En 2011, une étude a été réalisée sous l'égide de l'Education Nationale française. Son objectif: mesurer l'impact des loisirs des adolescents sur les performances scolaires. 27'ooo adolescents ont ainsi été suivis dans cette optique. Deux des auteurs de ce travail présentent les résultats de leurs travaux sur le site des Cahiers Pédagogiques (1). Il en ressort que la lecture serait le loisir le plus bénéfique, alors que l'exposition à de la téléréalité aurait l'impact le plus négatif, les résultats chutant de 11% à 16% selon les domaines étudiés.
Il est dommage que l'étude en question ne soit pas présentée un peu plus dans les détails. Peut-être aurions-nous pu en savoir un peu plus. Car dans le fond, est-ce vraiment la téléréalité qui pose problème ou le média télévision? Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherches à l'INSERM, répond, lui, à la question. Les fruits de son labeur prennent la forme d'un ouvrage magistral (TV Lobotomie, 2012, Ed. Max Milo) recensant ce que la recherche a à nous dire sur la télévision. Et les résultats sont plutôt inquiétants.
Une importante étude a été réalisée au Canada en 1973. A cette date, une ville de taille moyenne se situant dans le fond d'une vallée ne pouvait pas recevoir la télévision. Afin de remédier à ce problème, décision fut prise d'implanter une antenne relais. Ayant pris connaissance de la situation, 13 chercheurs ont donc décidé de tester les aptitudes des habitants juste avant l'installation de la télévision. Un deuxième test a été réalisé, mais cette fois-ci deux ans après l'installation de l'antenne. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus dans 2 villes témoins: la première d'entre elle ne pouvait alors recevoir qu'une seule chaîne télé, alors que la seconde en disposait de 4.
Après une année d'apprentissage de la lecture, les enfants de la première ville surpassaient largement ceux des deux autres cités. D'ailleurs, deux ans plus tard encore, ceux-ci obtenaient des résultats inférieurs à ceux obtenus par les enfants de la première ville deux ans plus tôt! Malheureusement, dès l'arrivée d'une nouvelle volée d'enfants ayant grandi avec l'implantation de la télévision, cet avantage s'est évanoui. Deux ans de télévision ont donc suffi à réduire à néant l'avantage considérable possédé par les enfants autrefois privés de télévision.
A la suite de cette première étude stupéfiante, 5 autres travaux portant sur des centaines de milliers de jeunes virent le jour aux Etats-Unis. Leurs conclusions sont unanimes: le temps passé devant la télévision est associé négativement aux résultats scolaires. Ainsi, il a été déduit qu'à l'âge de 12 ans, le taux de réussite à un test standard chute de 8% dès lors que la consommation de télévision passe de 1 heure ou moins à 4 heures et plus par jour. A 18 ans, l'écart se creuse encore puisque la chute est de 13%.
Certains ont, à juste titre, signaler que ces études passaient sous silence l'impact du statut socio-économique des enfants. Si la critique est cohérente, la différence est trop nette pour minimiser le désastreux effet de la télévision. On peut en revanche ajouter que ce sont les enfants des milieux aisés qui subissent le plus les conséquences nocives de la télévision puisqu'ils ont plus à perdre. Le petit écran joue donc un rôle largement égalisateur (dont on se passerait volontiers) en la matière.
Allant plus loin, certains ont volé au secours de la petite lucarne en avançant que c'était plutôt l'existence de difficultés scolaires qui poussait l'enfant vers la télé et non l'inverse. L'argument ne tient pas puisque d'autres études ont clairement établi qu'une diminution du temps d'exposition audiovisuelle contribuait à une amélioration rapide des performances scolaires.
Un nombre impressionnant d'études démontrent par ailleurs qu'une consommation audiovisuelle accrue dans les premières années de l'existence a un impact désastreux sur les résultats de la scolarité, et ce jusqu'au diplôme universitaire! Voici quelques uns des résultats obtenus: les enfants de 8 ans n'ayant pas la télévision dans leur chambre ont des performances supérieures de 21% en lecture, 26% en compétence verbale et 34% en mathématiques sur leurs congénères. Chaque heure de télévision supplémentaire consommée à l'âge de 2,5 ans se traduit par un chute de 6% des compétences mathématiques des enfants à l'âge de 10 ans, etc. En un mot comme en cent, la télévision a un effet délétère sur les résultats scolaires des jeunes.
Desmurget ne se contente pas d'établir ce lien entre les heures passées devant le petit écran et les performances scolaires. Il explique également pourquoi le médias télé est nocif. En premier lieu, il fait remarquer que la télévision véhicule des valeurs radicalement opposées à celles de l'école. Tout n'y est qu'immédiateté, promotion de la réussite spectaculaire sans efforts, promotion de l'exposition de l'intimité, fonctionnement dans l'instantané et satisfaction immédiate. A ce propos, la téléréalité est vraisemblablement à la pointe de ces anti-valeurs. Dans ce contexte, la télévision parvient à dissuader ses consommateurs de toute velléité de curiosité et de conquête. Habitués à ne plus perdre de temps avec des informations qui ne sont pas frappantes ou très excitantes, les télévores sont beaucoup moins disponibles pour l'acquisition lente et progressive de connaissances abstraites.
