Au lieu de se contenter d’une retraite élégante à Vienne dans la gloire de son Prix Nobel, ElBaradei s’est jeté en 2011 dans la politique égyptienne, lui qui n’a rien d’un tribun. En fait, c’est plutôt un piètre orateur. Incroyable pour ceux qui l’ont connu sur la scène internationale de le voir dans les rues du Caire au milieu d’une foule déchainée.L’élégant et brillant juriste et fonctionnaire international.
Mohamed ElBaradei réussira-t-il sa conversion à la politique nationale, saura-il naviguer entre les embuches et les compromis d’une politique orientale souvent très proche du bazar ? Je pense que oui.
Après le licenciement du président Morsi et la mise à l’écart des Frères musulmans, Mohamed ElBaradei devrait dans les prochains jours assumer la fonction de premier ministre du nouveau gouvernement égyptien. Un choix logique, dit-on au Caire.
Mohamed ElBaradei, quel genre d’homme?
Entre 1993 et 1999, j’ai travaillé très étroitement avec lui à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne, lui en tant qu’Assistant directeur général jusqu’en 1997, sous la direction du Directeur général Hans Blix, ensuite comme Directeur général lui-même – et moi en tant que Directeur général adjoint. Dans ses fonctions, ElBaradei a dirigé les activités juridiques et diplomatiques de l’AIEA, alors que je m’occupais du corps des quelque 600 inspecteurs qui vérifiaient les installations nucléaires dans le monde entier. Ensemble, lui comme chef juriste et moi comme chef de l’inspectorat technique, nous avons en l’espace de quatre ans modernisé en profondeur le régime d’inspection de l’AIEA – en introduisant des technologies nouvelles et, sur le plan politique, en faisant accepter aux Etats-membres des inspections plus intrusives par le biais d’un instrument juridique, le «Protocole additionnel» de 1997, qui fut plus tard ratifié par la vaste majorité des pays, si ce n’est parmi les absents, l’Iran et … l’Egypte.
Ce fut une période de grande intensité intellectuelle – toujours à la recherche de solutions constructives à même de combiner les objectifs politiques de la lutte contre la prolifération, les contraintes juridiques (la souveraineté des Etats) et les contraintes techniques et humaines d’un inspectorat, et ceci sous la direction d’un grand patron, le Suédois Hans Blix, lui-même juriste international avisé.
ElBaradei dans tout ça ?
Pour l’avoir côtoyé pendant 6 ans, je pense pouvoir résumer sa personnalité en quelques traits:
- Une grande intelligence analytique, juridique et politique qui suscitait admiration et respect;
- Une pleine intégrité intellectuelle, une démarche sans détours;
- Une probité morale totale qui excluait toute tricherie et combine;
- Absence de népotisme (égyptien ou pas, seul le meilleur candidat était choisi pour un poste);
- Courtois dans le travail en équipe, mais en tant que directeur général après 1997, enclin aux décisions solitaires (on l’avait surnommé le «Pharaon»); son acuité politique et ses compétences analytiques lui permirent néanmoins d’éviter les erreurs.
Au lieu de se contenter d’une confortable retraite à Vienne dans la gloire de son Prix Nobel, ElBaradei s’est jeté en 2011 dans la politique égyptienne, lui qui n’a pourtant rien d’un tribun. En fait, c’est plutôt un piètre orateur. Incroyable pour ceux qui l’ont connu sur la scène internationale de le voir dans les rues du Caire au milieu d’une foule déchainée.
Le voilà deux ans plus tard de retour sur la scène politique. Avant et après le renversement de Morsi, il a négocié avec le chef des forces armées Abdul Fatah al-Sisi. Il a soutenu l’opération de l’armée et définit avec l’opposition triomphante une feuille de route politique, y compris la nomination du juge Adly Mansour à la présidence provisoire. ElBaradei était présent le 3 juillet dernier lorsque le général Sisi annonça la suspension de la constitution et la mise à l’écart de Morsi.
L’élégant et brillant juriste et le fonctionnaire international Mohamed ElBaradei réussira-t-il sa conversion à la politique nationale, saura-il naviguer parmi les embuches et les turpitudes d’une politique orientale souvent très proche du bazar ? Je pense que oui. Après deux ans d’immersion dans la vie politique cairote, et surtout ayant en lui les connaissances de l’excellente gestion de l’AIEA qui a marqué son ère et celle de Hans Blix, il devrait pouvoir mettre sur pied un gouvernement de technocrates capable de renflouer le pays. Peut-être faudra-t-il attendre le retour au calme, car la nomination d’un homme si ouvert sur le monde, si peu dogmatique attise à l’extrême la fureur des islamistes totalitaires. Plus tard, grâce à l’envergure nouvelle que cette fonction de premier ministre lui donnera, il devrait pouvoir atteindre – au bout de trois, six ou neuf mois – ce qui a été son objectif depuis longtemps, la présidence de l’Egypte.
Bruno Pellaud physicien
Merci Monsieur Pellaud! Pour votre témoignage. Je me souviens d’une déclaration de Monsieur El Baradei, alors qu’il dirigeait l’agence, à propos du nucléaire Iranien. Exprimant une position sobr, claire, nuancée et intelligente. Les détails m’échappent. Mais je souviens de la résonnante de mon cœur! Voici un homme droit! Et intègre. Vous y ajoutez, en tant que témoin, la probité. Ce faisant, cher Monsieur Pellaud, vous rendez aussi justice à ma petite intelligence. Elle est toute joyeuse. Si, selon ce que je crois, vous gardez contact avec Monsieur Baradei, voulez-vous lui dire que je le béni de tout mon cœur. Auquel mon intelligence est associée. Merci donc.