Ca commence à sérieusement bouger en Valais: il semblerait que le politique décide enfin à se saisir du dossier HEP. Deux parlementaires UDC ont en effet déposé une motion allant dans le sens d'une réforme de la haute école pédagogique valaisanne.
Source
L'intention est bonne puisque cela fait maintenant plus de dix ans que la HEP valaisanne fournit des enseignements fortement typés constructivistes dont la qualité laisse franchement à désirer (voir mon billet sur l'évaluation de la pédagogie constructiviste). Maintenant, au niveau de la réalisation, on est un peu juste: on sent que les deux auteurs de la motion ne sont pas (encore) des spécialistes de la question, ce qui ne saurait tarder. Essayons donc d'être constructif et de leur donner un petit coup de main.
En premier lieu, la motion souligne à juste titre que la durée des formations dispensées dans les HEP est totalement disproportionnée au regard des objectifs à atteindre. Mais ce que le bon sens dicte n'est que très rarement en adéquation avec la folie législatrice bruxelloise. Car c'est bien de cela qu'il s'agit comme on va le voir rapidement.
Si la HEP valaisanne (comme les autres HEP d'ailleurs) propose des cursus si lourds, c'est parce que la Suisse est signataire de la déclaration de Bologne dont l'objectif est la construction d'un espace européen de l'enseignement supérieur visant à faire converger les différents systèmes nationaux. Cette réforme introduit un programme de formation rattaché à des crédits de formation, les crédits ECTS exprimant le volume de travail à fournir par l'étudiant.
En bon français, cela signifie que la Suisse s'est engagée dans un bateau visant à assurer une meilleure mobilité des étudiants (ce qui correspond tout simplement à favoriser la libre circulation des enseignants), et que ce bateau fonctionne sur la base de crédits qui sont octroyés sur la base d'une durée de travail quantifiée, on ne sait trop comment, par une fine équipe d'experts. Que vous dormiez en classe ou non ou que vous y lisiez le journal, peu importe, l'important est de faire son quota d'heures. Bien entendu, certains arrangements peuvent être trouvés pour que vous puissiez faire ce quota à distance ou par le biais de rapports lénifiants. Mais, répétons-le, les crédits ECTS ne sont pas accordés en fonction de connaissances acquises ou non mais sur la base d'une quantification du temps de travail. Bien entendu, il n'y avait que la commission européenne pour songer à mettre sur pied un système aussi mal monté.
Partant de là, on comprend aisément pourquoi le taux d'échecs des HEP est très faible: ce n'est pas qu'elles soient d'excellentes formatrices, mais, puisque l'acquisition de connaissances et compétences est secondaire et que le principal est de traîner sa carcasse suffisamment longtemps dans le cursus, il n'y a pas de raison objective de faire échouer les candidats. On comprend également pourquoi nombre d'étudiants se plaignent de cours vides de sens et de rapports longs et ennuyeux au possible à rendre.
De là découle donc qu'on ne peut pas, tant qu'on reste dans le système de Bologne, répondre positivement au premier point de la motion, à savoir le raccourcissement du temps d'études. Ce qui ne veut bien entendu pas dire qu'il n'y ait pas de solution: la première, la plus radicale, consisterait en l'abandon par le canton du système en question: le Valais (comme tout autre canton d'ailleurs) a parfaitement le droit de dire qu'il va lui-même former ses enseignants selon ses propres modalités. Après tout, il est ridicule de croire que les futurs enseignants qui se forment en Suisse iront un jour bosser ailleurs en Europe. Aux conditions qui sont celles de nombre d'enseignants au niveau européen, cela ne doit pas tenter grand monde.
Alors certes, les étudiants valaisans ne pourront alors plus aller bosser dans un autre canton. Mais là aussi restons sérieux: à combien se chiffre la proportion d'enseignants qui changeront de crèmerie? 5%? allez 10% grand maximum. Doit-on donc pénaliser l'écrasante majorité pour le confort d'une infime minorité? Pas tant démocratique comme manière de procéder... On peut de même légitimement se demander si un canton forme des enseignants pour lui ou pour les autres.
Ce d'autant plus qu'il y aura toujours moyen pour le Valais de faire tenter de reconnaître son diplôme cantonal ailleurs dans le pays: la conjoncture actuelle est plutôt au manque qu'au trop plein d'enseignants et donc on voit mal les autres cantons refuser ce nouveau diplôme. Tout au plus pourront-ils exiger quelques compléments qui seront alors de la responsabilité de celui qui veut aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte.
Cette solution, radicale (bien que le mot soit mal choisi puisque c'est justement sous l'impulsion du radical Claude Roch que la HEP valaisanne s'est constituée), aurait pour avantage de faire fondre drastiquement les dépenses du canton en matière de formation. En temps de disette, où le département en charge du dossier cherche à économiser, l'idée est plutôt attrayante.
Une deuxième variante, un peu plus soft, consisterait, dans un premier temps à fournir une telle formation en parallèle de celle existante actuellement. Je suis prêt à parier qu'en maximum 3 ans, la démonstration sera faite que l'écrasante majorité des futurs enseignants se moquent royalement que leur diplôme soit reconnu aux quatre coins du continent et se rabattront sur la formation cantonale. Il n'y aura alors plus aucune raison pour continuer d'assurer une formation longue et coûteuse. L'avantage est politique: il sera certainement plus facile de faire passer dans un parlement cette variante. Avec un désavantage pécunier certain puisque, dans un premier temps, les dépenses prendront l'ascenseur.
Après avoir traité du dossier sous l'angle quantitatif, passons au qualitatif. La formation actuelle n'est pas bonne quoi qu'en disent ceux qui ont intérêt à la faire perdurer. D'une part, toute une gamme de cours n'ont aucun sens: la sociologie de l'éducation, les politiques de l'éducation ou autres approches interculturelles (ce d'autant plus qu'elles sont largement orientées...). Un enseignant a besoin d'outils pratiques utilisables en classe et pas de ce genre de cours tout juste bons à empocher quelques crédits supplémentaires. Il s'agira également d'alléger le cursus psychologique un peu long et dont certains éléments sont dispensables.
D'autre part, le constructivisme régnant en maître dans les HEP doit être expulsé purement et simplement des cursus estudiantins. Il s'agit donc d'élaborer un programme avec des objectifs clairs et précis dans les cours restants, un programme basé d'une part sur des éléments de pédagogie explicite et, d'autre part, sur le savoir faire d'enseignants chevronnés. Il va de soi que le nombre de périodes assigné à ce programme doit être réfléchi sur la base d'autres critères que ceux de la commission européenne.
Restera alors la question des stages, seul élément réellement pertinent de la formation actuelle, qui pourraient être réorganisés de manière à ce que le stagiaire passe chez plus de maîtres formateurs différents au lieu de rester aussi longtemps chez le même. En variant les modèles, le futur enseignant en saura beaucoup plus.
Voilà, j'espère que ces quelques considérations pourront aider à la correction de ce scandale qui dure depuis maintenant plus de 10 ans.
Stevan Miljevic, le 19 novembre
www.stevanmiljevic.wordpress.com
Et vous, qu'en pensez vous ?