Pourquoi cet acharnement à découvrir l’ultime particule élémentaire ? Pourquoi tant d’argent investi ? On estime que le boson de Higgs a coûté environ dix milliards. Pourquoi les mises en garde de Ludwig Boltzmann sur l’impossibilité de construire une théorie physique à partir de particules élémentaires bien circonscrites, n’ont-elles pas été prises en considération ? Pourquoi les crédits ont-ils continué à affluer ?
Le bon peuple, médusé, ne peut s’empêcher de s’agenouiller devant la science, parfois même de s’aplatir devant elle. Mais pas de panique, la science n’est pas une religion, pas une idole. Un juge américain l’a déclaré très fermement du plus haut des cieux. Le bon peuple va comprendre. Et s’il ne comprend pas, des instituts de rééducation, dûment subventionnés, le lui expliqueront
Nous ne pouvons pas voir un atome. C'est encore pire avec les particules élémentaires, comme vient de le montrer la découverte du boson de Higgs. Pour déduire l'existence de ce boson et non pas le voir, il faut l'impressionnant tunnel du Cern, des calculs complexes, des écrans sensibles à l'infiniment petit. Certains ont pu espérer voir un jour un atome. Avec ce boson, c'est impossible. Jamais nous ne le verrons. D'autant qu'on va probablement découvrir encore d'autres particules élémentaires et que cette découverte renvoie à un océan d'énergie. Entre cet océan et la masse du boson, notre coeur balance. Ne devons-nous pas choisir entre masse et énergie ? Non, nous dirait Einstein avec sa célèbre équation.
Pourquoi cet acharnement à découvrir l'ultime particule élémentaire ? Pourquoi tant d'argent investi ? On estime que le boson de Higgs a coûté environ dix milliards. Pourquoi les mises en garde de Ludwig Boltzmann sur l'impossibilité de construire une théorie physique à partir de particules élémentaires bien circonscrites, n'ont-elles pas été prises en considération ? Pourquoi les crédits ont-ils continué à affluer ?
La réponse est assez simple. L'idéal de la science est de ramener la réalité à des entités élémentaires et à leurs interactions. Pour le dire autrement, cet idéal est celui de l'atomisme. Et pour le dire encore autrement, la science postule que la matière peut être entièrement saisie par l'esprit à partir de choses insaisissables par nos cinq sens. Postulat faustien. Tout saisir, tout comprendre, bigre ! Ce postulat n'est jamais remis en question. Il est trop beau. C'est sur lui que reposent les milliards investis dans la recherche, ce veau d'or de la modernité.
Cette recherche vise à réduire le monde visible à d'invisibles interactions entre d'invisibles particules élémentaires. Tout se passe comme si l'on voulait réduire tout ce que nous voyons aux entrechocs d'imperceptibles boules de billard. Etrange entreprise qui exerce une extraordinaire puissance de séduction sur l'esprit. Ramener le réel à de telles petites boules, quel rêve ! Ramener l'infinie complexité de l'univers à l'infinie simplicité d'un atome ou d'un boson, quoi de plus beau? On ne doute pas ou, pour mieux dire, on ne veut pas douter que cette "reductio at atomum" est possible dans tous les domaines. Darwin a déjà ramené l'infinie diversité du vivant à une soupe primitive. Le CERN va ramener tout l'univers à une toute petite chose. Et l'on dit déjà que si cette toute petite chose bouge mal, c'est tout l'univers qui bougera mal, très mal...
Les sociétés humaines bougent déjà très mal et la science, toujours au service de l'humanité, se penche sur elles. Des modèles atomiques sont élaborés qui font croire que la logique d'un comportement collectif va devenir parfaitement claire, et qu'à partir de ce modèle, nous pourrons prédire l'évolution des sociétés. La femme moyenne a 2.1, 1.5, 1.8 enfants selon les pays. On se livre alors à des projections pour expliquer, à partir de cette femme, un déclin ou une amélioration de la croissance économique. Ces millions de petites boules de billards que sont les femmes moyennes vont conduire à une augmentation ou à une diminution du produit intérieur brut. On a quelques hésitations, parce que ce modèle repose sur une particule élémentaire qui n'existe pas, la femme à 2.1 enfants. Mais ces hésitations sont balayées par le sérieux d'une recherche déclarée urbi et orbi scientifique.
Même chose avec les recherches sur le cerveau touchant elles, non à un comportement collectif, mais individuel. Les particules élémentaires sont localisées dans la masse grise de notre crâne. Dans quelques décennies, la recherche scientifique aura démontré que la volonté s'explique par une interaction entre les neurones x et y. Mieux encore, elle aura démontré que l'idée de Dieu est logée dans notre lobe frontal. Qui dit mieux ?
Même chose encore avec le boson de Higgs. A partir de lui, tout petit vraiment, si petit qu'on ne le verra donc jamais, on prétend expliquer rien moins que la totalité de l'univers. On a le vertige, mais comme c'est de la science... En partant du modèle fondé sur cet adorable boson, on explique même ce qui va ou pourrait arriver à notre univers, suggérant au passage qu'un infinitésimal frémissement chez lui, pourrait faire disparaître tout l'univers avant que nous puissions nous en rendre compte. Cela fait froid dans le dos, mais comme c'est excitant !
Le bon peuple, médusé, ne peut s'empêcher de s'agenouiller devant la science, parfois même de s'aplatir devant elle. Mais pas de panique, la science n'est pas une religion, pas une idole. Un juge américain l'a déclaré très fermement du plus haut des cieux. Le bon peuple va comprendre. Et s'il ne comprend pas, des instituts de rééducation, dûment subventionnés, le lui expliqueront.
