Dimanche dernier, une très courte majorité populaire et une large majorité des cantons ont décidé que la Suisse devait reprendre en mains sa politique migratoire. Une chose tout à fait normale pour un Etat indépendant.
En Europe, la démocratie directe n’est souvent vue que comme outil démagogique par des politiciens qui veulent utiliser un vote populaire sur des sujets émotionnels à des fins électoralistes.
Les réactions à ce vote populaire ont été virulentes, hostiles voire carrément blessantes. Une surenchère d’accusations, de reproches et de mépris démocratique ont poussé de nombreux représentants de la classe politique à faire des déclarations inappropriées voire déplacées – et ceci autant dans le camp des vainqueurs que dans le camp des perdants du vote*.
Démocratie directe
La Suisse est un Etat vieux de plus de 700 ans. Il s’est bâti au fil des siècles. Il s’est bâti de bas en haut. C’est même le rejet d’une élite qui a fédéré les Waldstätten (cantons fondateurs) et a donné naissance à la Confédération à la fin du XIIIème siècle. Puis, le pays s’est construit lentement, mais sûrement.
La Suisse est un pays dont la superficie est réduite, mais dont la variété des identités est grande. Nous y trouvons quatre langues, deux grandes religions, trois reliefs géographiques différents. Et toutes ces divergences sont encore accentuées par le fait que chaque région linguistique comprend des cantons protestants et catholiques, des cantons alpins, du Jura et du Plateau.
La Suisse est donc composée de petites entités ayant chacune une identité propre, une histoire propre et une culture particulière.
L’organisation fédérale de la Suisse, qui octroie de nombreux pouvoirs aux Cantons, (quoique la centralisation soit également un phénomène observé en Suisse) ainsi qu’une politique de neutralité perpétuelle (donc pas seulement limitée aux périodes de conflit) permet aux cantons d’assurer une cohésion dans la différence.
La démocratie directe n’est pas une invention Suisse. Au moyen-âge, sa forme originelle qui existe encore dans certains cantons Suisse (la Landsgemeinde), était répandue jusqu’au Saint-Empire Romain Germanique méridional. Mais elle n’a survécu en tant que système politique qu’en Suisse (d’Autres Pays connaissent le principe du référendum, mais il reste largement exceptionnel. Ce n’est qu’en Suisse ou la démocratie directe est pratiquée de façon systématique et qu’elle représente la base du fonctionnement politique de l’Etat).
La Démocratie directe nécessite un intérêt large et différencié pour les questions de politique de la part de la population. Elle nécessite une culture du débat particulière dans laquelle une politique d’opposition systématique n’est pas possible (l’opposant lors d’un scrutin peut être l’allié lors de la prochaine votation) – ce qui garantit une continuité gouvernementale et explique pourquoi en Suisse le Conseil fédéral ne démissionne pas après une défaite politique. Le Conseil fédéral lui-même étant composé de ministres appartenant aux horizons politiques les plus divers.
Mais la démocratie directe implique également le respect mutuel, le respect d’un parti envers l’autre et le respect du vainqueur du scrutin envers celui qui a perdu – et inversement.
Incompréhension Européenne
En Europe, la démocratie directe n’est souvent vue que comme outil démagogique par des politiciens qui veulent utiliser un vote populaire sur des sujets émotionnels à des fins électoralistes.
Ce sont surtout les partis d’opposition qui veulent faire passer leur programme par un vote populaire (le FN en France d’aujourd’hui ou encore Jean-Paul Sartre dans « Libération » en 1974). Mais comme démontré plus haut, la démocratie directe ne se prête pas comme outil démagogique dans une logique gouvernement-opposition. Elle est applicable dans un système basé sur le consensus politique.
L’Union Européenne et la démocratie directe
Le vote Suisse du 9 février dernier a provoqué un séisme politique dont l’épicentre est en Suisse mais les secousses se font sentir jusqu’à Bruxelles, Berlin, Paris et Londres.
Les réactions des élites politiques européennes étaient virulentes, violentes et parfois blessantes. Elles se caractérisent principalement par leur incompréhension du système Suisse.
L’Union Européenne est une construction diamétralement opposée à la Suisse, elle s’est bâtie par des élites internationalistes et non par les peuples. La démocratie directe n’est pas applicable dans l’UE, car les intérêts des citoyens des différents Etat membres sont trop divergents pour qu’un Système Suisse puisse être mis à l’œuvre au niveau continental. L’UE ne pourra et ne sera jamais démocratique.
Il ne s’agit pas ici de faire le procès de l’UE. Il s’agit de reconnaitre que le fonctionnement de l’Union Européenne n’est pas compatible avec celui de la Suisse. Mais la Suisse respecte le fonctionnement de l’UE et ne le remet pas en cause ! Le vote Suisse du 9 février n’est pas un vote contre l’Union Européenne en tant qu’institution, mais un vote pour la souveraineté nationale et l’indépendance de la Suisse.
Ce qui étonne le plus dans les critiques adressées à la Suisse, est que l’UE ne veut pas reconnaitre le droit de la Suisse (en tant que pays non-membre) de décider elle-même de sa politique. Si le peuple Suisse décide de renoncer à la libre circulation il ne rejette pas le principe de libre circulation au sein de l’UE et ne remet pas en cause les libertés sur lesquelles se fonde l’UE. Il veut que la Suisse, en tant que Pays tiers, soit traité comme tel et non comme un Etat membre. L’UE a-t-elle des accords de libre circulation avec tous ses pays tiers ? NON ? Alors il doit être possible que la Suisse entretienne de bonnes relations avec Bruxelles sans participer à la libre circulation.
