L’économie, l’immatériel et les nombres irrationnels

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

A partir de là, comment ne pas souhaiter que nombreux soient nos concitoyens qui, comme Pythagore, découvrent que le réel n’est pas réductible au rationnel ? Et surtout parmi, nos concitoyens, nos élites politiciennes et médiatiques ! Ainsi s’offusqueraient-elles moins de la présence de l’UDC en Suisse. Il est vrai que Pythagore, lorsqu’il a découvert que le réel contenait de l’irrationnel, se serait suicidé. Ce n’est pas ça que nous souhaitons à nos gouvernants…

L'historique votation du 9 février a mis en évidence l'importance de l'immatériel dans les décisions populaires. Nombreux ont été ceux qui ont déploré cette importance, à leurs yeux excessive, dans un vote visant à limiter l'immigration massive en Suisse. L'immatériel, en effet, ce serait l'identitaire, l'intrusion de l'émotion, voire de l'irrationnel dans la rationalité économique. Et cette irrationalité aurait fait une irruption catastrophique dans ce vote. Pour les adversaires de l'UDC, une sage décision politique ne devrait jamais tolérer une telle irruption. Par conséquent, elle devrait se fonder exclusivement sur de froides analyses économiques. Laisser cette intrusion advenir, la tolérer ou, pire encore, l'encourager, relèverait de l'obsessionnel, du délire, bref, de l'irrationnel.

Hélas, à réclamer du rationnel et rien que du rationnel, on bascule dans l'irrationnel. Ne dit-on pas d'un fou qu’il a tout perdu sauf la raison ?

L'économie ne fonctionne jamais qu'avec le carburant de la rationalité. Elle repose sur la confiance et la prise de risque, variables qui ne peuvent pas figurer dans une équation purement rationnelle. Cela ne veut pas dire que des décisions économiques sont irrationnelles, mais qu'elles ne peuvent pas être seulement rationnelles. Pour le dire autrement, investir, par exemple, ne peut se fonder que sur un froid calcul. Si cet acte éminemment économique ne s'appuyait que sur un calcul et exclusivement sur lui, ce ne serait plus un investissement qui, inévitablement, comporte un risque. Dans un pur calcul, il n'y a pas de risque, pas d'irrationalité. Or, tout n'est pas calculable, ni un investissement, ni la confiance. Celle-ci, ingrédient nécessaire à toute transaction économique, qu'elle se fasse à la caisse d'un supermarché ou d'un hypermarché, ne se calcule pas plus qu’un risque.

Les nombres irrationnels, justement, ne sont pas calculables. Nous ne pouvons pas calculer l'exacte valeur de la racine du nombre deux. C'est un nombre irrationnel. Avant de découvrir ce type de nombre, Pythagore se réjouissait à l'idée que le réel, tout le réel, était rationnel. Et paf ! Il découvre un jour que la racine de deux n'est pas un nombre rationnel. Il découvre que le réel contient de l'irrationnel. En termes techniques, l'hypoténuse d'un triangle formé à partir d'un carré dont la surface vaut deux ne peut pas être calculée. Cette hypoténuse est bien réelle, mais hélas, elle ne peut pas être circonscrite par notre raison.

A partir de là, comment ne pas souhaiter que nombreux soient nos concitoyens qui, comme Pythagore, découvrent que le réel n'est pas réductible au rationnel ? Et surtout parmi, nos concitoyens, nos élites politiciennes et médiatiques ! Ainsi s’offusqueraient-elles moins de la présence de l’UDC en Suisse. Il est vrai que Pythagore, lorsqu’il a découvert que le réel contenait de l’irrationnel, se serait suicidé. Ce n’est pas ça que nous souhaitons à nos gouvernants. Que nos économistes et politiciens, se rassurent : Pythagore se serait suicidé six siècles avant notre ère. En principe, l’humanité, si chère à nos élites pensantes, a eu le temps, depuis lors, de s’habituer à l’idée que le réel contient de l’irrationnel.

Jan Marejko, 18 février 2014

9 commentaires

  1. Posté par Galileo le

    M. Marejko, vous auriez besoin d’une petite mise à niveau en maths! Cela ne devait sans doute pas être votre branche “forte”! Encore un petit effort et vos lecteurs seront convaincus que la soleil tourne autour de la terre et que l’univers aurait été créé il y a environ 6000 ans!

  2. Posté par Renaud le

    @Normandy
    Qui met du pathos?
    J’appelle scientisme la science qui voudrait faire croire que les objets décrits par la science sont le réel.
    Même les scientifiques, quand ils sont sérieux, n’y croient pas.
    La connaissance objective qui est le domaine de la science n’est qu’un point de vue parmi d’autres sur le réel.
    Prenez un individu, réduisez le à un objet afin de l’étudier scientifiquement, vous avez déjà exercé une violence en réduisant ce sujet à un objet. La science est toujours réductrice.
    Ce n’est pas être antiscientifique de dire cela, c’est dire que la science consiste en la description d’objets qu’elle s’est donnés en fonction de choix idéologiques.

