L’IVG, Alain Berset, la RTS et des chiffres frelatés ?

L'émission de fact checking du Journal du Matin de la RTS, Factuel, revient sur la statistique d'avortement en Suisse avancée par le Conseil fédéral. Un sens rare de la lacune d'esprit critique ? Non, mais peut-être une légère distraction des points qui posent problème.

 

Les taux d'avortement suisses seraient les plus bas d'Europe et la dépénalisation de 2002 aurait amorcé une louable diminution des courbes, surtout chez les adolescentes. Ceci étant dit pour satisfaire à la nouvelle méthode de communication de l'Etat sur l'avortement: l'avortement, terrible, regrettable, malheureux, est à éviter à tout prix, une permissivité officielle, une "légalisation", restant la meilleure façon d'en faire baisser le taux, les chiffres confirment; CQFD !

Le commentaire de la RTS mentionne toutefois "un changement dans la méthode de calcul" qui expliquerait la baisse radicale après l'entrée en vigueur de la dépénalisation, et de préciser que ce phénomène ne se vérifie pas dans des pays voisins au bénéfice de mesures similaires. Conclusion ? Les raisons d'une hausse ou d'une baisse ne s'expliquent pas concrètement; on se perd alors en conjecture, bonne information des jeunes, libre accès à la contraception etc. Bref, on ne sait pas, le flou total.

 

Brève analyse

Baisse des chiffres après 2002

Pour juger d'une baisse des taux d'avortement après l'entrée en vigueur de la dépénalisation il faut disposer de deux choses: Une statistique officielle avant et une statistique officielle après, si possible sur la même base de calcul.

Or, de l'aveu même de l'Office fédéral de la statistique (OFS) lors d'un communiqué daté de 2007 (p. 3): "Jusqu'en 2003, les données proviennent, pour une large part, des cantons et, pour une faible part, d'estimations de l'Union suisse pour décriminaliser l'avortement (USPDA)". Confier la collecte de données statistiques à une association impliquée de façon militante dans le débat peut paraître déjà peu objectif; faut-il y voir une sorte de récompense par voie de reconnaissance ? Plus surprenant encore, ladite association, suite aux votations de 2002, s'est dissoute en 2003, comprendre donc que ces chiffres ont été réunis par une personne seule, Anne-Marie Rey, gentille vieille dame de 65 ans alors, dont la formation se résume au demeurant à un diplôme d'interprète et à trois ans de cours de danse...

Avant 2003, d'une, les cantons ne récoltaient pas de données systématiques, de deux, les chiffres de l'USPDA s'en tenaient à une source unique, l'étude du Prof. Heinrich Stamm de... 1966. Etude fortement critiquée par la profession dès sa publication en raison de sources fantaisistes. C'est sur cette base que l'on entendra des conseillers nationaux socialistes, comme Margret Kiener Nellen, parler de 50'000 avortement clandestins entre 1950 et 1960; invérifiable.

Un simple coup d'oeil sur les chiffres de l'USPDA - pour autant que l'on s'en satisfasse - tend à démontrer deux choses:

- 1. Les chiffres n'ont pas attendu 2002 pour diminuer, mais sont en baisse constante depuis... 1970.

- 2. La notion de baisse est utilisée en fonction des besoins de campagne: à chaque occurrence, 2013 compris, la gauche brandit des chiffres abracadabrants d'avortement clandestins, mais sur le site de l'USPDA, une fois chose faite, on peut lire: "En Suisse, le nombre d'avortements clandestins était élevé dans la première moitié du 20ème siècle, lorsque l'avortement était la méthode la plus répandue de régulation des naissances. Aujourd'hui, ce nombre est sans doute négligeable." Statistique à géométrie variable.

Après 2002, certains cantons refusèrent de renseigner sur les critères de comptabilisation (Bâle fit même l'objet d'un début de procédure), preuve s'il en est de la faiblesse des "estimations" mentionnées par l'Office fédéral de la statistique.

 

Blocage statistique après 2002

Que l'Etat tienne le couteau de la statistique par le manche, voilà qui, somme toute, peut paraître normal. Reste que, nonobstant la collection systématique sans entrave, dès 2007, de toutes les statistiques cantonales et, surtout, une hausse de la population, le compteur reste indéfiniment bloqué sur 10'800 avortements et des poussières, ce malgré une hausse de la population de près de 10% ces dix dernières années. Un problème ?

