Extraits et traduction du flamand du livre de Hortense Kitume, Vrouw van een missionaris, Edition Lannoo, 2013,par Anne Lauwaert:
“Les missionnaires y avaient sans doute été pour quelque chose. (dans l’affranchissement de leurs esclaves). Une de leurs tâches était d’éliminer l’esclavage (…) à l’école les enfants apprenaient la chanson “ Nous allions devenir les esclaves des arabisés. Les Belges nous ont libérés.”
“Il était impossible que l’esclavage soit éliminé d’Afrique alors que les Congolais eux-mêmes en perpétuaient une forme.”
Les missionnaires “construisaient des collèges et des écoles pour filles où l’on pouvait étudier le grec et le latin à haut niveau comme dans les écoles belges.”
p.30 “En 1960, après l’Independence, surgirent, avec la guerre civile, les conflits entre les tribus et les rancunes familiales, si on n’était pas du bon groupe ethnique cela pouvait coûter la vie .”
p.32 (…) on assassinait et on pillait (…) sous influence de drogues et d’alcool (…) des soldats erraient, drogués, dans les rues. L’ordre et la paix d’avant avaient disparu et laissé la place à l’enfer.”
En 1954 Jan et moi sommes condisciples sur les bancs de l’école primaire à Strijtem mais nous nous perdons de vue car en juillet 1956 je pars au Congo avec mes parents. Hortense Kitume nait au Congo en juin 1956.
Jan devient prêtre en 1969 et part comme missionnaire au Congo. Il quittera les ordres, deviendra enseignant laïc et épousera Hortense en 1975. Ils rentreront en Belgique et auront 3 enfants. Werner devient fonctionnaire. Gunther, joueur de football professionnel, épousera une lointaine parente de ma mère. Sandrine trace sa voie dans le show bizz surtout comme chanteuse. Ils adopteront Mireille qui devient architecte de jardin. Hortense connaît les langues de son pays d’origine, mais aussi l’anglais, le français et en un tour de main elle apprend le flamand. Elle obtiendra un diplôme de secrétariat. Jan continuera des études universitaires parallelement à l’enseignement et aux activités pastorales dans une autre obédience chrétienne. C’est lui qui dira l’homélie pendant le service funèbre de ma mère en 2012…
Quelle histoire… la boucle est bouclée … mais ce qui se trouve à l’intérieur de ce cercle, c’est ce qu’ Hortense, aidée par Hilde Smeesters, raconte dans son livre “Vrouw van een missionaris” épouse d’un missionnaire… Livre courageux qui mérite d’être traduit en français ! Voici une traduction libre de quelques extraits:
p.7 “Ma sœur et moi avons été prises dans un réseau de traditions et habitudes africaines qui rendirent notre jeunesse dure, pénible et sans amour. Heureusement j’ai rencontré des missionnaires, femmes et hommes qui m’aidèrent à surmonter la misère, qui m’apportèrent la dignité et le respect de moi-même, qui m’apprirent à connaître l’amour et qui me permirent de devenir qui je suis aujourd’hui.”
p.9 “Enfant je n’avais aucune idée de ce que “liberté” signifiait. La famille décidait selon les habitudes africaines. On ne me demanda jamais rien. Je subissais leurs décisions (…) En Belgique je vis comment les mères chérissent leurs enfants, les enlacent, les embrassent. (…) l’hypocrisie de l’église, je m’en passe comme d’une rage de dents (…) Un esprit ouvert et critique qui n’est pas freiné par la religion, culture ou famille est nécessaire pour pouvoir être libre.”
p.10 “Je n’ai jamais eu la nostalgie de mon pays d’origine, sans doute parce que je n’y ai pas de bons souvenirs.”
p.13 “ Le village (de son grand-père) n’était pas loin de Nyangwe, où il y avait eu le plus grand et plus célèbre marché aux esclaves du monde. Là, les Arabes commerçaient les esclaves congolais avant de les conduire en Afrique du Sud via les Grands Lacs et de les vendre dans le monde entier. Tippo Tip, le plus connu et le plus riche des marchands d’esclaves de tous les temps, y sévissait.”
