Le miracle de la St Joseph : La littérature imagine l’accueil des réfugiés…

Anne Lauwaert
Ecrivain belge

« A moins d’un miracle… vous avez échappé aux atrocités de 30 ans de guerre dans votre pays, vous avez fait le tour du monde dans les moyens de locomotion les plus dangereux, échappé aux pirates birmans, aux bandits corses, aux requins marteaux et aux pieuvres géantes, vous avez risqué d’étouffer dans les camions scellés et vous êtes arrivés sains et saufs jusqu’ici pour pouvoir embrasser la vraie foi et mourir entourés d’amis qui vous accompagneront jusqu’aux portes du paradis… et justement comme si c’était prédestiné, dans l’église de Saint Joseph le patron de la bonne mort, c’est pas un miracle, ça ? »

 

-« Aha! Voila Monsieur Justin! »

-« Bonjour Monsieur le Maire. »

-« Bonjour Justin, vous allez bien Justin ? »

-« Ca pourrait aller mieux Monsieur le Maire. »

-« Allons bon, voila que cela recommence, qu’est ce qu’il y a encore ? »

-« Je crois que nous allons avoir un problème, Monsieur le Maire »

-« Mais mon cher ami vous m’avez élu justement pour que je résolve vos problèmes. »

-« Trop c’est trop Monsieur le Maire... il y a des limites à tout... »

-«  Et bien dites moi tout. »

-« Voilà Monsieur le Maire, cette fois ce sont 27 Afghans... soit 3 vieillards, 11 hommes, 8 femmes, 3 adolescents et 2 enfants... »

-« Aha... » - dit le Maire devenu pensif...

Depuis l’avènement du machinisme et du charbon la Commune de Rianval avait été de toutes les parties. Au début on avait tout fait pour s’accaparer des vagues d’Italiens ou de Polonais, même des Russes car il fallait de la main d’œuvre pour les mines et les aciéries... Mais quand sont arrivés les Hongrois les choses étaient déjà un peu différentes. Avec les Tchécoslovaques les choses étaient tout à fait différentes, quand ont suivi les Grecs, les Espagnols et les Portugais on s’est demandé où on allait les mettre, d’autant plus qu’à peu près au même moment sont arrivés les Marocains, les Algériens et les Tunisiens.

Les mines ont fermé et les aciéries ont suivi... Alors Rianval a du diversifier... Le Pays Noir est devenu coloré, multiethnique, multiculturel, multicolore... polychrome. C’est d’ailleurs à cette époque qu’on a été obligé de fusionner des communes sous le joyeux nom de Rianval. Finis les grincements des grandes roues noires au dessus des puits et des ascenseurs qui tombent jusqu’au fond et du grisou qui vous saute au nez et des chariots sur leurs rails et des bennes pleines de charbon.

Maintenant c’est par quartier : la tarentelle à la mandoline du coté des Italiens, la moussaka au sirtaki du coté des Grecs, le flamenco et la paella de l’autre coté et puis pour le reste c’est de Marrakech a Istanbul avec meschui, falafel et  couscous... Non, non c’est pas triste et les odeurs de cuisine non plus c’est pas triste...

A Rianval il y a de la place pour tout le monde... tant qu’il y en a pour deux, il y en a pour trois, c’est bien connu... Sans compter les asiatiques : saké, canard à l’orange, massages thaïlandais, bouddhistes tibétains. Tout ça, ça fait bon ménage, somme toute...

-« Vous avez raison Justin – dit le Maire encore toujours pensif...- on va avoir un problème... »

-« Tout compte fait ça n’est quand même que 27 personnes... »

-«  C’est bien ce que j’étais en train de me dire... c’est pas beaucoup, mais tout de même, c’est pas rien... chez moi il n’y a pas de place ... »

-« Chez moi non plus Monsieur le Maire... »

-« Et qui est ce qui nous amène ces gens ? »

-«  Comme toujours, Monsieur le Maire : les socialistes... »

-«  Mais Justin, ne dites pas ça avec ce dédain, les socialistes c’est de très bons électeurs... il faut absolument aller voir ce qu’on peut faire... »

-«  Alors il faut aller à la gare Monsieur le Maire... »

Le Maire et son secrétaire communal partirent à pieds vers la gare qui avec l’église et la mairie constituaient le triangle opérationnel de la commune. »

