On pourrait s’attendre à un peu plus de recul sur ce que parler et penser veut dire, de la part des sociologues. Du moins, de ceux qui ont vu « Le Chat », où Simone Signoret fait tout pour monter Jean Gabin – son époux à l’écran – contre le chat chéri du mari. Avait-elle une dent contre la bêbête, ou voulait-elle se venger de Gabin sans oser le défier ? Un populiste trouve dans ce film une parabole sur les propos « xénophobes » du petit peuple, poussé à bout par les prêches d’universalistes en chambre. Comme ce cadre de l’Etat, entendu à un colloque de la Haute école de travail social : « Je m’en veux de n’avoir pas réagi quand un restau à refusé à une Rom le droit d’y faire ses besoins » ; mais cet « indigné » n’a pas poussé l’ouverture-à-l’autre au point d’inviter la Rom chez lui ou à son bureau, ni ce jour-là, ni un autre.
L’ennui, avec les « populistes », ce n’est pas tant qu’ils soient « réacs » : on en a connu avant eux… la gauche sait bien gérer ça. Mais les vieux réacs avaient le bon goût d’être peu en nombre et plein les poches : on avait là une bonne explication de cette petite défaite du Bien… les nantis voyaient Mal « par intérêt ». Depuis qu’une bonne partie du « peuple » est revenue à droite sans argent à la bouche ni fauteuil à la clé, on doit lui trouver d’autres dé… raisons. Car – les gens de progrès sont premiers à le dire – les « populistes » votent et pensent contre leur « intérêt de classe ». Comment et pourquoi sont-ils alors devenus des réacs… « sans intérêt » ? Par la faute du cinéma et de la chanson, comme vous allez le voir en regardant comment je suis devenu moi-même un « réac sans intérêt ».
L’amnésie est-elle de gauche ?
Prenez un film comme « La crise » : j’y ai vu un député socialiste menant une vie de château, et un raciste qui s’avère en fin de compte être à moitié arabe. Mais à entendre le camp de la fraternité sociale et raciale, une « crise » n’est qu’abus du grand capital qui saigne le peuple à blanc. S’il ne s’agit pas de la même crise, casser les clichés sert à toutes les crises : or les « camarades » de Coline Serreau ont tous vu son film qui les a fait rire… sans laisser de traces. A quoi bon, alors, la culture, si elle glisse sur les plumes de la nouvelle classe lettrée ? Plus près de nous, deux films dont j’ai oublié le titre, mais qu’on a pu voir ces dernières années à des festivals documentaire ou humanitaire : l’un montrait la déchéance d’immigrés devenus gigolos pour homos en Espagne. Au débat qui suivit, on conclut à « l’exploitation omniprésente » fille du capitalisme. Pourtant, si on se donnait la peine de regarder l’écran, on y voyait au contraire des gens réduits aux extrémités faute d’avoir pu trouver du travail : mais la critique du chômage embarrasse les gens qui aiment être toujours « du bon côté », surtout après tant d’années passées à dire que le monde serait si bien sans patrons. Pour le second film, le résumé dans le programme disait que ce docu-drama dénonçait les méfaits de Sarkozy envers les réfugiés… pour ma part, j’y ai vu une femme paumée ayant besoin de réfugiés à aider plus que l’inverse… elle le disait elle-même à l’écran (citée de mémoire) : « Je viens (à l’asso) parce qu’avec vous, je me sens mieux ». Pareil avec « Le nom des gens », « Crash », ou la série « Baltimore » : ces films mettent à mal tous nos clichés sur le racisme… mais qui les cite à un débat de la « société civile » cause au mieux la surprise, et au pire la colère. Ces oeuvres, pour les militants qui les ont vues, sont là pour rigoler et par pour réfléchir.