A cette augmentation de la population doit s'ajouter l'ouverture récente aux avortements dits médicamenteux. Avortements médicamenteux par Mifegyne, pratiqués d'ordinaire jusqu'à la 7e semaine de grossesse et qui provoquent effectivement des fausses-couches, c'est le principe. Ces occurrences sont réputées être prises en compte dans la statistique des avortements mais seraient en fait présentées comme fausses-couches naturelles pour garder des taux les plus bas possibles. Affirmation qui reste encore à vérifier, cela va de soi. Subsiste la question des avortements médicamenteux par Norlevo, abortif d'urgence jusqu'à 72 heures après la conception, présenté comme un contraceptif et qualifié le plus souvent de "pilule du lendemain", ce qui explique que, nonobstant l'effet strictement abortif, celui-ci soit regardé "culturellement" comme contraceptif. Le fait est en outre que ce type de produit peut s'obtenir en pharmacie ou chez le médecin traitant et que l'OFS n'a pas fait la preuve d'une comptabilité précise des avortements conséquents à ce type de médication.

En 2008, Pharmasuisse démontrait, dans un calcul tendant à la baisse en raison du secret maintenu sur le chiffre réel des ventes en cabinet, que les ventes de Norlevo pour les femmes enceintes de moins de 16 ans avaient doublé en quatre ans (2003-2007) pour atteindre le chiffre hallucinant de 78'000 unités. Révélation qui fit bondir en son temps l'OFS. Reste la réalité du business: selon des sources industrielles autorisées, le chiffre absolu des ventes globales de Norlevo a augmenté de près de 250% ces dix dernières années.

 

S'ajoute à cela l'arrivée sur le marché de la pilule du lendemain EllaOne, efficace 5 jours après le rapport et qui aurait, selon une récente étude autrichienne, ensemble avec les produits répondants à la qualification de "pilule du lendemain", un taux d'avortement de près de 5%.

La population s'accroît, la vente d'abortifs médicamenteux explose, mais la statistique d'avortement ne bronche pas. Autant d'éléments qui sèment un doute certain sur les chiffres étatiques battus et rebattus lors de campagne à enjeux politiques évidents. A cet égard, l'argument de l'accès facilité à la contraception semble fonder l'évidence d'une confusion entre contraception et avortement médicamenteux.

Une statistique fondée sur la tarification Tarmed et une ouverture des données relatives aux ventes d'abortifs permettraient de faire le jour sur la réalité du nombre et des coûts de l'avortement, réalité dont le Conseil fédéral ne veut, de toute évidence, pas entendre parler.

 

RTS, Journal du Matin 23.012014

 

Voir encore

Financer l’avortement: le débat parlementaire

2 commentaires

  1. Posté par Octave Mirbaud le

    Au contraire, il paraît assez bien documenté, le lien que vous citez mentionne les chiffres très contestés du Pr. Stamm, la statistique cantonale lacunaire et “à bien plaire” des années 90. Pas un mot en revanche sur les sources de ces fameuses “estimations” de l’USPDA de 2003, qui semblent fixer dans l’absolu des chiffres aux origines peu vérifiables et qui, ô suprise, n’ont pas bronché en dix ans nonobstant une augmentation de la population de plus d’un million de concitoyens.

    La grossesse commence peut-être à la nidation, mais la vie, elle, commence à la conception. Sans elle, pas de nidation. Et que dire des grossesses extra-utérines viables qui ne connaissent pas de nidation. La pilule supprime donc bien la cause première de la grossesse, la vie.

  2. Posté par Elisabeth Kuhn le

    Cet article sur les statistiques est peu précis. Pour voir les informations sur comment les statistiques des interruptions legales en Suisse ont été élaborées cf. http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/statistiques.htm . Depuis le début des années 1990, TOUS les cantons sauf Zurich, disposaient de statistiques officielles. Il ne fallait que les rassembler.
    La “pilule du lendemain” n’est PAS un abortif. La grossesse ne débute qu’avec la nidation.

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