L’esprit de Genève sur le Quai Wilson

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

L’heureuse formule de Pascal Décaillet évoquant sur ce site, une « posture céleste », donne à penser.

Il l’utilise pour caractériser l’attitude des journalistes du Temps. Ils sont tout là-haut pour nous donner une meilleure vue du monde. Quotidiennement, ils lèchent leur belle fourrure tachetée de belles intentions et se paradent devant leurs lecteurs pour les aider à se transsubstantier, eux aussi, en esprits célestes. Mais ils sont si hauts qu’ils ne voient plus rien, leurs lecteurs non plus.

Cette heureuse formule caractérise aussi l’esprit de Genève, ville où l’on aime se représenter comme pur intellect surplombant le monde avec une infinie bienveillance. A Genève, on ne fait plus partie du monde puisqu’on y a adopté une posture céleste, mais on se penche tout de même sur lui avec bienveillance, le front ridé par de profonds soucis. Des marxistes classiques feraient observer, à juste titre, que cette posture a des avantages économiques. Elle permet en effet à de nombreuses organisations internationales d’avoir leur siège et leur personnel à Genève parce qu’elles s’y sentent bienvenues. Ça rapporte au canton par le biais des impôts et de la consommation ! Hélas, les marxistes classiques sont une espèce en voie de disparition.

Cette posture céleste s’étale en toute clarté sur l’un des plus beaux quais de cette ville, le quai Wilson. On y voit des affiches représentant de tristes choses en ce bas monde : la pollution, les armes chimiques, les changements climatiques. C’est Green Cross International qui a mis en place cette exposition. Son but est louable : permettre à tout être humain d’avoir accès à l’eau potable. En tête de ces affiches, un slogan : « Give Humanity a Chance ».

La stupidité de ce slogan est frappante et l’on se demande quelle agence de communication est parvenue à rouler Green Cross International dans la farine d’une posture céleste. Comment les piétons jouissant d’une des plus belles vues du monde pourraient-ils donner une chance à l’humanité ? Croit-on vraiment que, bouleversé par l’une ou l’autre affiche, un passant pourrait décider, soudainement concerné par le sort de ses semblables sur la planète entière, de signer un chèque ? Ce n’est pas impossible, mais il signerait du même coup son bon d’entrée dans une institution psychiatrique. Vouloir agir pour l’humanité en tant que telle signale une intelligence malade. Toute action requiert l’analyse d’une situation particulière.

Ce slogan a toutefois un avantage. Il fait croire au badaud qu’il pourrait agir de là-haut sans prendre parti. Charles Péguy disait de la morale du philosophe Emmanuel Kant qu’elle était bien belle mais aussi parfaitement irréaliste ou inutile. « Le kantisme, a-t-il écrit, a les mains pures, mais il n’a pas de mains. » Voilà qui s’applique parfaitement à l’esprit de Genève aujourd’hui.

Jan Marejko

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    L’esprit de Genève, ah… me ramène loin en arrière. Vers la Genève qui gagne, et vers “la misère intellectuelle et morale en Suisse romande”. Qui donc ne date pas d’hier. Et à Jan Marejko et Éric Werner, les auteurs de ce livre. Dont j’apprends à l’instant qu’il est inspiré (Éric Werner), entre autres, par Alexandre Zinoviev et Marie Balmary, que je recommande vivement! Ah…. l’esprit de Genève. Quelques lentes, pondues ici et là. Étriqué et mesquin. Sans âme. Il y a quelque années j’ai lu une édition de poche de “Le Maître et Marguerite”. Qui avait la particularité d’indiquer les passages censurés par le régime soviétique. Dérisoire! Pourquoi ai-je pensé à Genève et à sa bureaucratie? Au marques rouges sur la chaussée, aux terrasses de cafés uniformisées, à la réglementation tatillonne. Pourquoi? Un type rouleà 200 sur le quai, on limite à 60! À 240 ce sera 40! Et à 260 zéro. Bientôt, vera-t-on à l’entrée de la ville: fermé définitivement pour cause de deuil?

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