Le vote suisse n’est pas un vote contre l’Union Européenne et ne représente pas une attaque aux libertés par lesquelles celle-ci se définit. Il est l’expression d’une volonté populaire à décider souverainement et démocratiquement de son avenir et de son destin !
Albert Leimgruber**
* Les propos de M. Blocher relatifs au vote romand sont autant déplacés que les propos de M. Levrat qui veut appliquer l’initiative uniquement là où elle a été acceptée. De tels propos sont nuisibles à la cohésion nationale et affaiblissent la démocratie directe
** Albert Leimgruber est collaborateur au secrétariat de l’Action pour une Suisse indépendante et Neutre, laquelle s’est engagée en faveur de l’initiative contre l’immigration massive. Il est éditeur et rédacteur en chef du magazine politique « Voix Libre ». Albert Leimgruber n’est affilié à aucun parti politique.
Albert Leimgruber, 14 février 2014
Heureusement que nous avons les suisses alémaniques !
Ceci dit, voici pour nous mettre un peu de baume au cœur,ce que ces jours nous pouvons lire dans la presse française…
“”Le 9 février les Suisses ont dit oui à une limitation de l’immigration via des quotas.Mais qui sait que cette riche contrée, que d’aucuns imaginent refermées sur ses vertes vallées, est en réalité la plus ouverte du continent européen?(…)Autre record “La Suisse est l’endroit où les immigrés sont le mieux intégrés sur le marché du travail” explique Thomas Liebig à l’OCDE”” (extraits d’un article paru dans la revue économique “Challenges”, hebdomadaire du 13 au 19 février.
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“Les Suisses sont réputés-moqués aussi-pour leur placidité légendaire.Ils devraient être désormais reconnus pour leur sagesse obstinée, leur capacités remarquable à résister aux pressions, insultes, menaces venues de toutes parts(…) Les Suisses sont les vrais, les seuls héritiers de la démocratie selon J-J Rousseau.Ils sont sans doute les derniers en Europe à mériter le beau nom de citoyens” (extraits de l’article d’Eric Zemmour :” Démocratie : le modèle helvétique” dans Le Figaro Magazine du 13 et 14 février)
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” Les Suisses? Indésirables dans les salons.En 2009, ils avaient refusé les minarets, sous les injures des convertis à la diversité.Les voilà qui récidivent en votant non à l’immigration de masse (…)Le nouvel affront est vu comme une déclaration de guerre par les remplacistes de Bruxelles.Contrariés dans leur “vivre ensemble” ils menacent de représailles le peuple insolent qui a répondu dimanche à un référendum proposé par l’UDC. Mais les oligarques devraient se méfier : la démocratie suisse est devenue l’interprète de bien des rebellions populaires.” (extraits de l’article de Ivan Rioufol “La Suisse accélère le sursaut des peuples” paru le 14 février dans Le Figaro.
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” D’aucuns ont une conception bien à eux de la démocratie.C’est le cas des socialistes et des technocrates européens.Mars 2013: la Suisse décide par une votation d’encadrer les salaires des grands patrons; J-M.Ayraut y voit une “excellente expérience démocratique, dont il faut s’inspirer” tandis que la Commission européenne se réjouit d’un vote important. Février 2014: la Suisse décide par votation de limiter l’immigration de masse; le gouvernement français s’en va déplorer le référendum y voyant une “mauvaise nouvelle” et la commission européenne fait savoir qu’elle “regrettait” ce vote.Au pays des socialistes et et de la technocratie bruxelloise, il en va de la démocratie comme des indignations : c’est à géométrie variable.Ils sont favorables au pouvoir du peuple quand le peuple vote comme eux.(…)Je crois profondément à la légitimité populaire et à la souveraineté populaire.” (extraits de l’article du vice-président de l’UMP Guillaume Peltier “Votation suisse sur l’immigration: un exemple à imiter” paru dans Le Figaro du 14 février)
je confirme , j’habite en Suisse romande :les romands ne se battraient pas pour l’indépendance
ils vendraient facilement la Suisse ä l’UE d’ailleurs le vote de 92 et celui de 2014sont les mêmes!
“La démocratie directe n’est pas applicable dans l’UE, car les intérêts des citoyens des différents Etat membres sont trop divergents pour qu’un Système Suisse puisse être mis à l’œuvre au niveau continental. ”
Bizarre! Je ne vois pas très bien en quoi les intérêts des citoyens des Etats membres de l’UE seraient trop divergents pour appliquer la démocratie directe, ce sont peut-être les gouvernements qui ont des intérêts divergents. Même dans le cas où cela serait vrai, ils ont aussi des intérêts convergents. Il est clair que c’est un travail de longue haleine de mettre d’accord un ensemble de peuples hétéroclites, mais ce n’est pas forcément impossible.
Croyez-vous que les citoyens des cantons suisses ont des intérêts convergents? Il n’y a qu’à voir certaines votations pour s’en convaincre.
Quant aux propos de Christophe Blocher, il s’en explique:
“Je n’ai jamais dit que les Romands sont de mauvais patriotes, et d’ailleurs je ne le pense pas non plus. Lorsque j’évoque “une conscience nationale plus faible” du côté de la Suisse romande, je fais référence à l’Histoire. En Suisse alémanique, on est très attaché à l’histoire suisse et au souvenir des premiers cantons de la Confédération qui se sont liés il y a plus que 700 ans. Par contre, les Romands se déclarent “plus ouverts”. En 1992 ils étaient en majorité en faveur de l’adhésion à l’UE et nous traitaient “d’isolationnistes”. Ce que je veux dire par là, c’est que les Romands ne se battent pas tellement pour l’indépendance.”
http://www.lesobservateurs.ch/2014/02/13/la-phrase-de-trop/
Par rapport aux propos insultants de ceux qui n’ont pas accepté leur défaite, c’est insignifiant.