Nous prenons les paris: dans 10 ans, le taux de chômage moyen en Suisse aura doublé.
Sans s'en rendre compte, la Suisse a fait la Révolution. Nous pesons nos mots, Révolution.
Elle l'a faite, non parce que qu'elle l'a choisie, mais au contraire parce qu'elle ne s'en est pas rendue compte. Dans ce pays démocratique, les plus grands choix historiques ont été faits sans bruit, sans votation. Ils ont été imposés par le cours des choses, comme d'évidence.
Si nous avions vocation polémique dans ce papier, nous dirions que ce choix a découlé:
1- de la globalisation des grandes banques suisses et de leur volonté de jouer un rôle mondial
2- du remplacisme, c'est à dire changement de peuple, progressif
3- du glissement socialiste de l'électorat
4- de l'absence de clairvoyance des conservateurs qui n'ont pas compris l'enjeu identitaire.
La Révolution Suisse, c'est celle de l'intégration au marché mondial, selon la règle conjointe de la finance et de la domination américaine, dont l'Europe n'est que la courroie de transmission. Nous conseillons aux sceptiques de travailler sur tous les exemples historiques d'intégration et les conséquences qui en ont découlé. Travaillez aussi sur les exemples inverses, ceux de recherche de la spécificité ou d'autarcie, on y voit plus clair.
Le mot fort, c'est « intégration ». Car tout s'ensuit. Tout est lié dans un système. La fin progressive de la spécificité, de la protection, de l'autarcie partielle. La fin d'un système de valeurs à la fois des marchandises, des services, du travail et des valeurs morales.
Le mouvement des dernières années s'analyse lucidement comme un mouvement continu de démantèlement. De la protection aux frontières, de la façon de faire des affaires, des relations au sein du travail, de la protection de la sphère privée, du secret bancaire, de la neutralité, etc. etc.
Le lecteur intéressé complétera lui-même car nous ne cherchons pas à persuader ceux qui nient le phénomène, mais à faire réfléchir ceux qui le pressentent.
Nous avons un postulat de base historique. L'intégration produit, par la concurrence, puis la diffusion de proche en proche, l'alignement des valeurs locales sur les valeurs moyennes mondiales. Cela est vrai s'agissant des valeurs économiques comme les prix du marché des biens et services, mais c'est vrai du taux de profit moyen, du prix du travail, des taux d'intérêt, du taux de l'hypothécaire cher aux Suisses ; bref, de toutes ces grandeurs qui sont encore spécifiques en Suisse. Mais c'est vrai aussi des autres marchés, sur le long terme bien sûr : marché de la politique, des idées, des principes, des théories, de la culture. Déjà, simples exemples, on voit exiger l'introduction d'un salaire minimum, puis la contestation de l'armée populaire. Déjà la Banque Nationale Suisse a lié son destin et celui de la monnaie à l'euro, elle abandonne l'objectif unique de stabilité monétaire pour les autres objectifs tels que contrôle du chômage, de la compétitivité, soutien des déséquilibres bancaires sources de fragilité.
La politique agricole suisse volera en éclats lorsque le niveau de vie sera sous pression, il faudra alors baisser le coût de la nourriture. Il faudra réduire les marges de la distribution. Ce n'est qu'un exemple pour faire réfléchir. Le commerce indépendant, local, encore très fort en Suisse, subira des coups de boutoirs. La physionomie des villages se transformera. La Poste, les transports locaux, etc. La politique locale, cantonale, puis fédérale, mutera. Il viendra s’ajouter, conséquence directe de l’intégration, les questions de la sécurité et des inégalités, ceci produira plus de contrôles de l’Etat, plus de lois, plus de dirigisme. Le poids de l'Etat se renforcera, ses règlements, ses rigidités également.