p.15 “En 1920 il y avait au Congo 1500 écoles des missions où les enfants mais aussi les adultes apprenaient à écrire, lire et calculer et recevaient des leçons dans la langue indigène et aussi concernant l’histoire belge.” (…)
“Grand-père Patrice voyait volontiers arriver les missionnaires avec leurs enseignement ambitieux et leurs plans de conversion (…) la construction d’hôpitaux et d’écoles (…) les merveilleuses histoires au sujet de Dieu et Jésus qui étaient en contraste avec les superstitions africaines (…) souvent les accusations de sorcellerie menaient à des faits de cruauté. »
p.16 “La polygamie a toujours persisté comme droit coutumier.”
p.17 “ Je proviens, du côté de ma mère, de ce qu’on pourrait appeler la noblesse congolaise et découvris plus tard que sa famille possédait des esclaves qu’elle (grand-mère) apporta comme possession personnelle dans son mariage.”
p.18 “ la découverte que ma famille possédait des esclaves fut un choc pour moi.”
Des générations plus tard, Hortense découvre qu’elle est encore entourée par les descendants des “esclaves affranchis” par ses grands-parents.
“Les missionnaires y avaient sans doute été pour quelque chose. (dans l’affranchissement de leurs esclaves). Une de leurs tâches était d’éliminer l’esclavage (…) à l’école les enfants apprenaient la chanson “ Nous allions devenir les esclaves des arabisés. Les Belges nous ont libérés.” Il était impossible que l’esclavage soit éliminé d’Afrique alors que les Congolais eux-mêmes en perpétuaient une forme.”
Les missionnaires “construisaient des collèges et des écoles pour filles où l’on pouvait étudier le grec et le latin à haut niveau comme dans les écoles belges.”
p.25 “Etienne (son père) était fou de beaux costumes faits sur mesure, il portait des chaussures italiennes faites sur mesure, mettait de l’after shave couteux (…) dans son dressing pendaient des dizaines de costumes, sur les étagères des piles de chemises amidonnées, de toutes les couleurs. Les cravates assorties pendaient à de petits crochets. Sur une étagère particulière se trouvait une rangée de magnifiques chaussures en cuir ciré. …”
p.28 “ L’attachement acharné au patriarcat – et à la polygamie – est à mes yeux un facteur hautement déstabilisant dans la société africaine. Les enfants ne naissent pas dans le cadre d’un mariage officiel et après une séparation ou un décès ils sont confiés à la famille du père où personne ne veut vraiment s’occuper d’eux.”
p.29 “Au Burundi notre famille habitait comme les autres Congolais évolués dans une grande maison dans le quartier résidentiel de Bujumbura. Nous y avions tout ce que notre petit cœur désirait : une maison bien équipée et riante où le personnel nous obéissait au doigt et à l’œil.”
p.30 “En 1960, après l’Independence, surgirent, avec la guerre civile, les conflits entre les tribus et les rancunes familiales, si on n’était pas du bon groupe ethnique cela pouvait couter la vie .”
p.32 (…) on assassinait et on pillait (…) sous influence de drogues et d’alcool (…) des soldats erraient, drogués, dans les rues. L’ordre et la paix d’avant avaient disparu et laissé la place à l’enfer.”
