L’histoire a pour matériau brut des faits relatés de différentes manières (par le texte et par l’image), le tout dans un cadre chronologique et géographique dont on ne peut faire abstraction. Vouloir nier l’existence d’un événement documenté ou proclamer la fausseté de tel ou tel autre document est une démarche qui, pour qu’elle soit crédible et pas hasardeuse, doit s’appuyer sur une critique sérieuse de toutes les sources disponibles et pas sur des a priori idéologiques …
Depuis le début du mois, la RTS diffuse une série intitulée « Les Suisses ». Au-delà des critiques qu’elle a suscitées, en particulier l’absence de toute présence féminine, ce « docu-fiction » a au moins le mérite de mettre à l’honneur l’histoire suisse et de le faire via des personnages. Car l’histoire est avant tout faite par des femmes et des hommes, et non de manière abstraite.
Pourtant, pour certains « historiens critiques », c’est là une occasion rêvée pour s’attaquer, une nouvelle fois, à ce qu’ils considèrent comme des mythes ou comme une reconstruction officielle de l’histoire. Deux exemples frappants au service d’un dessein qui n’a rien de scientifique : montrer que l'histoire suisse « officielle » repose en grande partie sur des faux documents ou des non-événements.
Le Pacte de 1291 : un faux
Selon la tradition, les représentants d'Uri, Schwyz et Unterwald se seraient réunis le 1er août 1291 sur la prairie du Rütli pour sceller une alliance qui allait donner naissance à la Confédération helvétique. Les termes de cette alliance sont inscrits dans le Pacte fédéral, toujours conservé au Musée des chartes fédérales de Schwyz. La plupart des historiens s’accordent à reconnaître que le 1er août 1291, les événements ne se sont probablement pas déroulés ainsi et que ceux-ci ont été reconstruits a posteriori, en 1891. L’historien médiéviste zurichois Roger Sablonier a démontré par des analyses au carbone 14 que le Pacte de 1291 n'est pas d'époque. Pour autant, cela ne signifie nullement que ce texte est un faux. D'ailleurs, Sablonier lui-même ne l'affirme pas. Simplement, ces analyses montrent que la charte en notre possession est plus jeune que le texte original d'une, deux ou trois générations. Elle a donc été retranscrite et ceci pour différentes raisons, en particulier parce que le parchemin original a été endommagé pour différentes raisons (humidité, …). Parfois, un événement a des causes beaucoup plus simples que la conspiration qu’on aimerait nous vendre maintenant.
La bataille de Morgarten n’a jamais eu lieu
Morgarten, Schilling
Pour reprendre un titre de la Südostschweiz, ce ne serait là qu’un bluff. D’autant plus retentissant qu’un centre de conférences doit être inauguré en 2015, sur le site de la bataille, à l’occasion de son jubilé …
Le 15 novembre 1315, le duc Léopold de Habsbourg aurait quitté Zoug à la tête d’une armée en partie montée et aurait traversé la vallée d’Ägeri près de Sattel. A l’extrémité sud du lac d’Ägeri – à Morgarten –, son armée aurait été prise dans une embuscade et complètement anéantie par les Schwytzois, pourtant numériquement largement inférieurs.
Le déroulement de cette bataille pose le même type de questions que pour toutes les grandes batailles de l’Antiquité, voire du Moyen Age. Elle pose la question des sources disponibles. La principale est le récit de Jean de Winterthour, rédigé 25 à 30 ans après les faits relatés. Mais ce n’est pas là la seule source. La première date de 1316 (Peter de Zittau). Quant à Jean de Victring, il est contemporain des événements. Au total, six textes relatent le déroulement de la bataille. Sans oublier encore la chronique illustrée de Diebold Schilling (photo). Sans oublier aussi le champ de bataille supposé de Morgarten lui-même. Une visite s’impose et permet d’imaginer assez facilement le lieu où le duc Léopold est tombé dans une embuscade, car le milieu a peu évolué, contrairement à d’autres sites. D’une étude comparée de ces différentes sources il apparaît qu’il y a bel et bien eu un combat, le 15 novembre 1315, et ceci sous la forme d’une embuscade. Les questions ouvertes portent sur le lieu exact de ce combat, sur le nombre de combattants dans chaque camp et leurs pertes respectives, sur le lien qui aurait pu exister entre les événements de Morgarten et une éventuelle manœuvre autrichienne de diversion au Brünig, ainsi que sur le niveau de renseignement des Schwyzois avant la bataille. Ce sont ces différentes questions qui permettent d'alimenter le mythe de Morgarten, et pas une hypothétique reconstruction de l’événement ex nihilo …
Quelles conclusions tirer de ces deux cas ? Une nouvelle fois, l’histoire a pour matériau brut des faits relatés de différentes manières (par le texte et par l’image), le tout dans un cadre chronologique et géographique dont on ne peut faire abstraction. Vouloir nier l’existence d’un événement documenté ou proclamer la fausseté de tel ou tel autre document est une démarche qui, pour qu’elle soit crédible et pas hasardeuse, doit s’appuyer sur une critique sérieuse de toutes les sources disponibles et pas sur des a priori idéologiques …
Pierre Streit, 14 novembre 2013
Pierre Streit fait bien de rappeler ces faits. J’ajouterai que certains historiens qui tiennent à être désignés comme des scientifiques feraient bien de garder une certaine prudence face à des affirmations pour le moins douteuses. Par exemple en ce qui concerne précisément les combats des Waldstaetten, lorsqu’ils confondent une liberté accordée par une franchise de l’empereur avec une liberté acquise et défendue militairement. La première peut être supprimée du jour au lendemain. Et des franchises il y en eut beaucoup au Moyen-âge, particulièrement sous les Carolingiens. N’importe quel enfant de 10 ans, s’intéressant à l’Histoire, comprend la différence.
Pour ce qui concerne la datation du pacte de 1291, à ce que j’ai lu, le carbone 14 arrive à une précision dans les limites de la tolérance d’une telle mesure, à moins que je me trompe. Ce serait intéressant de donner exactement les résultats avec les tolérances de la mesure. Pierre Streit en sait peut-être plus ?