-« Bonjour Monsieur le Maire, nous vous attendions... »

-« Bonjour Monsieur Lerouge vous allez bien ? »

-« Oui, moi ça va pas mal, mais mes amis ici présents ont un problème... »

-« On m’a dit ça... mais quand même, je vous écoute... »

-« Et bien voilà, ces pauvres diables ne savent pas où aller... »

-« Ils ont des papiers ? »

-« Non, pas vraiment... »

-« Ils ont des moyens financiers ? »

-« Non, pas du tout. »

-«  Ils ont quoi alors ? »

-«  Ils ont peur d’être ramassés et expulsés ... parce que ce sont des clandestins... »

-«  Et bien, on va réfléchir à la question... »

-« Et en attendant, qu’est ce qu’on en fait Monsieur le Maire ? »

-« En attendant, allez au buffet de la gare et donnez-leur une tasse de café avec une tartine... Je viens de livrer un excellent pâté de foie »- dit le Maire qui était aussi le boucher-charcutier de la commune.

Le Maire et le secrétaire entrèrent  dans la maison communale.

-« Asseyez-vous Justin...  est-ce que vous avez une idée ? »

-« Non, pas vraiment... »

-« Voyons nos possibilités d’hébergement... »

-« Le dortoir du pensionnat des Dames de Marie est occupé par des chrétiens éthiopiens victimes des mahométans.

Les abris antiatomiques sont réservés aux communautés homosexuelles provenant du Bahreïn, du Qatar et du Yémen .

La salle de gym du lycée est occupée par des filles en provenance du Mali qui ont voulu échapper à l’excision du clitoris.

La salle du Patro est occupée par des femmes Nigériennes  qui ont échappé de justesse à la lapidation pour adultère.

Le réfectoire de l’école des garçons est occupé par des animistes du Togo.

L’ex musée colonial est occupé par la table ronde de réconciliation Tutsi-Hutu.

Le dispensaire est occupé par les orphelins roumains et les enfants de Cernobil.

L’athénée est occupé par des farmers blancs qui ont tout perdu a cause de la réforme agraire au Zimbabwe.

Les abris de la protection civile sont occupés par des membres du Falung gong... rescapés de Chine.

Encore, si on pouvait mettre les Bosniaques ensemble avec les Croates, les Albanais et les Kossovares et les Tamil avec les Kurdes, on pourrait faire des regroupements et un peu de place pour les autres... »

-« Ca devient vraiment un problème, mais en conscience, si on a accueilli tous les autres je ne vois pas comment on pourrait refuser ces pauvres Afghans... »

-« On pourrait peut-être demander à la société cynophile ou la protection des animaux qui ont sûrement des sympathie pour les Afghans à cause des lévriers... »

-« Mais non Justin, ils ont déjà tous leurs box pleins de chiens abandonnés... Ah, voila Monsieur Lerouge et bien cher ami ça s’arrange ? ils ont bien mangé ? »

-« Pas vraiment Monsieur le Maire il ne sont pas habitués à nos tartines... Ils veulent du thé sans eau mais avec du lait et du sel et des crêpes et ils ne mangent pas de jambon, ni de pâté de foie, ni de fromage et puis ils veulent égorger eux-mêmes des moutons... ça va être compliqué dans la salle des pas perdus de notre gare... ça va faire désordre... ça n’est pas le genre de la maison...»

-«  Question d’organisation.... mais on est en train de se demander où on va les loger... ça c’est une autre paire de manches... »

-« Vous n’avez pas encore trouvé ? »

-« Non et je crois que vous allez devoir les prendre chez vous, dans les locaux du parti... après tout ce sont vos futurs électeurs... »

-« Mais non, ils ne votent pas pour les socialistes, ils votent pour le parti musulman, mettez-vous à leur place... »

-« Vous pouvez quand même les héberger. »

-« Dans la maison du peuple il y a déjà les exilés Cubains, les Chiliens et maintenant toute une vague d’Argentins... pas possible ... et puis le mélange de genres si différents.... »

-« Non, non je disais les locaux du parti »

-« Non Monsieur le Maire... les locaux du parti, ça c’est privé... moi aussi j’ai mes problèmes et quand je n’en peux plus de mes cinq gosses qui chantent du rap ou passent du disco...ce qui, entre nous soit dit, n’est pas du Johnny Hallyday...  en plus de ma femme qui fait du bel canto... non, les locaux du parti c’est exclu, c’est le denier refuge de mon american way of life... si je n’ai plus ça, il ne me reste plus que les grottes de Han ou le Trou du Diable... mais là mon portable ne fonctionne plus, ni mon laptop... »