Suit le récit des déboires de sa famille, des séparations des adultes et des enfants, des tragédies de la guerre.
p.61 “ Je suis une fervente avocate de la contraception, surtout dans mon pays d’origine, le Congo. Distribuez gratuitement des préservatifs. Prévoyez que les femmes puissent facilement se procurer la pilule. Au Congo il nait encore trop d’enfants auprès de parents qui ne sont pas en mesure d’en être responsables. Quand il y a trop de bouches à nourrir il ne reste plus d’argent pour l’école. (…) C’est encore pire quand des enfants sont abandonnés dans d’autres familles ou même mis à la rue parce que les parents ne peuvent ou ne veulent plus s’en charger. (…) laissez donc les campagnes de contraception tourner à plein régime et cherchez à ce que les gens n’aient pas plus d’enfants qu’ils ne peuvent en soigner. (…) Pensez aux centaines d’enfants qui sont accusés de sorcellerie et sont chassés de la maison. (…) cela semble simple mais il y a encore beaucoup à faire au Congo et dans le reste de l’Afrique.”
p-73 (dans le bon temps) “Mon père avait une petite armée de personnel qui faisait le ménage et le jardin. Ils nettoyaient les innombrables chambres, cuisinaient de délicieux repas et soignaient les enfants. (…) Cette maison avec ses nombreuses chambres, ses salles de bains avec eau courante chaude et froide, son énorme cuisine avec ses fourneaux électriques était comme un château de conte de fées.”
Au fil des années son père suit des cours et obtient des diplômes qui le conduiront à une carrière de magistrat. Cela comporte le ballottement de Hortense et de sa sœur d’une famille à l’autre, dans lesquelles elles seront mal traitées, aux quatre coins du pays, alors que pendant de nombreuses années elles ne reverront pas leur mère.
p. 80 Mais leur père décide de leur donner une bonne éducation. “Le lycée du Sacré Cœur (dépendant de l’université de Louvain) garantissait alors le meilleur enseignement possible au Congo. (…) (les religieuses et les écoles) furent incroyablement importantes dans le développement de la femme dans cette partie d’Afrique. (…) Il est difficile d’évaluer ce que les religieuses signifiaient pour l’émancipation de la femme congolaise.
p.121 Au début de sa carrière, le père d’Hortense devient juge. Les délinquants, en attendant leur procès, “au lieu de les enfermer, l’Etat les laissait travailler chez des fonctionnaires haut placés. La plupart du temps ils aidaient dans le ménage ou le jardin et pour cela ils recevaient un petit salaire.”
p.125 “Dans toute ma vie je n’ai pas rencontré un seul homme congolais monogame. Sans doute en existe-il, mais c’est une espèce rare qui a besoin de protection.”
p.129 “Le nombre de religieux qui avaient une amie noire était sans doute plus élevé que ce que nous espérions mais plus bas que ce que nous craignions. (…) En Afrique seule la forêt est vierge… (…) Plus tard j’entendis les histoires de jeunes religieuses qu’on venait prendre en grosse Mercedes, le soir devant leur couvent et qu’on y ramenait en douce avant l’aube. (…)
Au Collège Mbandaka le père Jan devint mon professeur d’anglais.”
De fil en aiguille Hortense devient amoureuse de Jan… situation délicate puisque lui est prêtre et de 14 ans son ainé… Mais Jan est un homme intègre: il quitte les ordres et envoie une longue lettre au père d’Hortense pour tout expliquer et demander la main de sa fille… aucune réponse…
Il patiente donc qu’Hortense termine ses études secondaires avant qu’ils ne se marient civilement, ensuite Hortense obtient le passeport belge…
Mais la coutume… le qu’en dira-t-on… sa mère lui fait subir un test de virginité… même devant d’autres femmes… ensuite il a fallu subir un mariage traditionnel… dans lequel, qui sait pour quelle raison absurde, un imam mahométan a officié en récitant des versets du coran… et ensuite il a fallu affronter son père… qui lui est ulcéré que sa fille se soit mariée avec un blanc et sans son autorisation… Il est furieux et cogite le plus méchant des mauvais sorts à jeter sur eux pour que leur union ne soit jamais heureuse… Pire: en tant que magistrat abusant de ses pouvoirs il fait jetter sa fille en prison… et il faudra l’intervention de haut gradés et … de petites enveloppes pour qu’ Hortense soit libérée et que… tout d’un coup, son père n’accueille à bras ouverts sa fille et son gendre… la foire à l’hypocrisie…
Last but not least ils durent se soumettre à une grande fête de mariage avec comme cerise sur le gâteau… le contrôle du sang nuptial sur leur drap de lit…
Hallucinant ! Ils ont attendu, ils ont dû se battre pendant des années…
p.193 Quand le 1 novembre 1975 leur avion atterit à Zaventem toute la famille de Jan est là pour les accueillir… « La mère de Jan avait apporté une veste chaude (…) A ce moment je devins une femme mariée, une belle-fille et une belle-sœur » Hortense entre enfin dans une vraie famille.
