La presse aux ordres se déchaîne pour détruire, dans les coeurs épris de liberté, l'effet libératoire du vote de dimanche dernier; cet espoir du peuple fort, infiniment plus fort, que les intérêts silencieux de toutes les castes réunies.
Il y a deux jours, Libération titrait "le Virus suisse", reprochant à la droite française d'y retrouver son compte. Dans son éditorial, intitulé "Indignation", Eric Decouty s'insurge:
"Le vote anti-immigration des Suisses est une mauvaise nouvelle. Pour les Suisses eux-mêmes qui, après avoir manifesté il y a quatre ans un sentiment antimusulman à travers la votation contre les minarets, expriment désormais le rejet de leurs voisins les plus proches, dont ils partagent souvent la culture et la langue. Ce repli identitaire qui consacre une fois de plus la stratégie du parti populiste de Christoph Blocher aura nécessairement des conséquences sociales dans un pays qui ne connaît presque plus le chômage. Mais ce vote est également une mauvaise nouvelle pour les Européens, pour la libre circulation des travailleurs et pour les relations étroites nouées de très longue date entre la Suisse et l’Allemagne ou la France. Un vote qui posera nécessairement la présence de la confédération dans l’espace Schengen.
La majorité helvétique qui s’est exprimée dimanche illustre enfin le risque de contagion du discours glauque mêlant le sentiment anti-européen, le rejet des étrangers et le refus d’un supposé «système» politique. Cette prolifération du populisme en Europe est d’autant plus inquiétante qu’elle contamine partout, et notamment en France, la droite républicaine. Le satisfecit attribué par François Fillon aux électeurs suisses en est une sombre illustration. A la veille d’élections continentales qui risquent de consacrer les démagogues de tout poil, c’est une réponse européenne que les républicains doivent apporter. L’indignation entendue, hier, à Paris, Berlin, Londres et ailleurs, doit se traduire dans des actes. Il est encore temps d’expliquer que l’Europe et l’immigration sont une chance économique et culturelle pour toutes nos sociétés."
Tout y est, la démocratie a le tort de ne pas avoir voté juste, les Suisses sont racistes et l'UE doit sévir...
Or, le premier numéro de Libération, titre fondé notamment par Jean-Paul Sartre, du 5 février 1973 (1), soit près de 41 ans jour pour jour avant le vote de dimanche, tenait un tout autre discours:
"« La politique pour « Libération », c'est la démocratie directe. Aujourd'hui, élire un député, c'est vouloir que le peuple ne dise son mot, qu'une fois tous les cinq ans. Et encore, pendant ces quatre années, « l'élu du peuple » peut-il faire ce qu'il veut ? Il n'est pas placé sous le contrôle de ses électeurs ; il ne représente que lui-même. Mais si des gens du peuple veulent dire pourquoi il voteront, ils pourront le faire dans « Libération ». Cette forme de débat est possible dans les colonnes du journal. Pour sa part, l'équipe de « Libération » refuse de cautionner un système qui coupe la parole au peuple. »"
Jean-Paul Sartre ne faisait que dénoncer la démocratie parlementaire comme pilier d'un "système" interdisant au peuple de s'exprimer librement, et se proposait de lui substituer la démocratie, la vraie. A 40 ans de distance, on se demande qui a gagné.
Car c'est précisément là l'une des preuves flagrantes de la capacité de ce système, dont l'existence ne pouvait être mieux révélée sous la plume de Decouty, que d'avoir su récupérer et dévoyer ces nobles aspirations pour en venir à commanditer à un vague domestique une critique en règle de la démocratie directe là où elle a encore la liberté de s'exprimer. Le "système" ne veut pas de la démocratie, il la déteste autant qu'il la craint, il faut impressionner les masses pour les détourner de la tentation démocratique.
Sartre et Vernier seront dégagés en 1974, remplacés par Serge July, quintessence du fils à papa soixante-huitard, communiste, puis maoïste, puis... journaliste, qui poussera Libé du côté obscur, célébrant l'action violente (2), la victoire des Khmers rouges, la pédophilie (ici, ici et ici), supprimant l'autogestion du titre par ses employés pour finir par inoculer Edouard de Rotschild dans le capital... Mais le "système" politico-economico-médiatique est une légende populiste, qu'on se le dise.
Voir encore Arte - 28 minutes du 12.02.2014 sur les débuts de Libération (dès 22:50)
(1) Deux jours avant le 3 février, les fondateurs publiaient le Manifeste du quotidien, lequel statuait: "La doctrine du quotidien est : « Peuple, prends la parole et garde-la »"
(2) Mais pas trop longtemps, jusqu'en 78 seulement, la classe dirigeante préférant sans doute voir le lectorat de Libération sagement assis à lire le journal dans son salon...
Intriguant de voir comment la “francophonie” sert de terreau idéal à la propagation du marxisme, du relativisme, du globalisme et de tous les autres cancers sociétaux. L’exemple helvétique est frappant.