Le Pr Philippe Braillard donne son point de vue de la position de la Suisse face à la convention de double imposition commandée par la France dans Le Temps du jour.
"Par cette nouvelle convention, la France cherche à imposer à la Suisse l’adoption, à titre de droit conventionnel, de deux principes contenus dans l’article 750 ter du Code général des impôts français: premièrement, la France impose l’ensemble des biens meubles corporels et immeubles situés sur son territoire qui appartiennent à une personne domiciliée à l’étranger au moment de son décès; deuxièmement, elle impose (au taux français, pouvant aller jusqu’à 45%) la part des héritiers ou légataires résidant en France (depuis au moins six ans au cours des dix dernières années) de personnes décédées résidant à l’étranger (avec imputation des impôts déjà payés dans ce pays).
L’acceptation par la Suisse de cette convention signifierait l’abandon du principe, généralement reconnu et appliqué par le droit fiscal international, selon lequel l’imposition d’une succession a lieu dans l’Etat où se situe le dernier domicile du défunt.
[...] Une autre raison de s’opposer avec détermination à l’adoption de cette nouvelle convention tient au fait qu’elle constitue un précédent dangereux, car elle inciterait d’autres Etats, notamment nos voisins, à exiger le même type d’accord de la Suisse. Quant à l’argument avancé par les autorités suisses faisant valoir qu’un refus de notre pays créerait un vide conventionnel dangereux, on peut aisément le contester. Il n’est tout d’abord pas certain que la France irait jusqu’à mettre à exécution sa menace de dénoncer la convention de 1953, car un tel geste à l’égard d’un partenaire important pourrait avoir des conséquences négatives pour l’Etat français lui-même. Ensuite, un vide conventionnel serait préférable à une convention inéquitable, portant atteinte à la souveraineté fiscale suisse.
[...] Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, cette convention a une grande importance économique, car son impact dépasse très largement les quelque 4500 Français au bénéfice de forfaits fiscaux en Suisse. Elle vise en effet plus de 170 000 Suisses résidant en France et près de 160 000 Français résidant dans notre pays.
Ce projet de convention fiscale procède d’une exigence de l’Etat français, confronté à un endettement et à un déficit des finances publiques de nature abyssale et recherchant désespérément de nouvelles recettes fiscales. En menaçant de dénoncer la convention en vigueur dans un très bref délai (quelques semaines), si la Suisse n’acceptait pas une renégociation aux conditions françaises, Paris a mis la Suisse sous forte pression, en exerçant ce qu’il convient d’appeler une forme de chantage et d’impérialisme fiscal. Pour l’Etat français, la Suisse, qu’il considère à tort comme un paradis fiscal, est une cible privilégiée, ainsi qu’en témoignent d’autres actions de notre voisin hexagonal, à commencer par le refus de tout accord permettant une régularisation du passé, ainsi que l’arsenal de mesures récemment annoncées contre l’évasion fiscale, telles que la légalisation de l’utilisation de fichiers volés et l’instauration d’un délit de fraude fiscale commis en bande organisée.
Cette renégociation avec la France de la convention fiscale de 1953 a été conduite dans la hâte, sans transparence ni consultation préalable. En acceptant de s’aligner sur la pratique de la France et d’ignorer les principes de la pratique suisse en matière de successions, nos autorités fédérales chargées des questions financières et fiscales manifestent, une fois de plus, une attitude déplorable, qui témoigne d’une tragique absence de vision à long terme et de véritable stratégie. Elles semblent incapables d’anticiper et, face à des pressions extérieures, cèdent sans obtenir de réelles contreparties, avec le seul souci de donner une bonne image de la Suisse, ce qui ne peut tenir lieu d’une diplomatie financière digne de ce nom, forte et éclairée."
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Le Conseil fédéral – et Madame Widmer-Schlumpf en particulier – pourraient-ils enfin cesser de capituler au moindre froncement de sourcil de notre voisin – désargenté et en quasi-faillite – de l’Ouest! Nos autorités cesseraient alors de faire honte à leurs électeurs…