Un livre passionnant permet de découvrir les ordres du jour, les ordres d’armée et les principales allocution du Général Guisan entre 1939 et 1945. De quoi alimenter les réflexions contemporaines…
C’est le troisième et dernier volume de la trilogie consacrées au Général Guisan et publiée chez Cabédita: les Écrits de guerre*, compilés et présentés par Pierre Streit. Il y avait eu le best seller de Jean-Jacques Langendorf Le Général Guisan et l’esprit de résistance, puis l’excellent P.C. du Général de Bernard Barbey, enfin réédité.
Les Écrits de guerre viennent opportunément compléter le tableau, qui montrent à quel point Guisan a été sans cesse soucieux de maintenir le moral, aussi bien celui de la troupe que celui de la population. En introduction à chaque ordre du jour, Pierre Streit rappelle brièvement la situation stratégique en Europe.
On découvre dans ce recueil un homme de communication en avance sur son temps, qui avait parfaitement perçu la puissance de la radio et de la presse pour faire passer des messages. On y trouve aussi un homme préoccupé de débarrasser l’Armée d’un certain «esprit de caserne».
Dans sa préface, le Brigadier Philippe Rebord écrit: «Je suis aussi frappé par le modernisme de notre dernier commandant en chef, qui mettait l’homme au centre, et qui appelait ses officiers à plus de culture générale, à faire preuve de plus de bon sens, de moins d’esprit de routine et d’un sens psychologique plus éveillé.»
Guisan fait partie, note l’historien citant André Lasserre, «d’un petit nombre de personnalité civiles et militaires à avoir mieux saisi que leurs contemporains l’importance cruciale qu’allait jouer la guerre psychologique durant le Seconde Guerre Mondiale.» C’est pourquoi il met en place la «défense spirituelle», à destination aussi bien du citoyen-soldat que de la population civile. Pour lui, «un peuple se défend de deux manières: par sa force morale, exprimée par son patriotisme, par sa force matérielle, représentée par son armée.»
Le brûlant été 40
Et, à chaque occasion, notamment le Premier Août, il martèle son discours galvanisant. Aux yeux de Pierre Streit, le discours le plus important, celui qui eut le plus d’écho, est celui du 3 juin 1940. En Belgique, en Hollande et en France, le binôme Stukas-blindés a fortement impressionné les populations, y compris en Suisse, et un sentiment d’impuissance semble s’être infiltré dans la troupe. «Il importe de réagir et de ne pas se laisser entamer par la guerre des nerfs», dit-il. Et il compte beaucoup sur le terrain pour mettre en échec les nouvelles méthodes de combat – c’est l’idée de base du Réduit, qui rend les avions et les chars moins efficaces que dans les plaines du Nord de la France. Ce 3 juin 1940, Guisan insiste aussi beaucoup sur la préparation spirituelle. «Opposons à la propagande défaitiste l’esprit dont étaient animés les montagnards d’Uri, Schwyz et Unterwald le 1er Août 1291, seuls, livrés à eux-mêmes, mais avec leur confiance en eux et en Dieu. Ainsi seulement le pays sera vraiment fort et l’armée vraiment prête. La consigne est simple: Tenir !»
Avec le recul, cet ordre du jour résonne comme une réponse anticipée au discours de caractère défaitiste du Président de la Confédération Pilet-Golaz du 25 juin 1940. Quelques jours après d’ailleurs, le 25 juillet, sur la prairie du Rütli, Guisan réunit tous les commandants de l’Armée et leur expose sa conception du Réduit, une décision militaire adaptée de l’Armée suisse à ce moment-là. Une semaine plus tard, le 1er Août, Guisan récidive, et remonte le moral des Suisses en leur disant : «Je vous donne cette consigne: pensez en Suisses et agissez en Suisses. Penser en Suisses veut dire: aimer notre beau pays, rester nous-mêmes, demeurer fidèles à ce que nous sommes, à la liberté séculaire de notre Suisse unie et diverse. Agir en Suisses veut dire: servir son pays, respecter l’homme dans le voisin et l’étranger dans ses convictions, réaliser de plus en plus notre mission de solidarité civique, pratiquer l’entraide sociale, maintenir la qualité traditionnelle de notre travail. Demeurer Suisses, c’est aussi le meilleur, le seul moyen de tenir; c’est à ce prix seulement que nous sauverons notre indépendance.»