Secundo, il est aujourd'hui prouvé que la télévision a tendance à corroder l'ardeur au travail des enfants. Une étude menée à Boston auprès de 4-17 ans démontre que le temps moyen consacré quotidiennement aux devoirs chute de 20% lorsque la télévision est accessible. Plus encore, ce pourcentage atteint 80% les jours de week-end. Corroborant ces résultats, la dernière étude en date citée par Desmurget met en évidence un déficit de 14% de temps consacré aux devoirs chez les 4 à 6 ans et de 18% chez les 9-12 ans qui regardent assidûment la télé.
Tertio, si la télévision se substitue au temps d'étude, il n'y a aucune raison que cela soit différent vis-à-vis des loisirs intelligents. Le temps consacré au petit écran ne s'ajoute pas au temps de lecture mais s'y substitue largement. La recherche scientifique démontre que dès lors qu'on connecte une ville au poste, le temps de lecture de l'ensemble de la population va diminuer dans des proportions drastiques allant jusqu'à 50%! Et comme la lecture enrichit le vocabulaire et les concepts qui permettent à l'esprit de se développer...
Quatrièmement, il faut signaler que les fonctions d'apprentissage et de mémorisation dépendent directement de la capacité d'attention des enfants. Or, là aussi un certain nombre d'études démontrent que la télévision favorise l'apparition de troubles de l'attention. On a ainsi pu démontrer que chaque heure passée devant le poste entre 5 et 11 ans augmente de près de 50% la probabilité d'apparition de troubles de l'attention à 13 ans. Un autre travail avance, lui, que chaque heure passée devant le poste à 14 ans augmente de 44% l'apparition de troubles de l'attention à 16 ans. Enfin, il a également été montré que chaque heure de programme non-violent consommé quotidiennement avant 3 ans augmente de près de 75% la probabilité d'occurrence de troubles attentionnels à 8 ans alors que les contenus violents multiplient ce niveau de risque de 2,2!
Mais comment la télévision peut-elle réaliser une telle prouesse? Il semble que lorsqu'il est sollicité par une succession frénétique de stimulis si forts, le cerveau en développement s'habitue à modifier continuellement ses focalisations cognitives et les objets sur lesquels sont engagées ses ressources intellectuelles. De plus, il apprendrait à avoir besoin de stimulations fortes pour maintenir son intérêt. Deux autres raisons au moins contribuent à faire de la télévision un empêchement majeur au développement cognitif harmonieux des enfants en bas-âge. La première est que lorsque la télé est allumée, les parents sont moins disponibles pour bébé. Par conséquent, ils le stimulent moins et son développement en pâti. La seconde est un petit peu plus complexe: lorsqu'il joue avec des objets, un jeune enfant se développe. Par exemple, il joue un moment avec une peluche, puis laisse sa peluche pour s'intéresser à une petite voiture. Puis, dans un troisième temps, il prend la peluche et la petite voiture simultanément etc. Il complexifie donc au fur et à mesure ses schémas de jeu. Or, lorsque la télévision est allumée, il y a à peu près nécessairement un bruit qui va attirer son attention et lui faire perdre le fil. Au lieu de continuer son développement là où il en était, l'enfant recommence tout à zéro et, à la longue, au lieu de disposer de schémas de pensée de plus en plus complexes, il ne bénéficie que de séquences simples qui se suivent. Pas besoin d'être astrophysicien pour comprendre qu'il accumule un certain retard qu'il peut payer cash dans ses futures pérégrinations scolaires. (2)
L'ouvrage de Desmurget dépasse largement ce cadre scolaire. Il fait le tour de la question de tout ce qui touche à la télévision: santé, rapport à la violence etc. Le tout est appuyé sur une bibliographie impressionnante de près de 70 pages! Quiconque s'intéresse à cette problématique doit impérativement se procurer ce livre essentiel pour alimenter la réflexion. Si L'Etat veut favoriser le développement de la jeunesse, alors il ne peut pas continuer à soutenir la télévision (publique notamment) contre vent et marée, mais doit bien plutôt informer à large échelle au sujet des conséquences...
Stevan Miljevic, le 5 février 2014
http://stevanmiljevic.wordpress.com
(1) http://www.cahiers-pedagogiques.com/L-impact-des-loisirs-des-adolescents-sur-les-performances-scolaires
(2) l'ensemble des données traitées ici sont disponibles dans l'ouvrage de Michel Desmurget "TV lobotomie, la vérité scientifique sur les effets de la télévision" paru aux Editions Max Milo en 2012 dans les pages 73 à 120.
Ces reflections m’ont ouvert les yeux je vous en remercie
Il faut préciser ce qu’on entend par TV aujourd’hui ? Car le poste récepteur d’autrefois est devenu un écran multisources. (Dvd, replay, streaming, jeux vidéo)
Est-ce que ces recherches se sont intéressés aux programmes des chaînes absorbés par les enfants ou à l’écran quel que soit la source visionnée ?