-« Il y a quelqu’un qui a une suggestion ? »

-« Il reste l’église... »

-« Oui, il reste l’église, mais attention à ne pas perdre de votes... s’ils vont à l’église ils risquent de voter social chrétien... »

-« Mais non ce sont des musulmans, il n’y a pas de bénéfice ni pour les socialistes, ni pour les verts, ni pour les libéraux, ni pour les calotins...ils votent pour la sharia. »

-« Et bien alors qu’est ce qu’on attend... appelez donc le Curé... »

-« C’est moi que vous attendez ? »

-«  Monsieur le Curé, vous tombez à pic ! »

-«  Vous ne m’appelez que quand vous avez besoin d’un service, mais on ne vous voit jamais à la messe... cela s’appelle de l’opportunisme... »

-« On vous offre des âmes à sauver, Monsieur le Curé... 27 âmes, c’est un joli cadeau... »

-« C’est des quoi cette fois-ci ? »

-« Des Afghans Monsieur le Curé, des mahométans ... »

-«  Si ce sont des mahométans, on peut toujours voir... combien sont-ils ? »

-« 27, c’est pas grand chose... »

-«  Parfait, on a encore une trentaine de matelas du dernier rassemblement scout ... on va pouvoir les installer... »

On transféra donc les 27 Afghans dans l’église Saint Joseph .

-« Attention ! - dit le Curé- pas tous ensemble dans la nef, distribuez-les dans les chapelles latérales pour qu’ils aient un minimum de privacy... »

Tout se passa fort bien. Les enfants furent installés dans la chapelle de l’Ange gardien, les vieillards dans la Chapelle de Saint Pierre, les jeunes dans la chapelle de Don Bosco et les couples mariés dans la chapelle de la Sainte famille.  Dans le cimetière adjacent on débroussailla quelques vielles tombes en face de la porte des morts pour faire une petite esplanade où installer un grill et une cuisinière au gaz sous un haut vent en cas de pluie. Pour le WC et la douche il y avait tout ce qu’il fallait dans la sacristie.

Tout se passa fort bien en effet et la population qui en avait vu d’autres s’en accommoda et commença même à apporter des jouets pour les enfants, des cigarettes pour les hommes, des chocolats pour les dames et des victuailles pour tout le monde. Il y avait même déjà l’un ou l’autre Afghan qui avait commencé à aller tondre des pelouses pour se faire un petit pécule. L’école communale qui était toujours à la recherche d’élèves pour pouvoir maintenir les classes et les salaires des instituteurs avait déjà inséré les enfants et on se demandait comment on allait pouvoir insérer les adolescents dans l’école professionnelle.

Tout commença, par contre,  à foirer quand un beau matin une jeep de la police s’arrêta devant le portail de l’église.

-« Bonjour Monsieur le Curé. » - dit le Brigadier en faisant un salut militaire avec deux doigts touchant le bord de son képi.

-« Bonjour Brigadier, il y a un problème ? »

-« Non, non Monsieur le Curé, petite visite de routine... »

-« Alors, entrez donc... »

-« Tiens, vous avez un happening, .... la visite de parents lointains... qu’est ce que c’est que tous ces gens là ?... Papiers s’il vous plait... »

-« Hm, hm... – dit le Curé- ce sont de pauvres diables... ils n’ont pas beaucoup de papiers... je crains même qu’ils n’en aient pas du tout et soient des sans papiers tout court... »

-« Hm, hm – répondit le brigadier- des diables dans une église catholique, bizarre, bizarre, ça ne m’a pas l’air très orthodoxe, je crois qu’il va falloir exorciser tout ça...  Vous, Monsieur... nom ? prénom ? date de naissance ? lieu de naissance ? numéro de sécurité sociale ?... »

-« Mais enfin Brigadier – intervint le Curé scandalisé- vous voyez bien que ces pauvres gens (cette fois il fut plus prudent dans le choix des substantifs) vous voyez bien que ces pauvres gens ne parlent pas le français... et s’ils n’ont pas de papiers... »

