Que sont les socialistes d’antan devenus ? Comme ils me manquent les vieux militants ! Comment vais-je vivre parmi de petits bourgeois ? Il ne me reste plus qu’à aller me coucher moi aussi, en signe de solidarité. Au moins, je ne serai pas tout seul. Jean Ziegler fait déjà dodo. Je l’entends ronfler.
Oui, j'ai peur pour les socialistes parce que je me mets à leur place. Ils sentent que leur univers est sur le point d'exploser et ça me fait bien du souci. Comment tiendront-ils le coup sous cette explosion ? Psychanalystes et psychologues savent ce qui se passe : pertes des repères, paranoïa aiguë, crises de panique. Même à son pire ennemi, on ne peut souhaiter de telles choses.
Parfois je me juge bien prétentieux de prédire l'explosion du paradigme socialiste. Comment osai-je ? Le pire est que, peut-être, je souhaite inconsciemment assister à cette explosion. Schadenfreude ? J'espère que non, car alors, je serais un bien triste sire. Donc, l'effondrement du socialisme, je le sens venir, mais je ne le souhaite pas. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
D'ailleurs je ne mens pas. La preuve, c'est que je suis plein de compassion pour les victimes de cette future explosion. Comment vont-elles traverser les ruines fumantes de la justice sociale, de l'Etat-providence, de la compassion universelle ? De plus, derrière ces ruines, les rescapés devront affronter les babines méchantes et retroussées de l'horrible extrême-droite. Rien que d'y penser me fait froid dans le dos. Pourtant les socialistes l'ont dénoncée, l'extrême-droite. Eh bien, ça n'a servi à rien.
La nuit va tomber sur la terre pour des siècles. Par comparaison, le changement climatique, c'est rien. Qu'on y songe : l'espoir d'un monde meilleur va se briser. Comment fait-on pour vivre sans cet espoir ? Ne reste-t-il plus, alors, qu'à s'adapter, à devenir un rouage dans la déprimante machine du capitalisme ? Je ne veux pas y penser, c'est trop affreux.
C'est vrai que les socialistes l'ont bien cherchée, leur apocalypse. Ils sont devenus des gestionnaires dans des gouvernements de coalition. Ils se sont assis dans des fauteuils de bobos pour mieux se faire applaudir par la galerie. En fait, ils sont devenus les rouages d'une modernité ronronnante et n'ont plus que les larmes pour pleurer leur dissidence perdue. Dire qu'ils nous encourageaient autrefois à laisser le vieux monde derrière nous et à courir vers un nouveau monde ! Même moi, je me suis mis à courir. Et aujourd'hui, autour de moi, plus personne ne court plus. Je ne vais tout de même pas continuer à courir tout seul.
Que sont les socialistes d'antan devenus ? Comme ils me manquent les vieux militants ! Comment vais-je vivre parmi de petits bourgeois ? Il ne me reste plus qu'à aller me coucher moi aussi, en signe de solidarité. Au moins, je ne serai pas tout seul. Jean Ziegler fait déjà dodo. Je l'entends ronfler.
Jan Marejko, 21 janvier 2014
Et vous, qu'en pensez vous ?