Mon Oignon, ma liberté et moi

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Epluchant mon oignon, je méditais donc sur la théorie de Hannah Arendt. Pour elle, on n’arrive pas à trouver le centre dirigeant d’un système totalitaire. On a beau éplucher un tel système, on ne trouve pas son “cœur”. J’épluchais donc mon oignon pour vérifier s’il n’avait pas un cœur, quelque pépin. Mais tandis que j’épluchais, je me mis à pleurer à cause de l’oignon. Et plus je pleurais, moins je voyais ce que je faisais. Lorsque, arrivé à la fin de mon épluchage, j’ai voulu voir si mon oignon avait un cœur, je n’ai rien vu du tout, ni pépin, ni absence de pépin. A cause des larmes.

L'autre jour, je me suis décidé à faire un peu de cuisine. D'abord je suis allé dans un supermarché. Pourquoi super, me suis-je demandé ? Je n'ai pas trouvé de réponse mais je suis tout de même entré pour acheter des oignons, une boîte de conserve et un ouvre-boîte pour ouvrir cette boîte. Je ne voulais acheter qu'un seul oignon et je dus le peser. Comme d'habitude, je m'émerveillai face à une balance électronique qui, en une milliseconde, fait sortir un ticket avec le poids et le prix du légume acheté. Une fois de plus, je me demandai comment cela était possible, bien que je susse qu'avec l'électronique, il ne faut pas essayer de comprendre.

Une fois rentré chez moi j'ai voulu ouvrir l'emballage de l'ouvre-boîte. C'est fou comme tout est emballé aujourd'hui. Cet emballage était en plastique et j'entrepris de l'ouvrir. Le plastique était rigide et je n'y arrivais pas. Au moment où j'ai pu le faire, le plastique rigide m'a fait une grosse entaille au doigt et je me suis emporté. Que lui avais-je fait ? J'ai eu envie de faire un procès au supermarché. On verrait bien s'il était si super que cela ! Il faut dire que je suis un peu parano.

Ayant réussi à ouvrir la boîte, et pour tout bien faire, j'ai essayé de comprendre ce qui était écrit sur la boîte de conserve, mais je n'y arrivais pas. Les caractères étaient trop petits. De toute façon je n’y aurais rien compris. Pourquoi donc ai-je essayé de le faire ? Ensuite il m'a fallu éplucher mon oignon. Je me réjouissais. Je venais de lire une théorie de Hannah Arendt sur les systèmes totalitaires. Elle disait qu'ils avaient la structure d'un oignon. Je ne comprenais pas, mais avec un vrai oignon, j'allais comprendre. J'étais impatient de savoir si je vivais dans un système totalitaire ou non. Après tout, c'est important de savoir si l'on est dans un régime de liberté ou d'esclavage. Je sais, on me dira que si j'étais libre de faire la cuisine, c'est que je vivais dans un régime de liberté. Est-ce pour cela qu'il y a tant de programmes de télévision où de grands et petits chefs font la cuisine devant nous, téléspectateurs émerveillés ?

Epluchant mon oignon, je méditais donc sur la théorie de Hannah Arendt. Pour elle, on n'arrive pas à trouver le centre dirigeant d'un système totalitaire. On a beau éplucher un tel système, on ne trouve pas son "cœur". J'épluchais donc mon oignon pour vérifier s'il n'avait pas un cœur, quelque pépin. Mais tandis que j'épluchais, je me mis à pleurer à cause de l'oignon. Et plus je pleurais, moins je voyais ce que je faisais. Lorsque, arrivé à la fin de mon épluchage, j'ai voulu voir si mon oignon avait un cœur, je n'ai rien vu du tout, ni pépin, ni absence de pépin. A cause des larmes.

J'ai donc dû retourner dans un supermarché pour acheter un autre oignon. Mais avant, je voulais acheter un yoghourt et je me dirigeai vers le rayon des yoghourts. En arrivant, je crus avoir une hallucination, tant ils semblaient s'étendre à l'infini. Je compris pourquoi les marchés aujourd'hui sont super. Ils présentent des millions de produits dans lesquels on se perd. Je pris peur et sortis en courant sans acheter un oignon. Aujourd'hui, j'erre devant les supermarchés pour y acheter des oignons, mais je n'ose plus entrer. Je ne sais toujours pas s'ils ont un cœur ou un pépin central. Et donc, je ne sais toujours pas si nous vivons dans un système totalitaire ou non. Le monde qui nous entoure est-il un monde de liberté ou d'esclavage ? Je n’ai toujours pas la réponse, à cause de ces larmes qui m'empêchent de voir le cœur de l'oignon. C'est bête tout de même.

 Jan Marejko, 12 janvier 2014

Un commentaire

  1. Posté par Renaud le

    Pour voir le coeur de l’oignon, déposer la dernière larme dans le coeur vide de l’oignon.
    Cette dernière larme est l’arme la plus puissante qui sera jamais.
    Dans une déflagration apocalyptique elle détruit l’univers et recrée l’Un, uni vers l’univers nouveau.

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