Il y a un siècle, le 8 novembre 1913, paraissait, à compte d’auteur, un roman d’une facture très novatrice, Du côté de chez Swann, d’un certain Marcel Proust, un inconnu ayant publié un recueil de nouvelles dix-sept ans plus tôt, intitulé Des plaisirs et des jours…
Les quotidiens français, Le Figaro et Le Monde, ont célébré l'événement par des numéros hors série. Les éditions Xénia publient dans leur collection Une heure avec, dirigée par Yves Bordet, un livre consacré à l'auteur, signé Eric Werner.
Ce roman est le premier volume de La recherche du temps perdu, qui allait se révéler l'oeuvre littéraire la plus importante du XXe siècle en langue française
Comme le rappelle Eric Werner, cette oeuvre embrasse une période de soixante ans, depuis les débuts de la Troisème République jusqu'aux années vingt du siècle précédent.
Cette époque, marquée par l'affaire Dreyfus et la Grande Guerre, revit littéralement sous la plume de Marcel Proust, qui en dresse un tableau complet, social, politique, artistique et qui prend avec les drames qui l'ont émaillée une distance que n'aurait pas reniée mon cher Montaigne.
Eric Werner dit que la langue de Proust est claire, élégante, mais qu'elle requiert du lecteur "une certaine capacité d'attention" - c'est un euphémisme -, de par ses phrases qui "ressemblent à des cathédrales":
"Ce sont de grandes architectures en équilibre, avec leurs piliers, leurs ogives, leurs arcs-boutants, etc."
Un "style liturgique", en somme.
Mais Marcel Proust ne se contente pas de faire revivre cette époque qui est tourmentée et qui a connu de grandes transformations. En effet, le temps perdu qu'il recherche est celui de ses anciennes croyances, tel que l'amour, qui est pour lui "la croyance comme projection de soi et de son propre désir, comme illusion, donc, puisque le désir est par essence trompeur":
"On rêve l'autre tel qu'on voudrait qu'il soit, mais très vite on se trouve ramené à la réalité: l'autre ne ressemble en rien à l'image qu'on s'en faisait originellement. Les vertus qu'on lui prête, en particulier, n'existent que dans notre imagination."
Il est une autre croyance perdue, celle de la croyance en Dieu, qui est mort, comme il a pu le lire dans le Gai savoir de Friedrich Nietzsche.
Cette mort des Dieux - Marcel Proust met Dieu au pluriel - pourrait conduire à un complet désenchantement du monde, à la déprime, s'il n'y avait pas de sortie par le haut pour s'en arracher. Car il est possible de transcender l'opposition entre croire et non-croire:
"Dieu ne meurt donc, si tant est qu'on puisse dire qu'il meurt, que pour renaître aussitôt après, mais sous une autre forme: l'art en général, et en particulier, la littérature."
L'art en général, et en particulier, la musique, qui permet d'"ouvrir plus largement l'âme"...
Le renoncement à l'amour, qui "barre la route de l'intériorité", l'aspiration à la solitude qui est propre à l'artiste, l'affranchissement du "souci d'être aimé", permettent d'être soi-même et de retrouver le moi profond que Proust oppose au moi superficiel.
Ce petit livre, par le format et l'épaisseur, mais grand par la profondeur, comporte une iconographie qui est parfaitement adaptée aux propos, une chronologie qui sert de repères dans le temps de Proust et une orientation bibliographique qui permet d'aller plus loin dans la connaissance critique, et l'adaptation cinématographique, de l'oeuvre.
En une heure de temps, qui n'est pas du temps perdu, Eric Werner, en restituant avec élégance quelques grands thèmes de La Recherche, donne envie de s'y plonger ou de s'y replonger pendant de longues heures. Du temps retrouvé, en quelque sorte...
Francis Richard
Une heure avec Proust, Eric Werner, 72 pages, Xenia
Dans la même collection:
Une heure avec Rousseau, Ouvrage collectif, 72 pages, Xenia
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