Il faut garder son sang-froid. En cette période cruciale, où la Wehrmacht et ses jeunes généraux écrase tout sur son passage, Guisan, dans son ordre d’armée du 3 juin, n’y va pas par quatre chemins: «Combattre pour sa patrie, c’est faire le sacrifie absolu de sa vie. Aucun moyen de combat nouveau, aucune méthode d’attaque nouvelle ne changent quoi que ce soit à cette vérité vieille de plusieurs siècles. Ce n’est pas seulement l’efficacité du feu qui procure à l’assaillant le succès, mais c’est surtout l’effondrement de la volonté du défenseur de combattre jusqu’au bout.» Plus précis, Guisan indique aux combattants comment réagir face à des attaques d’avions, de blindés ou de parachutistes: ne pas quitter son poste, accomplir sa mission, tenir quoi qu’il en coûte.
Le Rapport de Jegenstorf
Le Rapport de Jegenstorf, le 19 août 1945, dans lequel le Général s’adresse pour la dernière fois aux officiers supérieurs de l’Armée suisse, est particulièrement émouvant. Il est aussi saisissant de lucidité crue, teintée même d’une nuance de pessimisme (lui parle de réalisme…), lorsqu’il évoque les capacités d’oubli des peuples. À ses officiers, Guisan dit de ne pas attendre des manifestations durables de gratitude… «Si, aujourd’hui, l’opinion publique reconnaît encore ce que vous avez fait pour que le Pays demeure libre, cette reconnaissance risque de s’effacer bientôt. Vous ne pourrez plus compter que très partiellement sur le capital « service actif» – si beaux et si chers que soient vos souvenirs de ce temps. Plus exactement, vous ne compterez sur ce capital que pour vous-mêmes, et pour vos camarades.»
Guisan se trompait sur un point: la gratitude à son propre égard n’a jamais faibli, elle reste intacte, tant sa droiture, son courage, son dévouement absolu et son honnêteté profonde frappent encore aujourd’hui, en une époque où, par comparaison, des figures de cette trempe manquent cruellement.
Lucide et réaliste, Guisan faisait aussi le constat que «l’imagination est un don assez rare.» Et il ajoutait, prophétique: «Notre peuple, dans sa grande majorité, ne sera pas enclin à se demander, dans les années à venir – pas plus qu’en 1920, en 1930, ou même après – si le Pays pourrait se trouver menacé à nouveau, ni comment. Ce que nous avons fait, à partir de 1933** surtout, pour l’alerter, pour en appeler à sa conscience et à sa vigilance, ce que nous avons fait sera toujours à refaire.»
Guisan recommandait à ses officiers d’être «d’abord Suisses, et soldats; il faut être des chefs, au vrai sens du mot.» Au moment de prendre congé, il conclut sobrement: «Vous avez été mes collaborateurs et mes camarades. Je vous ai vus à l’œuvre. Je me suis intéressé à votre caractère, à vos dons, à vos difficultés parfois; et je me suis réjoui de vos succès. Je reste votre camarade, votre aîné, celui à qui l’on peut venir confier un sujet de préoccupation, celui qui, toujours, volontiers, vous accueillera, vous donnera un conseil… Je vous confie le sort de notre Armée future; c’est là, pour moi, la meilleure manière de vous marquer ma reconnaissance.»
Il y a chez Guisan, à travers ces ordres du jour, une impressionnante manière d’aller droit au but et de convaincre. Il ne cache rien, mais incite sans cesse chacun, soldat comme civil, à puiser en lui, à chaque instant, le meilleur pour surmonter les épreuves. Nous devrions nous inspirer de son exemple, à une époque où nous attendons tout des autres, ou de l’État, plutôt que de nous-mêmes…
* Pierre Streit : Général Henri Guisan – Ecrits de guerre (1939-1945). Cabédita, 2013.
** Date de la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne. – Réd.
Source : Philippe Barraud , Commentaires.com, 22 novembre 2013
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je me réjoui vraiment de pouvoir me lover dans ce livre