  3. Posté par Normandy le

    Considérer comme scientiste la formule « À la découverte des lois de l’Univers », c’est de l’obsession antiscientifique.
    « On ne peut pas dire strictement [sic] que la science découvre les lois de l’univers.
    Ce qu’on peut dire c’est que la science construit des modélisations des objets de la science [donc la science existe]. » Je l’ai déjà écrit : « Ceci n’est pas une pipe ». La représentation d’une pipe par Magritte n’est pas une pipe « pour de vrai », mais les pipes existent bel et bien. Ce n’est pas une fiction. Je n’ai toujours pas saisi le sens de telles contorsions mentales (je n’ose pas dire intellectuelles). Enfin, il fut un temps béni où l’on s’interrogeait sur le sexe des anges…
    « Les tours de passe-passe de la science ne passent plus ». Aux yeux de qui, d’abord ? Ensuite, l’expression est une manipulation typiquement idéologique, voire sectaire. On qualifie de « tour de passe-passe » les observations, découvertes, modélisations, explications, formulations, hypothèses, expériences scientifiques (au sens méthodologique), peu importe les termes, donc, à partir de là, la science ne traite pas de la réalité et les scientifiques sont des illusionnistes. C’est assez pathétique. A quelle fin ?
    Pathétique aussi de croire que quand on a dit que « Tout est dans tout » on a tout dit, tout expliqué et qu’on n’a qu’à s’en satisfaire. Ce n’est certes pas du « scientisme », c’est plus que du simplisme, c’est du dogmatisme obscurantiste. Vent debout contre le savoir, toutes voiles dehors pour l’ignorance. Marche arrière vers l’avenir !
    Pendant longtemps, le « monstre qu’il faudrait éliminer au plus vite » était le scientifique, le chercheur, celui qui ne s’arrêtait aux dogmes, qui doutait, remettait en question et apportait de nouvelles réponses. Il semble que pour certains « esprits », il n’y a aujourd’hui de martyres que les « victimes » du « scientisme », donc, à les lire, de la science.
    Je me permets une supputation : les antiscientifiques qui déprécient la science en «scientisme» ne possèdent pas les outils de la science ; n’y aurait-il pas rapport de causalité ? Peut-être un simple complexe d’infériorité ? Ou pas.

  4. Posté par Jan Marejko le

    Pour répondre à Christophe : si je suis lamentable, sème la confusion et énonce des jeux de mots inacceptables, comme vous l’écrivez, il ne faut pas me répondre longuement comme vous le faites, car alors vous donnez de la substance à un monstre qu’il faudrait éliminer au plus vite.

  5. Posté par Renaud le

    @Christophe
    Vous êtes l’exemple vivant de ce que Jan Marejko dénonce.
    Par exemple cette formule : “À la découverte des lois de l’Univers”, c’est du scientisme.
    On ne peut pas dire strictement que la science découvre les lois de l’univers.
    Ce qu’on peut dire c’est que la science construit des modélisations des objets de la science.
    Autre formule : “L’un des caractères les plus remarquables du cosmos est la manière dont il semble s’enraciner dans les mathématiques, avec une précision extrême”.
    Non désolé, le cosmos n’est pas enraciné dans les mathématiques pour autant qu’on parle de sa réalité et non d’un modèle du cosmos qui lui serait enraciné dans les mathématiques.
    Les tours de passe-passe de la science ne passent plus, je crois que c’est ce qu’à voulu dire Jan Marejko.