p.195 « L’évêque de Gent nous invita dans son bureau le 2 janvier 1976 » Il expliqua les conditions que Jan devait accepter en tant que prêtre laïcisé et les maria religieusement.
Ensuite il va falloir tout recommencer à zéro… Les années de tribulations au Congo ont couté cher, les finances sont au plus bas et il faut chercher du travail… Ils célèbrent leur banquet de noces en allant manger des carbonades flamandes avec des frites dans la friture de la gare de Gent… mais ils sont heureux…
p.200 “des femmes congolaises qui habitent depuis des années en Belgique me racontent qu’elles sont encore contrôlées par des parents en Afrique et que les familles continuent à essayer d’exercer leur pouvoir sur elles… (…)
Le pire c’est que ce sont les femmes qui entretiennent la machine. Si partout dans le monde – car cela ne se produit certainement pas uniquement en Afrique – les mères réagissaient contre le système, il ne pourrait pas subsister. Elles semblent dire. “ c’est notre habitude, j’ai dû le supporter, donc mes filles doivent aussi le supporter”… Pour cette raison elles continuent à circuler voilées et à se soumettre à la volonté de leur homme…”
Jan n’aurait pas été fort heureux de tout ce déballage devant des parents trop vieux et des enfants trop jeunes pour pouvoir comprendre. Il était plus facile de couvrir le tout sous le voile pudique du silence… Mais qui ne dit mot consent… et donc aujourd’hui Jan soutient le combat de son épouse .
J’aime l’ingénuité avec laquelle il m’explique, après bientôt 40 ans de mariage, que ça n’a pas toujours été façile… la différence de cultures, son expérience mouvementé, le parcours rocambolesque de son épouse et 4 enfants qui ont hérité le tempérament fougeux de leurs parents…
Madame Hortense Kitume… tout mon respect ! car c’est grâce à des femmes courageuses comme vous que nous allons briser non seulement les carcans patriarcaux, mais surtout les politiquement corrects, bigots et bienpensants qui sous le couvert du droitdelhommisme continuent à opprimer les femmes et à abuser des enfants.
Questions :
- Est-ce pour les mêmes raisons qu’on continue à multiler genitalement les petites filles ?
- Que sont devenus les esclaves vendus dans les pays arabes et même en Chine?
Ont-ils tous été castrés et n’ont-ils pas eu de descendence ? Ou bien y a-t-il des descendents d’esclaves noirs – par exemple congolais - dans les pays arabes ?
- Les descendants des esclaves noirs achetés et ensuite affranchis par des Occidentaux et qui vivent encore dans leurs pays d’ ex-esclavage – par exemple les USA ou colonies françaises - ont-ils un sort meilleur ou pire que leurs « compatriotes » qui n’ont pas été déportés en esclavage et ont continué à vivre, par exemple dans leurs villages congolais « d’origine » ? A quelque chose le malheur de l'esclavage a-t-il été bon?
- La tradition de la famille (tribu-clan-ethnie y compris l’anarchie démographique) décrite par Hortense est-elle une des causes pour lesquelles le Congo, (un des pays les plus riches de la planête, et qui avant 1960 était moderne avec des routes, voies ferrées, écoles, hopitaux, eau potable, services comme la poste, régression des maladies (malaria, polio, etc.) commerce et agriculture florissants, etc. etc…) se trouve aujourd’hui dans l’état qu’on sait ?
Anne Lauwaert
Et vous, qu'en pensez vous ?