Face au “Tea Party à la française”… Article de Gaël Brustier publié sur son blog de Rue89.
“On aurait cependant tort de penser que ce mouvement correspond à une « front-nationalisation » des droites. La réalité est quelque peu différente…”
Le président de la République a compris une chose fondamentale : la droite est en train de muter. A l’occasion des manifestations contre le « mariage pour tous », les droites sont reparties à l’offensive culturelle, une génération de cadres politiques a commencé à émerger, une fusion croissante des électorats se confirme et une importante question relative au potentiel basculement de « l’Ouest catholique » se pose.
En évoquant un « Tea Party à la française », François Hollande pointe non pas un simple calque français du mouvement états-unien inspiré essentiellement par Ron Paul (ou son fils Rand, sénateur du Kentucky) mais le fait que la France a vu se lever un vaste mouvement social et culturel de droite dont on aurait tort de mésestimer la puissance et la portée.
En une occasion, il aurait même pu prendre une forme insurrectionnelle, le 24 mars. A part quelques milliers d’activistes arrivés sur les Champs-Elysées, la Manif pour tous n’a pas tourné au scénario « à la vénézuélienne » (lorsque, le 11 avril 2002, la manifestation de l’opposition de droite à Chavez s’est détournée pourmarcher sur le palais présidentiel).
Les droites sont néanmoins passées à l’offensive culturelle au cours de l’année écoulée. Mais en se focalisant exclusivement sur le Front national ou les déboires internes de l’UMP, on a omis d’analyser l’évolution en profondeur de notre société et de ses représentations.
Les droites en osmose
Le vaste mouvement que nous avons connu est né d’une « panique morale ». Concept forgé par Stanley Cohen au Royaume-Uni, la « panique morale » désigne une réaction souvent disproportionnée à une attitude minoritaire jugée dangereuse pour la société.
En reprenant le terme « mariage », la majorité de gauche a modifié un ordre symbolique. C’est à la défense de cet ordre symbolique que la Manif pour tous s’est dédiée. Et si les catholiques pratiquants ont fourni le gros des bataillons de manifestants, on aurait tort de croire que cette contestation est cantonnée à l’unique petit monde des 4% de messalisants. Il va bien au-delà.
Cette panique morale a enclenché une forme de recomposition à droite. Une fusion tendancielle des différents électorats de droite et d’extrême droite. A l’image de ces manifestations qui ont vu défiler côte à côte des catholiques mobilisés par leurs paroisses, des électeurs centristes, des militants UMP ou des Identitaires. Compatibles les uns avec les autres, ces différents secteurs de la droite semblent désormais connaître une véritable osmose. Un bloc culturel, politique et demain sans doute électoral est en train de naître.
Ce mouvement a aussi vu émerger de multiples groupes qui ont pour particularité de ne pas forcément être en contact direct les uns avec les autres. Les Antigones, les Hommen, le groupe Camping pour tous, les Veilleurs, tous ont émergé sur la fin du mouvement, après le 24 mars, lorsque celui-ci s’est véritablement radicalisé. Les « gardés à vue », présentés comme des « prisonniers politiques », forment une phalange militante particulièrement déterminée.
« Bleu Marion »
Une génération de cadres politiques de droite est née. Elle abhorre la « droite d’argent », voue aux gémonies Mai 68 mais est présente sur tout le spectre politique droitier.
Ce mouvement peut avoir d’importantes conséquences électorales. Dans l’Ouest, à Nantes ou Rennes par exemple, la mobilisation a été très forte. Rappelons qu’à partir des années 70 (et en particulier des municipales de 1977), l’Ouest catholique a progressivement basculé à gauche, d’abord sous l’influence des militants catholiques de gauche du PSU puis, après 1974 et les Assises du socialisme, directement via le PS.
On sait qu’il y avait dans la Manif pour tous des membres du Parti socialiste. Rassemblés au sein des Poissons roses, ils révèlent qu’une partie de l’électorat de gauche a été fragilisé dans son alignement sur le PS par la loi Taubira. Dès lors, on peut, de manière utilement provocatrice poser une question : et si, demain, les petits-enfants du PSU devenaient « Bleu Marion » ?
Marion Maréchal-le Pen lors d’un défilé contre le mariage homosexuel, le 23 avril 2013 à Paris (SEVGI/SIPA)
Accueillie triomphalement au pèlerinage de Chartres, Marion Maréchal-Le Pen symbolise à merveille cette nouvelle donne droitière en France et la compatibilité croissante des différentes droites. Avec d’autres personnalités, de l’UDI (Jean-Christophe Fromantin), de l’UMP (Henri Guaino), elle est, à en croire divers témoignages, tenue en haute estime par de nombreux opposants au « mariage pour tous ». Le Front national, qui pâtissait d’un retard considérable chez les catholiques pratiquants, l’a comblé chez les plus jeunes d’entre eux.
On aurait cependant tort de penser que ce mouvement correspond à une « front-nationalisation » des droites. La réalité est quelque peu différente...
Source : Lire la suite, Gaël Brustier Blog Rue89, 25 juillet 2013
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