La mort est certes normale
Pourquoi a-t-on des guerres si tout le monde veut la paix, et des injustices, alors que tous réclament la justice ? Les diplomates, les présidents, les généraux, les juristes et les experts cherchent encore… tant mieux pour eux. Mais Tom et Jerry ont trouvé… un système tripartite ; vous vous rappelez peut-être l’épisode : Seule force armée crainte des deux belligérants, le gros chien gris n’a pas épargné sa peine pour amener le chat et la souris à signer un traité de paix. Et pour célébrer cet événement historique, il organisa une fête du partage, où devait se couper en trois une côtelette de l’amitié. Mais voilà : comment la couper… en trois parts égales, ou selon la taille des trois parties au traité ? D’où une nouvelle guerre, qui laissa les trois bêtes sur leur faim, c’est le cas de le dire. Passons sur du showbiz plus ancien, propre à tromper la vigilance des mécanos de l’histoire : quid de la haine du Noir sous Otello, de l’esprit de classe dans Cosi fan tutte, de l’impérialisme dans Aïda, ou des privilèges vus par Shylock ? Pour les questions de sécurité, on fait mieux de tourner les oreilles vers la chanson. Ecoutons « C’est normal » d’Areski et Brigitte Fontaine : on croirait entendre un débat sur la délinquance à la Maison des associations. Mais de nouveau, le populiste que je suis a l’esprit mal tourné, et tout citoyen raisonnable trouvera que la justice ne pèche pas par mollesse, sauf envers les patrons faillis et les fraudeurs fiscaux qui méritent plus de dureté.
Où va la science sans souris ?
On pourrait s’attendre à un peu plus de recul sur ce que parler et penser veut dire, de la part des sociologues. Du moins, de ceux qui ont vu « Le Chat », où Simone Signoret fait tout pour monter Jean Gabin – son époux à l’écran – contre le chat chéri du mari. Avait-elle une dent contre la bêbête, ou voulait-elle se venger de Gabin sans oser le défier ? Un populiste trouve dans ce film une parabole sur les propos « xénophobes » du petit peuple, poussé à bout par les prêches d’universalistes en chambre. Comme ce cadre de l’Etat, entendu à un colloque de la Haute école de travail social : « Je m’en veux de n’avoir pas réagi quand un restau à refusé à une Rom le droit d’y faire ses besoins » ; mais cet « indigné » n’a pas poussé l’ouverture-à-l’autre au point d’inviter la Rom chez lui ou à son bureau, ni ce jour-là, ni un autre. Bref, la sociologie – en Romandie et bien au-delà - s’en tient au premier degré avec fermeté : après le vote sur la réforme de « l’asile », la crème du Département de socio avait tenu séminaire ouvert au public, tant elle avait besoin de force d’appoint. On s’était cru à la Maison Blanche juste après Pearl Harbour : autant dire que l’ennemi – les « populistes » - y était perçu comme pire que les Japs et les Boches réunis… mais là, ce n’est pas du « racisme », c’est une guerre aux méchants, nuance : « Pas de guerre contre les petits, pas de paix pour les nantis », dit en gros un slogan sur nos murs. Ces derniers jours, de même, on a eu au Club de la presse un cours de morale sur les migrations, avec la caution de notre Université. Un Professeur y a « scientifiquement » prouvé que les « populistes » jouaient un jeu criminel avec la « xénophobie »… mais quand je lui ai demandé – au nom du chat de Gabin et de la souris de Tom, s’il ne fallait pas être deux pour ces jeux dangereux, il a réfuté ma question comme « vide de science ».
Sourds « par intérêt » ?
Encore un exemple… mais on pourrait en trouver mille : le fameux docu sur « Vol spécial » de Fernand Melgar : aux débats avec l’équipe du film, on insiste toujours sur le fait que les gens détenus à Frambois « n’ont pourtant commis aucun délit »… or un Nigérian se dit en danger dans son pays pour y avoir fait des… sacrifices humains. Mais il est bien plus facile d’être ouvert à l’Autre quand on bouche ses yeux et ses oreilles… c’est ça, le « politiquement correct ». Sinon, on pourrait s’étonner que le camp du progrès fasse de « l’ouverture à l’Autre » son thème obsessionnel depuis une ou deux générations : à l’école, au musée, dans les partis, dans les médias, au théâtre, et même, depuis peu, dans les parcs publics. Mais de quoi d’autre peut parler une société dont l’école, la santé, le travail et la science – bref, tous ses totems - sont dans l’impasse ? Alors la montée du racisme, si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer : « Impasse, d’accord… mais sans nous, vous aurez la Peste Brune… alors votez pour nous et payez vos impôts… pour arroser les Roses et le Vert ». C’était simple… il fallait y penser… et ce fut reparti pour trente ans : à chacun son « intérêt ». Mais ce second bail n’est-il pas, à son tour, échu ?
Boris Engelson, 10 novembre 2013
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