Ils ont acheté la presse, telle est la provocante affirmation de Benjamin Dormann et qui sert de titre à son ouvrage. Ces « ils » sortent vite de l’anonymat. Ils s’appellent Serge July, Laurent Joffrin, Denis Olivennes, Matthieu Pigasse, Pierre Bergé.
Pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage, « aujourd’hui, la presse se tait, étouffe, ou encense ». Il ne faut pas s’étonner qu’elle se trouve de plus en plus coupée de l’opinion. Voici une analyse solidement documentée qui s’avère à la fois édifiante et consternante. Liberté, je crie ton nom !
PS : On peut augurer que cet ouvrage dérangeant ne va pas défrayer la chronique. L’omerta va s’imposer.
Benjamin Dormann, qui fut journaliste dans la presse financière et a été trésorier d’un parti politique « divers gauche », n’est pas un néophyte. Il sait ce dont il parle et va le montrer dans cet ouvrage, véritable bouquet de révélations. Elles sont tour à tour déroutantes, surprenantes, déconcertantes. L’auteur nous invite à passer de l’autre côté du miroir. On part en sa compagnie explorer les méandres souvent obscurs de Mediapart, des Inrockuptibles, duNouvel Observateur, de Libération et du Monde. Une plongée dans la presse de gauche.
On considère la presse comme étant le quatrième pouvoir. Théoriquement, cette affirmation suppose qu’elle est objective, un lieu de réflexion, d’analyse et, naturellement, de contestation. Elle aurait donc la noble fonction d’informer le citoyen et, au besoin, d’alerter l’opinion publique des dérives du pouvoir en place. Aujourd’hui, l’idée même d’une presse indépendante, autrement dit libertaire, tient de l’utopie.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France s’est libérée de l’occupant. Les journaux furent, eux, emprisonnés dans le carcan de plus en plus étroit d’une idéologie où l’œil de Moscou veillait. Il ne fallait pas trop s’écarter d’une certaine vision de l’histoire. Il s’agissait de marcher droit et de penser à gauche.
En analyste rompu aux subtilités du monde financier, Benjamin Dormann constate que la presse écrite, dans son ensemble, se trouve dans une situation économique désastreuse. Certains titres friseraient le dépôt de bilan. L’auteur relève là un singulier paradoxe. Les bilans de nombreux titres devraient faire fuir tous les investisseurs conséquents, assurés qu’ils sont de ne jamais pouvoir retrouver leur mise. Il n’en est rien. Au contraire, ils s’empressent, Pierre Bergé en tête, et sortent leur carnet de chèques. L’auteur nous donne les raisons d’une telle démarche. Les équipes rédactionnelles sont de plus en plus emportées par le militantisme politique. Du fait de leur engagement, les journalistes perdent toute crédibilité. La prétendue objectivité disparaît, avalée par les brumes du combat idéologique. Les journalistes partisans se transforment en agents de publicité et les titres deviennent insidieusement des agences de communication.
Benjamin Dormann étaye ses analyses et ses démonstrations d’exemples concrets. Avec une ironie mordante, il épluche le dossier de la lamentable affaire DSK. Il n’est pas original de constater que le satyriasisme du directeur du FMI était connu de l’ensemble des médias. Les plus effrontés en faisaient des gorges chaudes. Tout le monde savait, mais tout le monde se taisait. Ah, la sacro-sainte atteinte à la vie privée ! Les gardiens si sourcilleux de l’éthique avaient moins de scrupules lorsqu’il s’agissait de raconter les frasques érotiques d’un Berlusconi.
Une nouvelle étape allait bientôt être franchie. Le quatrième pouvoir agonisant est remplacé par un cinquième pouvoir, selon l’auteur. On est insensiblement passé de l’ère de la communication à celle de la manipulation, puis à celle du mensonge délibéré. Les frontières entre ces genres, théoriquement incompatibles, deviennent chaque jour plus ténues.
Benjamin Dormann met à mal bien des idées reçues. À des médias qui crient famine, il montre (chiffres à l’appui) que l’État subventionne avec une constante régularité les grands organes de presse. Celle-ci se complaît fort bien de cet assistanat étatique.
Pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage, « aujourd’hui, la presse se tait, étouffe, ou encense ». Il ne faut pas s’étonner qu’elle se trouve de plus en plus coupée de l’opinion. Voici une analyse solidement documentée qui s’avère à la fois édifiante et consternante. Liberté, je crie ton nom !
PS : On peut augurer que cet ouvrage dérangeant ne va pas défrayer la chronique. L’omerta va s’imposer.
Source : Jean-Claude Lauret, Boulevard Voltaire, 9 août 2013
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