-« Ca, Monsieur le Curé, s’ils n’ont pas de papiers, c’est ce qu’on appelle une situation illégale et on va devoir embarquer vos copains et les mettre dans une prison en attendant de leur trouver une place dans un camp de requérants d’asile en attendant de les expulser vers leur pays d’origine... »

-« Mon Dieu ! – s’exclama le Curé – quelle horreur ! quelle offense à la charité chrétienne, quelle blasphème dans un lieu saint ! Vous êtes ici dans une église, Brigadier, qui est un lieu inviolable... Tant que j’y pense, vous êtes vraiment en train de violer un sanctuaire inviolable, alors, je vous prie Brigadier, sortez d’ici avant que je n’appelle la police ! »

-« Mais la police, c’est moi, Monsieur le Curé ! »

-« Il y a différentes Polices mon ami et puisqu’il y a la guerre des polices j’en trouverai bien une qui vous fera des ennuis... en attendant, sortez et laissez nous tranquille ! »

-« Insulte, menace et outrage à la Maréchaussée ?... ça coûte cher ça Monsieur le Curé... »

-« Mais, non mon ami, mais non, ça n’est que façon de parler...figure de style... Un peu d’indulgence voyons... notre commune est déjà pleine de toutes espèces indigènes et exotiques comme l’arche de Noé, vous n’allez tout de même pas faire un drame pour un rescapé de plus... »

-«  C’est bien la goutte qui fait déborder le vase, n’est ce pas Monsieur le Curé et le premier pas qui coûte... et bien l’Autorité a décidé que ça ne peut pas continuer durer... »- dit le Brigadier qui était bilingue. Puis il s’en alla abandonnant le Curé dans la plus sombre des perplexités... Tout le monde avait eu droit à son réfugié, et lui pas ... Qu’est ce que Monseigneur l’Evêque allait conclure de ça ?... Qu'est ce que Saint Pierre allait dire quand il allait se  présenter devant la porte du Paradis...

-« Aha, voici le Curé de Rianval qui n’a pas sauvé les âmes des brebis sans papier... »

Qu’allait-il pouvoir répondre à ça ?

Le Curé prit son portable et appela d’urgence le Maire, le Secrétaire Communal, le Président du Parti Socialiste, pour un briefing de la nouvelle task force dans son QG.

-« Ecoutez- dit-il en ouvrant une bouteille de vin de messe dont il avait une belle réserve dans l’armoire de la sacristie– l’heure est grave... »

Et puis il expliqua la visite de la police et... le risque couru par ses protégés...

-« Monsieur le Curé – dit finalement le Maire – vous ne croyez pas qu’on en a déjà assez avec toutes les paperasses de nos tracasseries administratives? ... Ecoutez Monsieur le Curé... adressez vous à votre parti parce que nous on en a plein les bottes et rien à cirer... »

-« Je m’en souviendrai Monsieur le Maire, quand vous aurez besoin de la bénédiction de notre Sainte Maire l’Eglise pour inaugurer vos ponts et vos autoroutes et la foire aux bestiaux ... Je m’en souviendrai... »

Les autorité laïques s’en allèrent laissant le Curé en proie à son casse-tête et bien soulagés de pouvoir s’en laver les mains.

Le Curé alla s’agenouiller devant l’autel central et supplia le Bon Dieu de lui venir en aide.

-« Ecoutez, mon ami – lui répondit le Bon Dieu – en ce moment je suis moi-même dépassé par les événements, les vétilles de ce genre voyez ça avec mes saints et dans le cas présent, interpellez votre évêque, sinon il va venir se plaindre chez moi qu’on ne suit pas la voie hiérarchique, vous savez mieux que moi combien ces jésuites sont susceptibles... »

Le bon Curé alla donc trouver son évêque, lui expliqua toute l’histoire et conclut en disant :

-« Monseigneur... je m’en remets à votre sagesse et à votre immense bonté... »

-«  Comme toujours Monsieur le Curé, d’abord on laisse s’échapper les bœufs de l’étable et puis on vient me demander d’aller les récupérer... »

-« Oui, ou bien non, en fait... Monseigneur, j’ai accueilli ces malheureux et maintenant on veut me les enlever et je ne sais pas comment les retenir sous ma protection... »

L’évêque réfléchit longuement...

