Extraits des débats parlementaires sur les forfaits fiscaux.
Levrat Christian (S, FR):
"L'imposition au forfait ou à la dépense est en soi une vieille institution en Suisse. Elle a connu toutefois un développement marqué au cours des dernières décennies et des dernières années.
[...] Pour les initiants, que je vous propose de suivre, cette situation n'est pas satisfaisante. Elle ne répond pas aux exigences d'équité face à l'impôt sur lesquelles repose notre système fiscal.
Permettez-moi de développer très rapidement six points qui me paraissent devoir faire l'objet.
[...] Au titre de justice fiscale, nous entendons une équité à la fois horizontale et verticale. [...] Concrètement, cela implique qu'un riche étranger établi en Suisse doit être traité de manière similaire à un riche suisse établi en Suisse, toutes choses étant égales par ailleurs. Il n'y a aucune raison de taxer au quart ou au tiers de l'imposition ordinaire un étranger qui serait établi ici alors même que son voisin, lui, est amené à payer l'entier de sa facture fiscale [...]"
Et de prendre l'exemple zurichois pour invoquer un nouveau phénomène de concurrence fiscale, socialo-compatible celui-là:
"Deux tiers des personnes qui ont quitté le canton de Zurich se sont installées dans d'autres cantons suisses, principalement des cantons voisins de Zurich, au premier lieu desquels celui de Schwytz. Cela signifie concrètement que ces personnes-là ont décidé de maintenir leur centre de vie dans la région zurichoise. Or la suppression au niveau fédéral de l'imposition forfaitaire leur ôtera cette possibilité de maintenir un centre de vie culturelle, économique et sociale dans l'agglomération zurichoise et de simplement déplacer de quelques kilomètres leur domicile fiscal.
Le troisième élément est que je soutiens que le bilan global pour le canton de Zurich est par contre, lui, positif, y compris en terme fiscal. En effet, les quelques étrangers qui ont quitté le canton ont mis sur le marché des logements pour la plupart du temps extrêmement onéreux et luxueux, et les contribuables qui leur ont succédé dans ces logements ont vraisemblablement versé des impôts communaux et cantonaux largement supérieurs à ceux que versaient auparavant les personnes imposées au forfait."
Sans paraître comprendre que les bénéficiaires se déplaceront indéfiniment jusqu'au point avantageux le plus proche, quitte à devoir quitter définitivement le territoire de la Confédération, qui n'est pas si vaste et qu'il ne seront pas systématiquement remplacés par des candidats à une fiscalité toujours plus pesante.
On en revient à l'internationalisme fiscal classique de la gauche. La Suisse doit abîmer son système fiscal pour ne pas concurrencer les politiques socialistes des pays voisins; c'est un vaste rideau de fer politique:
"Depuis longtemps, ma crainte est que cette imposition au forfait soit utilisée en fait, pas tellement pour attirer de riches étrangers en Suisse, mais bien plus pour contourner les dispositions de droit successoral d'Etats étrangers. Or, les chiffres qui nous été fournis montrent que dans le cas du Valais, dans le cas particulier des Français - qui pose problème comme vous le savez dans le cadre de nos conventions sur les successions -, le 70 pour cent des imposés au forfait sont âgés de plus de 65 ans."
Pour Monsieur Levrat, l'Etat français a un droit objectif sur les héritages que les héritiers n'ont pas.
Nous parlions de rideau de fer, nous y voilà:
"Les chiffres ou les réponses données par Monsieur le conseiller d'Etat Tornay indiquent de plus que les contrôles quant à la présence physique des personnes concernées sont pratiquement inexistants. Je le reprends dans le langage de la note - et je cite encore - qui nous a été fournie par le canton du Valais: "Le contrôle du domicile physique des contribuables est de la compétence des communes, par le contrôle des habitants et le bureau des étrangers - ils peuvent s'adjoindre des services de la police communale au besoin. Dans la pratique, ces contrôles ne sont pas fréquents."
Les autorités valaisannes devraient dénoncer les mauvais citoyens français à la France par solidarité fiscale... Vous souriez, c'est ce qui est en train de se passer dans nos banques.
Comte Raphaël (RL, NE):
"Si nous abolissions, nous, le système de l'imposition selon la dépense, tout ce que nous ferions serait de l'autoflagellation, du masochisme fiscal, et je crois véritablement que nous n'en avons pas besoin. Ce que font d'autres pays européens, nous pouvons aussi le faire sans avoir un sentiment de honte particulière. D'ailleurs si un certain nombre d'étrangers s'établissent en Suisse, en restant actifs à l'étranger, ce n'est pas juste parce qu'ils sont attirés comme un aimant par notre système d'imposition forfaitaire, c'est peut-être aussi parce que certains pays font un matraquage fiscal un peu trop important. Ce n'est pas nous qui attirons un certain nombre de contribuables, ce sont peut-être certains pays qui les poussent à les quitter."
