La censure est une publicité cachée

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire

Que l’antisémitisme doive être combattu est un impératif. Qu’il le soit pour des raisons politiciennes ôte à la démarche sa dignité. Il est quand même assez étonnant que dans un pays on laisse un syndicat séquestrer durant 30 heures deux cadres d’une entreprise sans que les forces de l’ordre ne leur rendent le droit constitutionnel d’aller et de venir, et que dans le même temps, on se mobilise pour interdire des spectacles, sans être sûr de ce qui va y être dit, et en sachant que l’interdiction multipliera l’audience du discours sur internet. La France est-elle encore un pays de liberté ?

Les malheurs du temps et la mauvaise conduite du pays poussent certains à botter en touche, à distraire l’opinion de l’essentiel. Le sujet du jour est donc l’interdiction des spectacles de Dieudonné. Dieu sait que je ne suis pas antisémite. Je serais même culturellement philosémite tant ma profession d’origine, l’enseignement de la philosophie, m’a conduit à une admiration pour le nombre incroyable de penseurs, d’écrivains, de scientifiques et au-delà d’artistes que ce peuple (?), cette religion (?), cette culture (?) ont générés. Je serais même assez fier d’être d’origine juive et je ne ressens aucun intérêt pour un bouffon assez vulgaire, si ce n’est que c’est un bouffon, c’est-à-dire quelqu’un qui dit ce qu’il est interdit de dire. Nier le génocide des Juifs ou s’en moquer m’a toujours révulsé. Pour autant, je crois qu’il n’appartient pas à un ministre de la culture de se réjouir d’une interdiction et que le mépris aurait été le plus sûr moyen de contrarier celui dont la publicité est fondée sur la provocation.  La censure actuelle risque de se heurter à plusieurs difficultés.

La première est juridique : tant qu’un spectacle « improvisé », sans texte écrit et publié, n’a pas été donné, comment peut-on anticiper qu’il tombera sous le coup de la loi, à moins que de verser dans le procès d’intention, dans le délit de « sale gueule » ? S’il n’y a pas d’appel à la haine contre une catégorie de personnes, ni d’injure, ni de diffamation, quels seront les moyens de l’action ? On dira prévenir un trouble à l’ordre public en raison des menaces de manifestations hostiles ou l’on arguera de l’expérience de telles protestations lors des spectacles précédents. Mais alors on se heurtera à un second risque, celui de voir naître une censure décrétée par les groupes de pression capables de se livrer à des intimidations sur la voie publique. Où commencera l’indignation légitime ? Où finira le devoir des autorités de faire respecter la liberté d’expression et de création ? Qui tracera la frontière entre le permis, le défendable, et l’interdit, le condamnable ? Troisième obstacle : il sera facile d’accuser les choix de partialité et de discrimination idéologique. Lors des manifestations hostiles autour du théâtre où l’on jouait Golgota Picnic, il était de bon ton de défendre la pièce et de dénoncer l’intolérance des protestataires. Or, dans les deux cas, les opposants sont révoltés par ce qu’ils jugent ignoble. Dans les deux cas, la provocation tient lieu de créativité. Les mauvais esprits diront qu’il est toujours facile d’avilir l’image du Christ dans un pays dont toute l’histoire a été baignée par le catholicisme. On rétorquera alors que la loi n’interdit pas le blasphème, mais punit le négationnisme, en admettant, encore une fois, que des propos tenus en fassent preuve. On ajoutera que la critique voire la dérision à l’encontre des religions n’est pas du racisme, que critiquer une pensée ou un comportement n’est pas s’en prendre à une personne et à ce qu’elle est, mais à ce qu’elle fait ou ce qu’elle croit. La distinction est souvent ténue et proche de l’arbitraire. Enfin, elle peut dépendre de préjugés sociaux : il est souvent de bon aloi dans les milieux « branchés » de vanter le génie de Ferdinand Céline, lequel était un antisémite virulent. Céline ne doit pas être interdit parce que c’est le grand écrivain du « Voyage au bout de la nuit », et pas seulement, celui de « Bagatelles pour un massacre. » La gloire de Céline et la honte de Dieudonné tiendraient à l’altitude. Autrement dit, vous pouvez être un salaud, mais soyez-le avec talent, et il vous sera beaucoup pardonné. Céline avait prévu et déjà rejeté « le plus terne, le plus dégradant des « snobismes », la célinomanie ».

Que l’humoriste dise des horreurs est une évidence. Qu’il les dise depuis longtemps est un fait. Il a été condamné à de nombreuses reprises. On peut se demander pourquoi sa dernière saillie a dépassé les bornes et craindre que l’offensive menée par le Ministre de l’Intérieur, soutenue par le Président lui-même, ne soit pas dénuée d’arrière-pensées visant un Front National bien dangereux en cette année électorale. Une affaire montée en épingle, un halo de soupçons sur l’entourage et le passé peuvent gâcher bien des efforts de respectabilité. Que l’antisémitisme doive être combattu est un impératif. Qu’il le soit pour des raisons politiciennes ôte à la démarche sa dignité. Il est quand même assez étonnant que dans un pays on laisse un syndicat séquestrer durant 30 heures deux cadres d’une entreprise sans que les forces de l’ordre ne leur rendent le droit constitutionnel d’aller et de venir, et que dans le même temps, on se mobilise pour interdire des spectacles, sans être sûr de ce qui va y être dit, et en sachant que l’interdiction multipliera l’audience du discours sur internet. La France est-elle encore un pays de liberté ?

Christian Vanneste, 7 janvier 2014

 

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