Jan Marejko, 28 décembre 2013
Cette quasi philippique — visant en particulier les efforts soi-disant excessivement coûteux du CERN pour traquer le boson de Higgs — est dirigée contre la science elle-même autant que contre la technologie de notre temps En effet, toutes deux, à quelques décennies de distance, viennent de permettre l’invention par trois physiciens théoriciens, puis la découverte au CERN par des centaines de collaborateurs, du boson BEH (Robert Brout, François Englert et Peter Higgs). Cette diatribe nous semble fondée sur une grave méconnaissance de ce qu’est vraiment aujourd’hui la science.
L’auteur parle de « postulat faustien » en réduisant la science à un pur matérialisme et prétend que « l’idéal de la science … est celui de l’atomisme ». Dans cette vision de la science totalement obsolète, il y a retard d’une bonne quantité de siècles et de révolutions ! Sans le dire, mais recourant à un latin anglicisé : « reductio at atomum » (sic), il prétend que la science se ramènerait simplement à un primitif réductionnisme ; c’est là une authentique « reductio ad unum », tout à fait étrangère à ce qu’est la science, du moins pour ceux qui la pratiquent ! L’auteur méconnaît, par exemple, la vraie signification du sens de « modèle » et, en particulier, de ce que l’on appelle « le modèle standard », en vigueur actuellement et pour un temps probablement, jusqu’à l’avènement de nouvelles percées inattendues. Nous croyons qu’il faut être plus modeste lorsque, comme philosophe on ose parler de ce que manifestement on ne connaît que très superficiellement. Les seules notions de physique évoquées ici, ne sont que celle d’atome, de masse, d’énergie et de particule. Par exemple, celles de champs et d’émergence ou de bifurcation ne sont même pas évoquées.
En effet, la science progresse d’abord par émergence de théories souvent imprévisibles et par bifurcations inattendues ; ce n’est pas un fleuve tranquille, mais une suite de discontinuités. L’atomisme et le réductionnisme ont été des phases depuis longtemps dépassées par des successions de jaillissements incessants d’imprévus et d’inventions. L’auteur appelle à son secours Ludwig Boltzmann, mais en déformant ou méconnaissant sa pensée ; car Boltzmann pensait, au contraire, que les diverses théories scientifiques sont des « images du monde » provisoires qui évoluent continuellement selon les cultures et les époques. La vision purement atomiste qui a été, un temps, celle d’un court moment, est, en ce sens, bien périmée. On est navré de lire aussi une phrase insensée qui semble vouloir condamner à la fois les travaux de Darwin et les minutieuses enquêtes menées au CERN : « Darwin a déjà ramené l’infinie diversité du vivant à une soupe primitive. Le Cern va ramener tout l’univers à une toute petite chose ». Est-il possible de tenir aujourd’hui un tel langage si peu soumis au principe de raison ?
Nous nous permettons de proposer plutôt aux lecteurs de cet article pessimiste du philosophe Jan Marejko, l’excellent ouvrage de Gilles Cohen-Tannoudji et Michel Spiro : « Le boson et le chapeau mexicain », Gallimard, 2013, collection folio essais – inédit, 531 pages) dont la lecture roborative, même si elle est, dans quelques pages, assez ardue, dissipera les sombres nuages du jugement sur la science du philosophe passéiste.
Terminons par quelques citations enthousiastes et enthousiasmantes tirées de la brillante postface de ce livre, rédigée par Michel Serres : « Admirons les fondateurs du CERN et leurs continuateurs, qui eurent l’intuition de l’importance de la recherche fondamentale avant les applications, de la gratuité au-delà du profit, enfin, d’une assemblée multiculturelle dont la quête de connaissance apaise les petites querelles et les grandes guerres entre les nations… Le lecteur comprend comment la quête de la plus petite particule a pu et su rejoindre les premières questions de la cosmogonie, la naissance et l’évolution de l’univers … L’universalisme de la science réunit, là, l’univers des choses elles-mêmes et la totalité des temps à l’universel des observateurs humains. Rien, dans l’histoire, n’a jamais ressemblé à cette entreprise-là. Depuis l’aurore des hommes, notre planète a-t-elle vu événement plus rare que celui où certains parmi les meilleurs d’entre nous firent cause commune ? … Le CERN et les physiciens du XXe siècle auraient-ils donc inventé, en descendant, grâce au LHC, plusieurs échelles de taille, et en s’élevant sur autant d’échelles énergétiques, une machine à remonter le temps et à imiter les origines ? [En des étapes] où la notion d’émergence prend un sens prodigieux, puisqu’on voit s’y former les masses, les interactions, la structuration de l’univers, et les sciences elles-mêmes qui, à chaque stade, se succèdent et s’enchaînent, comme si elles épousaient, pour la décrire au plus près, la multiple naissance du monde. »
Citons, en conclusion, les auteurs eux-mêmes : « Si la recherche fondamentale, la matrice des révolutions scientifiques, a pour but le progrès des connaissances, nous pensons que le progrès des connaissances est une valeur humaine universelle ». Cela nous aurions aussi aimé le lire sous la plume de l’auteur de cet article. Sa pirouette finale sur « le bon peuple médusé, agenouillé et aplati » est proprement écœurante.
Nous ne sommes pas ici dans ce bas monde pour manger,boire et dormir,mais pour suivre le chemin de vérité,et la vérité est appelée à être recherchée dans l’espace et le temps qui sont liés en une seule dimension:L”ESPACE TEMPS…