-« Ce sont des musulmans... Vous n’ignorez pas le péril vert qui s’est abattu sur l’Europe... les églises vides et les mosquées pleines ?... Si vous gardez ces musulmans ça en fait encore 27 en plus... d’ici peu aussi votre église sera transformée en mosquée... il y a péril en la demeure mon cher ami... et vous allez vous trouver au chômage comme tout le monde... ou bien on vous enverra en Mongolie où on est en train de construire des cathédrales pour  recommencer la christianisation par l’autre bout de la planète... Je ne crois pas que vous pouvez tenir ces musulmans, c’est nourrir une vipère en votre sein... »

-« Et si je parviens à les convertir Monseigneur ? »

-«  Ah !... Ca c’est une autre histoire... si vous les convertissez ils deviennent des catholiques et ils seront obligés de venir à la messe le dimanche ... au moins ainsi vous aurez 27 fidèles assurés... Le calcul n’est pas mauvais ... Car 27 musulmans en moins et 27 chrétiens en plus pour nous c’est un bénéfice de 54 ... Je ne manquerai pas de signaler cette prouesse à Monseigneur le Cardinal ... D’ailleurs il part à Rome pour le prochain synode.  Remarquable... tout à fait remarquable... »

-« Ils sont si désespérés, Monseigneur... ils seront bien contents ... »

-« Mais j’y pense, s’ils se convertissent, en tant que musulmans, s’ils rentrent chez eux, ils risquent la peine de mort... Ils deviennent donc automatiquement des réfugiés politiques... on ne pourra donc plus les expulser... c’est pas bête ... bravo mon vieux... je m’en souviendrai... si on réussissait à convertir tous les musulmans cela ferait du beurre dans les épinards...   Vous prenez un Porto ? »

Le Curé rentra chez lui et convoqua l’interprète.

-« Voilà – dit-il – il y a une solution : si ces Afghans se convertissent au catholicisme, ils ne pourront plus rentrer en Afghanistan parce qu’ils sont abjures et automatiquement ils deviennent des réfugiés politiques ou quelque chose de ce genre-là ... et donc on ne pourra plus les expulser... enfin... cela deviendra fort difficile... »

Après de longues palabres les pauvres Afghans se décidèrent pour le baptême.

-« Mettons les choses bien au clair – précisa le Curé- il s’agit de signer un contrat dans lequel ils s’engagent à respecter leurs devoirs de catholiques scrupuleusement... il est exclu qu’ils commencent à me dire qu’ils sont catholiques non pratiquants... Moi j’ai besoin de catholiques très pratiquants, eux ils ont besoin de pouvoir rester, alors c’est donnant- donnant... »

-« C’est d’accord – dit le chef des Afghans – Rianval vaut bien une messe... »

Alors la bonne nouvelle se répandit dans la commune, on entreprit un marathon de catéchèse et en une semaine on arriva a fixer la date de la fête pour le baptême collectif qui allait être célébré par l’Evêque en personne et plusieurs prêtres oecuméniques dont un gay. On invita même le pasteur protestant pour lui faire comprendre que si lui aussi réussissait à convertir les musulmans, c’était tout de l’eau au même moulin...

On n’osa pas inviter d’imam  mais on invita le grand maître de la loge maçonique et il accepta avec enthousiasme car lui aussi savait bien que si jamais le parti des musulmans gagnait les élections, c’en était fini des libre penseurs, des athées et des francs maçons... Et alors, vu que l’église catholique était devenue garante de la liberté de conscience... tous les libre penseurs se mirent à aller à l’église, non pas qu’ils fussent convertis, mais par conviction politique ou plutôt par instinct de survie... pensant eux aussi que la Loge valait bien une messe...

 

La fête fut grandiose, un baptême collectif de 27 personnes c’était du jamais vu, on retransmit en eurovision et le Pape envoya même une bénédiction via satellite.

 

La liesse populaire ne s’était pas encore calmée que la police des étrangers revint à la charge...

-« Mais Monsieur le Curé il n’y a pas a en sortir, baptisés ou pas, ce sont des sans papiers... »

-« Non, plus tout à fait, maintenant ils ont chacun un certificat de baptême... »

-« Mais Monsieur le Curé, vous comprenez bien que si un certificat de baptême suffit pour recevoir un permis de séjour on va avoir l’afflux de tous les malotrus de la planète... vous comprenez quand même qu’on ne peut pas accepter ça... »

-« Mon Dieu, Mon Dieu... - pensa le Curé - qu’est ce que Monseigneur l’évêque va dire... »

-«  Et bien – suggéra le sacristain – qu’ils fassent la grève de la faim... ça, ça marche toujours... »

Alors dans la semaine qui suivit on s’installa pour une grève de la faim, avec visites de médecins, assistantes sociales, journalistes, etc, etc.

