékin. Une revanche du Karma?

Viktor Ianoukovitch, président ukrainien déchu, n'était certes pas un valet de Moscou ; pro-russe mais méprisant Poutine, il n'aurait sans doute pas offert le voyage aux chars russes pour une "normalisation" de la situation, style soviétique. Mais, opportuniste en diable, il restait malgré tout la meilleure carte dans la main du Kremlin. En tenant encore un peu au pouvoir il aurait pu appeler au secours en dernière extrémité, donnant au président russe l'excuse tant attendue pour intervenir ouvertement. Las! Il négocia trop tôt pour s'enfuir ensuite. Toute intervention russe sera désormais plus difficile à justifier, ou réclamera de laisser pourrir la situation ukrainienne à un niveau dangereux pour l'Europe de l'Est.

Reste à savoir quoi faire de l'Ukraine - question lancinante pour quiconque souhaite se pencher sur le lit de mort d'une nation en voie d'effondrement.

Personne pour souhaiter conduire la locomotive du train fou? Quand même Ioulia Timochenko annonce quelques heures après sa libération qu'elle n'est pas intéressée par le poste de premier ministre, on est en droit de s'interroger. Faut-il que la situation soit critique pour que même des oligarques renoncent à un pouvoir offert en cadeau!

Et la situation est, à tous points de vue, désastreuse. Les tensions sont à leur comble entre l'ouest ukrainophone et nationaliste et l'est russophone et russophile. Deux tiers / un tiers de 46 millions d'habitants - et d'innombrables régions où ils se côtoient et qui seront les premières à sombrer dans un chaos sanglant si une étincelle venait à mettre le feu aux poudres.

Sauver l'Ukraine? La question est autant "qui pourrait le faire" que "qui en aurait les moyens". L'Ukraine est virtuellement en faillite comme sa compagnie gazière Naftogaz. Le régime de Ianoukovitch ne tenait qu'avec la promesse russe d'une ristourne massive sur le prix du gaz et d'un crédit de 15 milliards de dollars - une somme astronomique qui pourrait avoir fait reculer Poutine au dernier moment, sachant que la Russie n'est elle-même pas en grande forme. Les Européens, eux, ne mettaient sur la table que 610 millions d'euros et invoquent le FMI comme une divinité païenne. Quant aux Américains, ils affichent leur clairvoyance habituelle en pensant que l'ONU pourra recoller les morceaux.

ukraine_mortsL'Europe est trop ruinée pour la soutenir. Les Etats-Unis sont trop loin de leur sphère d'influence. Quant à la Russie... A-t-elle les moyens de se payer l'Ukraine entière ou Poutine préférera-t-il simplement agrandir son pays de la partie russophone? A moins qu'il ne laisse l'Ukraine sombrer pour de bon dans un premier temps, histoire de montrer aux autres Républiques de l'ex-Union soviétique les conséquences d'une rébellion contre des régimes favorables à Moscou.

Difficile de prédire l'avenir de l'Ukraine, sauf à déclarer qu'il est sombre. Dans le meilleur des cas, nous aurons droit à une faillite en bonne et due forme, avec ses conséquences incertaines sur la finance mondiale et l'approvisionnement en gaz de toute l'Europe de l'Est. Dans le pire, une nouvelle guerre civile aura lieu à quelques heures de vol de capitales européennes si fières, pensent-elles, de dessiner le destin du continent.

Aujourd'hui, chacun s'attache à exprimer sa "préoccupation" sur la situation en Ukraine. Pourtant, personne, pas même les Ukrainiens, ne semble croire que le pays survivra longtemps sous sa forme actuelle.

Stéphane Montabert

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4 commentaires

  1. Posté par Marie-France Oberson le

    Monsieur Montabert, vous écrivez:
    “une « Union Eurasiatique » (je ne sais pas d’où vous sortez ce machin) totalement invraisemblable.”
    ……………………………..
    Avant de hausser les épaules avec mépris, faut vous informer .
    Vous ne savez pas ce qu’est le projet d’Union Eurasiatique ?
    L’union eurasiatique c’est l’intégration économique de la Biélorussie, du Kazakhstan et de la Russie , en attendant le Kirghizstan et l’Arménie. et en attendant de se tourner carrément vers l’Asie “moteur de croissance”, si l’UE et les USA boudent la Russie et lui cherchent des poux.
    http://www.lepoint.fr/monde/poutine-veut-tourner-la-russie-vers-l-asie-moteur-de-croissance-07-09-2012-1503704_24.php
    C’est pour cela que les USA mettent tout en oeuvre pour que l’Ukraine ne se tourne vers Moscou. l’Union eurasiatique serait une force économique très concurrentielle pour les USA !
    Il n’y a que vous, M.Montabert pour ne pas voir les USA derrière les ultras de la révolution ukrainienne..

