Lors d'une interview dans les colonnes de la Basler Zeitung, invité à expliquer le score relativement faible de l'initiative "Contre l'Immigration de Masse" en Romandie, l'ignoble Christoph Blocher aurait commis l'irréparable au détour d'une petite phrase en affirmant:
"Les Romands ont toujours eu une conscience nationale plus faible."
Le Temps relate les grandes lignes de l'interview en mettant ladite réplique au sommet de l'article - tronquant le reste de l'explication - mais ne va pas plus loin: le journaliste de garde n'a sans doute pas décelé toute l'exploitation possible du scandale.
Rien de tel chez Tamedia où on a plus d'expérience lorsqu'il s'agit de faire du buzz. Devant l'occasion rare de faire payer le tribun tenu pour responsable du choix populaire du 9 février, la rédaction du Matin organisera donc un tollé dans les formes - avec pas moins de quatre articles sur le sujet, puis un cinquième pour récolter les aveux de l'intéressé.
Alors que le président du PS Christian Levrat se ridiculise avec dix propositions-choc pour punir les mauvais Suisses qui ont eu l'audace de contrecarrer la vision européiste des socialistes - pêle-mêle les agriculteurs, les Suisses allemands, les étrangers sous forfait fiscal, les propriétaires de logement dans les régions périphériques... - dans un article qu'il a eu le temps de mûrir et de relire, on préférera s'acharner longuement sur une simple phrase du vice-président de l'UDC, comme s'il cristallisait sur lui toute la rage contenue par une gauche politico-médiatique incapable d'accepter un verdict des urnes n'allant pas dans le "sens de l'histoire". Bouc-émissaire, avez-vous dit?
Mais, pour commencer, y a-t-il vraiment de quoi s'indigner?
"Je n’ai jamais dit que les Romands sont de mauvais patriotes, et d'ailleurs je ne le pense pas non plus. Lorsque j’évoque "une conscience nationale plus faible" du côté de la Suisse romande, je fais référence à l’Histoire. En Suisse alémanique, on est très attaché à l’histoire suisse et au souvenir des premiers cantons de la Confédération qui se sont liés il y a plus que 700 ans. Par contre, les Romands se déclarent "plus ouverts". En 1992 ils étaient en majorité en faveur de l'adhésion à l'UE et nous traitaient "d'isolationnistes". Ce que je veux dire par là, c'est que les Romands ne se battent pas tellement pour l’indépendance."
Les Romands, férus de conscience nationale? Cela ne correspond pas tellement à mon expérience. "Genève n'est pas la Suisse", me rappelaient avec insistance, en guise de patriotisme, plusieurs Genevois de mes connaissances. "Les Vaudois ne se sont jamais battu pour leur indépendance, leur autonomie leur a simplement été offerte par Napoléon pour contrarier les Bernois alors qu'il envahissait le pays" m'expliqua, en guise d'amour de la liberté, un Vaudois féru d'histoire lors du bicentenaire du canton. Et de m'apprendre que le Major Davel ne fut célébré comme héros que longtemps après sa mort...
En revanche, combien de Romands m'avouèrent leur admiration pour la France, ce "grand et beau pays" - quoique son étoile ait légèrement pâli depuis quelques années - face à cette Suisse si étroite d'esprit, ringarde et étriquée! Combien de mots n'ai-je entendu contre les Suisses-totos, obstacles à tous les rêves de grandeur d'une Romandie ouverte sur le monde! Pendant combien d'année les Romands regrettèrent que les Alémaniques les aient empêché de devenir européens!
Mais admettons que le vieux lion de l'UDC se soit fourvoyé à cause de son mépris supposé à l'égard des Romands. Je ne demande alors qu'une chose à mes concitoyens: montrons-lui à quel point il se trompe. Que la Suisse romande s'illustre désormais par son patriotisme sans faille, qu'elle en remontre à ces Suisse-allemands d'outre-Sarine! Qu'elle prouve à quel point elle a à cœur les intérêts du pays dans son ensemble, de Vernier au Couvent bénédictin de Müstair! Qu'elle affiche sa fierté d'être suisse dans ses paroles et ses actes! Qu'elle oblige le reste du pays à prendre acte de son sens de l'intérêt général! Je ne demande pas mieux!
Et, puisque nous sommes dans le contexte de l'initiative victorieuse contre l'Immigration de Masse, la Romandie a immédiatement une carte à jouer: qu'elle montre à quel point elle respecte le verdict démocratique exprimé de Suisse alémanique au Tessin et l'accepte sans arrière-pensée!
Y a-t-il meilleur moyen de montrer au reste de la Suisse l'intensité de sa conscience nationale?
Stéphane Montabert
http://stephanemontabert.blog.24heures.ch/
Et vous, qu'en pensez vous ?