Après la deuxième semaine ils reçurent la visite du Président de la Région qui demanda a s’entretenir avec le chef des Afghans convertis.

-« Voila, Monsieur - dit-il – en aucun cas votre demande ne sera acceptée d’autant plus que vous avez entamé diverses manœuvres de chantage envers l’Etat... alors, arrangez vous pour quitter le pays à l’amiable sans nous obliger à employer la force.... »

Personne ne savait plus où on en était quand arrivèrent deux employés du gouvernement qui vinrent interviewer les grévistes.

-«  Vous avez l’intention d’interrompre votre grève de la faim ? »

-« Non »

-«  Vous avez quelqu’un qui va payer pour vos funérailles ? »

-« Non... »

-«  Bon... alors vos funérailles seront prises en charge par l’assistance publique... »

-«  Mes funérailles ? »

-« Et bien oui puisque vous voulez vous laisser mourir de faim... »

-« Mais on ne va tout de même pas nous laisser mourir de faim ? »

-« Mais si Monsieur, vous êtes ici dans un pays libre, chacun a le droit à l’autodétermination... »

-« Vous nous abandonnez à notre triste sort ? »

-« Mais pas du tout Monsieur... nous avons promulgué une loi qui permet l’avortement, une autre qui permet l’euthanasie, une autre qui permet le suicide assisté... vous passez dans cette catégorie... Nous n’allons pas vous abandonner du tout, nous allons vous assister dans votre suicide, vous y avez droit... c’est tout à fait légal... »

-« Vous n’allez pas nous empêcher ? »

-« Non, non, pas du tout, bien au contraire j’approuve tout à fait votre choix, pensez à ces malheureux bonzes qui s’immolent par le feu ou ces pauvres terroristes qui se font exploser et dont on ne retrouve que des lambeaux... Vous, au moins, vous avez fait un choix très digne... »

-«  Vous n’allez vraiment pas nous arrêter in extremis ? »

-« Quoi ? Vous n’hésitez quand même pas ? Vous n’allez tout de même pas vous dégonfler ? Il fallait y penser plus tôt, avant de mettre sur pied tout ce branle-bas de combat... Je ne sais pas si vous vous rendez compte de votre responsabilité... et de ce que ça risque de vous coûter... Il y a la télé du monde entier sur le parvis, avec Radio Vatican, CNN, Al Jasira et j’en passe et des meilleures, on a même lancé une opération du genre de la chaîne du bonheur pour financer votre enterrement et envoyer un petit chèque à votre famille... Si vous vous dégonflez tous ces types vont terriblement se fâcher... et plus personne ne prendra les grèves de la faim au sérieux... à mon avis vous n’avez pas le choix, vous devez aller jusqu’au bout... »

-«  A moins d’un miracle... » - balbutia le gréviste de la faim qui depuis qu’il s’était converti avait commencé à vraiment croire aux miracles.

-« Mais vous êtes déjà un miracle – insista l’employé -  vous avez échappé aux atrocités de 30 ans de guerre dans votre pays, vous avez fait le tour du monde dans les moyens de locomotion les plus dangereux, échappé aux pirates birmans, aux bandits corses, aux requins marteaux et aux pieuvres géantes, vous avez risqué d’étouffer dans les camions scellés et vous êtes arrivés sains et saufs jusqu’ici pour pouvoir embrasser la vraie foi et mourir entourés d’amis qui vous accompagneront jusqu’aux portes du paradis... et justement comme si c’était prédestiné, dans l’église de Saint Joseph le patron de la bonne mort, c’est pas un miracle, ça ? »

 

La question la plus épineuse échut aux théologiens : 27 Afghans morts de faim sont-ils des martyrs ou bien des suicidés ? Les choses changent radicalement car le suicide est interdit par l’Eglise et on risque fort d’atterrir en Enfer, par contre s’ils sont des martyrs, alors il va falloir les canoniser et leur trouver une place dans le calendrier. Mais dans ce cas on peut refiler  la patate bouillante aux imprimeurs de calendriers.

 

Copyright Anne Lauwaert 2003

 

 

 

 

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