9 février : et si la gauche votait oui ?

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant

La gauche de ce pays va-t-elle, comme un seul homme, sous le seul prétexte que l’initiative vient de l’UDC, donc frappée du sceau de la malédiction, se conduire en alliée d’un libre-échangisme pur et dur qu’elle a passé une bonne partie de son Histoire à combattre ? Ces questions ne sont pas résolues.

 

Quelle Suisse la gauche veut-elle pour les deux ou trois décennies qui nous attendent ? Face à la poussée migratoire sur le marché du travail, les forces qui se veulent « progressistes », vont-elles défendre les travailleurs de notre pays ou se cramponner à un discours de type moral, totalement déplacé face à l’enjeu du scrutin ? Certains socialistes, certains Verts même (allez, rêvons) tenteront-ils de comprendre pourquoi leurs camarades de parti, au Tessin, soutiennent l’initiative « contre l’immigration de masse », sur laquelle nous votons le 9 février ? Ou se contenteront-ils de traiter de retardés leurs collègues du Sud des Alpes ?

 

La gauche de ce pays va-t-elle, comme un seul homme, sous le seul prétexte que l’initiative vient de l’UDC, donc frappée du sceau de la malédiction, se conduire en alliée d’un libre-échangisme pur et dur qu’elle a passé une bonne partie de son Histoire à combattre ? Ces questions ne sont pas résolues. Elles ne le seront que dans quatre semaines et un jour. Mais recèlent l’une des inconnues d’évolution de l’opinion publique d’ici le 9 février. L’autre, à droite, ce sera la réaction de l’électoral PLR de souche radicale et populaire aux propos, hier, de leur président national de parti, l'Argovien Philipp Müller. Car la quasi-unanimité, tout à l’heure à Schwanden (GL) de l’Assemblée des délégués ne reflète pas nécessairement le sentiment profond de la base. Soucieux d’unité de matière, nous y reviendrons.

 

Mais la gauche ! Que va-t-elle voter, dans le secret de l’urne ? Hier soir à Forum, invité parmi d’autres à commenter le dernier en date des ineffables sondages Gfs-SSR, Christian Levrat, le patron du parti socialiste suisse, a utilisé à deux reprises l’expression « retour à la Suisse des baraques » pour stigmatiser le principe des contingents contenu dans le texte. Terminologie dûment préméditée pour créer, chez ceux (comme votre serviteur) assez âgés pour en avoir la mémoire, l’épouvante face au retour de l’époque des frontaliers, logés parfois près des chantiers, ne bénéficiant pas du regroupement familial, ne rejoignant leurs familles que trois mois par an. Cette Suisse-là, je l’ai connue, mon père était ingénieur, il était d’ailleurs fermement opposé à l’initiative Schwarzenbach de juin 1970. Mais, de la part de M. Levrat, quel amalgame ! En l’écoutant hier, je me demandais qui, dans ce pays, tentait de faire peur à qui, et avec quelles ficelles. Tant qu’on y était, on aurait pu remonter à Zola et aux grandes grèves du Nord.

 

Une partie de la gauche nous brandit l’étendard de la xénophobie. C’est une imposture, que nous avons démontée dans notre texte précédent, paru dans le Nouvelliste et publié dans ce blog. Bien sûr que la Suisse a besoin d’immigration. Bien sûr que la mixité nous a façonnés. Bien sûr que le mélange des langues et des cultures nous a enrichis. Mais où, je vous prie, dans le texte du 9 février, serait-il question d’y renoncer ? Carrefour au centre de l’Europe, la Suisse aura toujours affaire avec les étrangers, et c’est très bien ainsi. Pourquoi nous fait-on croire qu’il s’agirait de fermer le robinet, là où il est juste question d’en régler un peu la puissance. Ré-gu-la-tion !

 

Vouloir ce contrôle, ça n’est en aucun cas rejeter l’Autre, ni entrer dans une phase de « repli », ni nous « recroqueviller », c’est réinstaurer le contrôle citoyen, donc la volonté politique, sur un flux aujourd’hui non maîtrisé. C’est prendre pari pour les années qui viennent, pour une Suisse toujours ouverte aux échanges, toujours accueillante, mais édictant juste, comme l’immense majorité de ses voisins, quelques règles pour éviter, d’ici dix ou vingt ans, une démographie étouffante. N’est-ce pas notre droit, notre devoir même, d’anticiper aujourd’hui les problèmes de demain ?

 

Alors, hommes et femmes de gauche, comment allez-vous voter ? Juste sur un slogan moral déplacé, celui de « xénophobie », ou avec votre fibre de défense des places de travail pour les résidents de ce pays ? Le rôle historique de la gauche est-il de soutenir servilement les intérêts de libre échange absolu d’un grand patronat dont l’ambition citoyenne n’apparaît pas comme l’impératif premier ? Une fois qu’ils l’auront sauvée, leur libre circulation, au soir du 9 février, vous croyez qu’ils vont vous les donner, vos « mécanismes d’accompagnement » visant à corriger les excès ? Pour ma part, je crois qu’ils s’empresseront de retourner à leurs chères affaires. Et, pour certains d’entre eux, à leur sous-enchère salariale sans entraves. Et là, vous la gauche, vous aurez tout perdu. Vous n’aurez plus le crédit de votre base ouvrière, qui a d’ailleurs émigré vers d’autres horizons. Et vous n’aurez plus d’alliés pour renverser la situation. Vous pourrez demeurer le parti des bobos. Mais la puissance tellurique, jaillie d’en bas, de représentants des plus précaires, vous l’aurez perdue. A vous de voir. A vous de juger.

 

Pascal Décaillet, Sur le vif, 11 janvier 2014

 

3 commentaires

  1. Posté par Berthe au lond pied le

    Risque de devoir, après le 9 février, tendre la 2ème joue pour prendre le retour de bâton du “laisser-faire” migratoire…..Mais quelle vertu, à part l’avidité matérielle, justifie la non-gestion de l’immigration? Les chantres du “laisser venir en Suisse…” ouvrent-ils la porte de leur maison à toute personne qui voudrait y entrer? Ca m’étonnerait particulièrement.

  2. Posté par Philippe le

    Toujours excellent ce Monsieur Decaillet.

  3. Posté par Antonio Giovanni le

    La Suisse doit surtout, comme l’Europe d’ailleurs, faire front à une natalité incontrôlable des pays musulmans: une écrasante majorité de migrants sont issus de ces pays-là, à bout de ressources parce tous surpeuplés, plongés quasi tous dans des guerres intestines ou étrangères, au milieu de vestiges d’états, soit détruits, soit moribonds ; si la Suisse et l’Europe avaient les mêmes taux, six fois plus élevés, de natalité que ces pays-là, assurément elles subiraient une bien moins moindre pression migratoire ; mais personne, et en tous cas pas les écologistes, pourtant acharnés à combattre partout la présence humaine effrénée sur cette planète, ne relève que c’est aujourd’hui le plus grave danger pour notre espèce : les écologistes n’ont pas réponse à tout, mais alors pourquoi font-ils comme si, en cherchant à imposer leurs caprices idéologiques et fabuleux ? Ils doivent se reformuler leurs priorités, ils verront ainsi qu’un si petit pays que la Suisse “..ne peut pas accueillir toute la misère du monde…”

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