Fournier Jean-René (CE, VS):
"Pour ma part, je vois dans cette pratique moins d'iniquité face à l'impôt, voire même plus de moralité face à l'impôt, que dans d'autres pratiques fiscales qui ont cours actuellement et depuis de nombreuses années en Suisse, dans certains cantons, et qui ont permis d'élaborer des régimes fiscaux pour les entreprises qui ont conduit ces dernières à délocaliser leurs activités de leur pays d'origine pour venir en Suisse et qui profitent de régimes fiscaux dont nos entreprises elles-mêmes ne profitent pas.
Mais la grande inégalité je la vois ici dans la manière de traiter ces deux objets. Lorsque l'Europe fait pression sur la Suisse pour que celle-ci supprime ses régimes fiscaux privilégiés pour les entreprises, tout le monde politique suisse s'en émeut et tout le monde y va de son schéma pour savoir comment l'on va compenser les pertes fiscales que provoquera inévitablement la suppression de ces régimes fiscaux dans les cantons concernés. Mais qui se préoccupe des pertes fiscales que provoquera cette initiative-ci dans les recettes des cantons concernés, en cas d'acceptation?"
Et de revenir sur l'exemple zurichois:
"Monsieur Levrat, vous avez raison: 48 pour cent - vous avez même dit 50 pour cent - ont quitté le canton. "Un tiers en direction de l'étranger" - donc un tiers a quitté le pays - "et deux tiers vers des cantons suisses pratiquant l'imposition d'après la dépense. L'imposition des 102 contribuables restants, dans un premier temps, a entraîné une légère hausse des recettes fiscales, principalement imputables à un seul contribuable, qui a aujourd'hui quitté le canton. Les recettes fiscales provenant des 101 contribuables imposés aujourd'hui sur le revenu sont inférieures à celles obtenues précédemment avec l'imposition d'après la dépense."
Cela démontre que les autorités fiscales du canton de Zurich, avant que l'on supprime cette manière d'imposer, avaient une pratique tout à fait correcte puisqu'elles imposaient tous les revenus connus. Mais bien sûr, comme on ne peut pas imposer des revenus inconnus, on pratique cette manière de taxer ces personnes.
L'impact économique de l'imposition d'après la dépense ne se limite finalement pas au montant de l'impôt encaissé. Comme l'a rappelé tout à l'heure Monsieur Comte, ces personnes investissent beaucoup en Suisse. En Valais, nous estimons que ces personnes au bénéfice de l'imposition sur la dépense investissent chaque année plus de 100 millions de francs dans des projets touristiques, dans des projets hôteliers, dans des remontées mécaniques, dans l'industrie et la chimie, mais aussi dans les grandes manifestations culturelles ou sportives du canton. Elles génèrent ainsi d'une façon directe ou indirecte de nouvelles recettes fiscales et elles créent de nombreux postes de travail dans notre pays.
Je l'ai déjà dit, si certains cantons ont peu à perdre en supprimant l'imposition d'après la dépense, ce n'est pas le cas du Valais et de plusieurs autres cantons en Suisse.
[...] Aujourd'hui, on nous dit que les temps ont changé et que la pression internationale augmentera sur la Suisse pour qu'elle renonce également à cette forme d'impôt. Qui croit encore dans ce Parlement que cette éventuelle pression serait animée par un subit rebond de la moralité fiscale dans les Etats voisins? Même les plus candides d'entre nous sont aujourd'hui convaincus que la seule véritable motivation de ces Etats réside dans l'obsession de vouloir approvisionner leurs caisses désespérément vides.
D'autre part, tant que des pratiques fiscales encore beaucoup plus favorables que la nôtre en matière de taxation des étrangers seront appliquées dans de nombreux pays européens, cette pression demeurera ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire quasi nulle.
Avec l'acceptation d'une telle initiative, personne ne sortirait gagnant, mais notre pays perdrait, à coup sûr, encore plus de son fédéralisme et du même coup de son attractivité en comparaison internationale. Les citoyens suisses et les collectivités publiques n'ont rien à gagner à la suppression de l'impôt d'après la dépense - j'en suis convaincu -, c'est pourquoi nous devons recommander le rejet de cette initiative."
Source: Conseil des Etats - Session d'hiver 2013 - Huitième séance - 05.12.13-08h15
Et vous, qu'en pensez vous ?