Les Suisses ne voient pas les choses de cet œil, mais la preuve de ce que nous avançons crève les yeux, c'est la montée de l'UDC ici et des fractions identitaires, là. On refuse de voir que c'est l'évolution décrite ci-dessus qui produit, au sens fort de « produire », le besoin de la réaction UDC. Il n'y a nul choix, nul hasard, la montée de l'UDC exprime par un moyen indirect la réaction à cette Révolution de l'intégration et la force de la réaction prouve a contrario la force de l'action d'intégration. Il est évident que le discours politiquement correct permet de masquer la réalité et d'occulter ce qui est à l'œuvre. Dommage car il empêche aussi les prises de conscience lucides. Et les débats. Le débat central escamoté, même pas formulé, est celui-ci: la Suisse peut-elle s'intégrer dans l'universel ? Est-ce le bon choix de suivre la prétention française, socialiste; quels sont les atouts du pays pour y faire face et tirer son épingle du jeu. La prétention du choix de l'universel ne fait-elle pas le jeu des plus forts dès lors que l'universel est truqué, que c'est leur universel, le leur, à eux?
Mais nous n'avons pas l'intention de polémiquer et nous nous bornerons donc à proposer une piste de réflexion.
Nous affirmons que lorsque les grandes banques suisses ont cédé à l'attrait de l'intégration financière sous la règle américaine, tout a commencé. Elles n’ont pas su, comme la Deutsche Bank en Allemagne, résister au champ des sirènes de l'accès à la manne du recyclage des déficits US et elles ont mis, à partir de là, un doigt dans un engrenage que personne n'a aperçu. Le surproduit de la Suisse a basculé, il a eu une autre origine et on ne l'a vu que dans la crise de 2008 lorsque l'on s'est aperçu de l'intégration financière et de ses risques. L'analyse n'a pas été faite, comme si tout coulait de source, sauver les banques, continuer comme avant, persévérer dans la dépendance, d'abord américaine, puis dans la dépendance européenne. Le grand ratissage fiscal mondial est venu compléter ce que la lutte contre le terrorisme n'avait fait qu'entamer. La dépendance des banques à l'égard des lois, des réglementations, des refinancements, est un phénomène majeur que personne n'a voulu voir et critiquer.
Nous n'insistons pas car ce serait donner l'impression que seule l'intégration bancaire est en cause, or, dans notre conception, ce n'est pas le cas. Il y a les valeurs, la culture, le jeu des marques et la publicité, la domination de la télévision, des films, etc.
La Suisse a courte vue. Elle se fait des illusions sur ses atouts, alors que la prospérité relative actuelle repose déjà sur la liquidation des bijoux de famille, sur la liquidation de la réputation, du fonds de commerce. Elle confond ses atouts statiques, présents, avec ceux qui détermineront son avenir. Combien de fois n'entendons-nous pas : « Mais les fonds étrangers, la gestion, les résidents au forfait, tout cela ne représente que... », et on donne un chiffre. On oublie que ce qui compte en régime capitaliste, ce ne sont pas les valeurs absolues, le capitalisme n'est pas la production de chiffres d'affaires, mais la production de profits, de marges, de valeurs ajoutées, lesquels ont un effet multiplicateur. Les valeurs ajoutées d'ici ont un effet multiplicateur là-bas comme dans la fable des abeilles de Mandeville.
Le profit, « le gras », font boule de neige par le bais de l'épargne, des taux, de l'effet de richesse. Et même par l'effet du gaspillage. A ceux qui doutent de cette réalité, nous recommandons d'analyser ce que l'on appelle les cercles vertueux en économie. Le cercle vertueux, c'est à la marge, sur le bord, qu'il se caresse. Le capitalisme c'est le discontinu, on est soit en gain, soit en perte, c'est le règne du tout ou rien. Réfléchissez bien avant d'instaurer un salaire minimum élevé.
Pour comprendre, reportez-vous au cercle tellement vertueux qu'il en devient vicieux de l'accumulation du capital par le bais des mécanismes de marché: 10 millions de profits auxquels on applique un multiple cours bénéfice modeste de 15 fois créent une richesse, un effet de richesse de 150 millions, une traite sur l'avenir de 150 millions! C'est cela la mécanique capitaliste, c'est celle du multiplicateur.... mais il joue dans les deux sens.
Nous prenons les paris: dans 10 ans, le taux de chômage moyen en Suisse aura doublé.
Bruno Bertez, 14 novembre 2013
Et vous, qu'en pensez vous ?