  6. Posté par Christophe le

    « Tout est nombre – Les choses sont nombre », Pythagore

    Une fois de plus Monsieur Jan Marejko se fait le pourfendeur de la science, voire ici des mathématiques. De façon lamentable, il sème la confusion avec des jeux de mots inacceptables. Le sens de l’adjectif « irrationnel » en mathématique n’est pas le sens commun ! Tout simplement, cela signifie qu’un nombre est rationnel, s’il est exactement représentable par le quotient (« ratio » !) de deux nombres, alors dits « commensurables », et qu’un nombre est irrationnel si ce n’est pas le cas. La longueur de la diagonale d’un carré et celle de son côté sont dites « incommensurables ». Tout comme leur quotient qui donne toujours un multiple de la racine carrée de 2, ce sont néanmoins toujours des nombres bien réels. Mais ce nombre « irrationnel » 1,4142… résultant de cette mise en rap-port des deux longueurs est également un nombre tout aussi réel, c’est-à-dire dire réalisé concrète-ment dans notre monde, que les « entiers naturels », les « entiers relatifs », les « nombres rationnels », tous inclus dans les « nombres réels », eux-mêmes inclus dans les « nombres complexes », ceux-ci dans leurs généralisations successives, les « nombres hypercomplexes ». Il n’y a là rien de mystérieux et surtout rien « d’irrationnel » au sens commun du terme. Pythagore n’a pas eu à « se suicider » pour cela devant ces nouveaux nombres irrationnels, simplement plus généraux que les nombres rationnels, mais tout aussi réels. De plus, tous ces « ensembles » de nombres, sans exception, sont utilisés dans la physique, que ce soit la microphysique ou l’astrophysique. Ce ne sont pas que des créations gratuites ou futiles.
    Quant au dernier vœu de l’auteur, vœu qu’il qualifie lui-même de sadique (sic), de voir mourir l’« idéologie scientifique » (que signifie ce terme ?), il me semble basé sur une bien sombre vision tout à fait irrationnelle de la science, qui résulte évidemment d’une conception terne et obscurantiste, voire d’un état d’esprit fortement passéiste. À mon humble avis, il faut connaître un peu la science du dedans, c’est-à-dire l’avoir pratiquée pour pouvoir et oser en parler en connaissance de cause. Ce ne semble pas être le cas lorsqu’on lit de tels propos.
    Je soumets à l’appréciation des lecteurs cette citation de l’auteur : « … le technocosme est un pseudo-cosmos et le langage qui prétend le dévoiler, le langage technoscientifique, ne renvoie à rien… » (« Le roi du technocosme est nu », pp. 82-115, in : Temps cosmique – Histoire humaine, Vrin, 1996). Chacun ressent le dénigrement total (et ce n’est pas la première fois sur ce site…) affiché par l’auteur pour l’activité scientifique (il s’est, entre autres, tout simplement moqué des travaux du Cern) et pour son langage éminemment mathématique, activité rationnelle par excellence, qu’il dis-qualifie indûment et à laquelle il dénie tout droit à parler du réel, voire à contribuer à le dévoiler peu à peu.
    Je ne voudrais pas terminer cette mise au point sur cette décevante citation, mais par un texte plus roboratif de Roger Penrose, physicien et mathématicien britannique, ancien professeur à Oxford, auteur, entre autres, de The Nature of Space and Time – La Nature de l’espace et du temps, de The Road to Reality – À la découverte des lois de l’Univers, et de The Large, the Small and the Human Mind – Les deux infinis et l’esprit humain, ouvrage d’où je tire ceci : « L’un des caractères les plus remarquables du cosmos est la manière dont il semble s’enraciner dans les mathématiques, avec une précision extrême … Plus notre connaissance des lois physiques s’étend et s’épure et plus nous sommes conduits vers le monde des mathématiques et de leurs concepts … Comment se fait-il que le monde physique semble obéir de manière très précise à des lois mathématiques ? Non seulement cela, mais les mathématiques qui semblent contrôler notre monde physique sont extraordinairement puissantes et fécondes, en tant simplement que mathématiques. Cela est pour moi un profond mystère … ». Il vaut mille fois mieux préférer l’aveu de ce profond mystère par un scientifique à ce vil souhait proféré par Monsieur Marejko.

  7. Posté par Jan Marejko le

    Pas de souci. L’idéologie scientifique va mourir. Mais quand? Nous ne pourrons peut-être pas assister à ses funérailles, ni avoir le sadique plaisir de la voir agoniser.

  8. Posté par Böse Birgitt le

    Preuve que nos zélus super zélotes ont sacrément négligé de penser par eux-même, tt occupés qu’ils sont à se mouvoir ds la stratosphère : ils ont chopé la grosse tête. Depuis que je me suis fait cette réflexion… une nouvelle statue de taille est venue s’installer à La Chaux-de-Fonds : l’énorme tête de Chevrolet chromée. Ils ne pensent + qu’à l’image de la CH, son âme? C’est vraiment pas le propos! Une populace qui doit payer, n’a pas son mot à dire et doit tt laisser passer… ça s’appelle…?Mmm…!!!! Ce qui me sidère, c’est la haine qui transparait depuis ce OUI parmi tous les opposants, de la haine pure qu’ils n’arrivent pas à maîtriser ces gens éduqués… donc ne font absolument aucun effort de remise en question : ils ont raison. Vive la démo…nologie!

  9. Posté par Renaud le

    Ca me fait penser aux “scientifiques” qui prétendent que la réalité, ou même plus modestement le cosmos, repose sur des idées mathématiques.
    Ce qui est confondre la carte et le territoire.
    La loi du cosmos est fort simple et ne demande pas de gros calculs puisque “tout est dans tout”.
    A partir de là les scientifiques peuvent beaucoup s’amuser étant donné que tous les rapports entre les choses sont potentiellement possibles.
    Mais si tout est possible, les rapports que l’on établit entre le choses dépendent de notre responsabilité et on ne peut plus dire : c’est scientifique donc ferme là, physiquement !

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