    http://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/article/avec-l-union-eurasiatique-poutine-lance-une.html
    Extrait:
    “Alors que l’UE se suicide à coups de politiques d’austérité, à Moscou une union douanière, faite d’échanges physiques et technologiques, est en gestation.”
    “L’économiste et stratège Lyndon LaRouche, notre ami outre-Atlantique, s’est réjoui de ce sommet, car c’est une attaque supplémentaire contre la tentative de réseaux atlantistes, via l’Union européenne, de porter un coup à la Russie, en attirant l’Ukraine dans une Union européenne qui ne représente pas aujourd’hui, pas plus que les Etats-Unis, une union économique viable.”
    Vous voyez, je ne débloque pas vraiment.
    Mais lisez “Le grand échiquier” de Brzezinski, et vous rirez un peu moins de ma théorie du complot. Ah.. j’avais oublié: le sous-titre du livre : ” L’Amérique et le reste du monde”
    4ème de couverture :
    “Les Etats-Unis se sont élevés à une position hégémonique qu’aucune nation n’a acquise par le passé. Pour la première fois dans l’histoire, un pays est devenu une puissance dominante universelle. Sa politique est la clé de l’ordre mondial. L’Amérique continuera-t-elle à tirer les ficelles ? Quels seront dans les années à venir les points chauds du globe, en particulier sur le continent eurasien, où tout se joue ? De quelles cartes les autres pays, en particulier l’Europe, disposent-ils pour équilibrer et défier la suprématie américaine ? Bref : les Etats-Unis vont-ils rester les maîtres de l’échiquier mondial, et comment ? Les clés du monde contemporain par l’une des plus grandes autorités internationales en matière de géopolitique et de stratégie.”
    Et ce livre a été écrit en 1997…le problème “eurasien” était déjà posé…
    “Brzeziński ,conseiller à la sécurité nationale du Président des États-Unis Jimmy Carter, de 1977 à 1981. artisan majeur de la politique étrangère de Washington…”
    Mais comme c’est un assez gros pavé un peu long à lire, vous pouvez lire quelques extraits sur le lien suivant, afin de ne pas être en retard d’une guerre…
    Bonne soirée

  2. Posté par Stephane Montabert le

    Oui, vous débloquez.

    D’abord, les Etats-Unis promeuvent l’OTAN, c’est un fait, et cela n’en fait pas les méchants de l’histoire. C’est juste une alliance militaire, qui a évidemment tendance à éviter la guerre entre ses membres, et entre l’OTAN et d’autres. Vous avez tort d’opposer l’OTAN à une “Union Eurasiatique” (je ne sais pas d’où vous sortez ce machin) totalement invraisemblable.

    L’UE n’a pas d’armée, seuls les pays ont des armées et celles-ci sont en déshérence depuis des lustres, par manque d’argent. Chirac est aller plaider auprès de Clinton le bombardement de la Serbie et l’implication des USA parce que pas un pays européen n’avait les moyens de le faire…

    Ensuite, si on doit parler d’espionnage et d’agitation, il y a certainement bien plus d’agents russes en Ukraine que d’agents de la CIA.

    Si lesdits agents (quelle que soit leur affiliation) ne peuvent agir qu’avec une influence limitée. Espionner oui, conseiller un peu, mais faire dégénérer une manifestation de milliers de personnes ou fomenter un coup d’Etat, c’est autre chose…

    Personnellement, la dernière manœuvre diplomatique en coulisse rendue publique sur l’Ukraine était Victoria Nuland, la secrétaire d’Etat adjointe américaine pour l’Europe, qui lançait son fameux “Fuck the EU!” tout en disant qu’il fallait miser sur un gouvernement d’union nationale entre l’opposition et Ianoukovitch… Epoustouflante claivoyance américaine, rétrospectivement! Et une jolie leçon d’espionnage en passant, vu qu’il ne fait quasiment aucun doute que la transmission de cette conversation est le fait des Russes.

    Et vous pensez que ces gens-là contrôlent quoi que ce soit dans le chaos ukrainien?

    Mais les théories du complot font de bons romans!

  3. Posté par Marie-France Oberson le

    “L’Europe est trop ruinée pour la soutenir. Les Etats-Unis sont trop loin de leur sphère d’influence. “
    Vous croyez vraiment ?
    Personne n’est trop loin pour les USA qui n’ont de cesse de pousser les Etats de l’Est à entrer dans le giron de l’UE… ou de l’OTAN, comme vous voulez et ce, le plus rapidement possible pour qu’ils n’aient pas le temps de se tourner vers la Russie qui pourrait alors envisager de créer une “Union Eurasiatique” , une forte concurrence pour les USA
    Tout cela afin de déstabiliser Poutine et d’être maîtres de tout le Caucase, du transit du gaz du pétrole de la région de la mer Caspienne.. et en même temps à travers l’OTAN de contrôler tout le continent européen – l’UE élargie , son vassal-
    La volonté des USA de voir la Turquie dans l’UE, la guerre contre les Serbes pour s’installer au Kosovo, tout cela va dans le même sens, être maître du continent, du monde.

    Je débloque ? Si peu! Lire ” Le Grand échiquier” de Zbignie Brzeziński

Et vous, qu'en pensez vous ?

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