A l’heure du retrait des premières unités combattantes françaises, il est possible d’esquisser un bilan provisoire de l’opération “Serval”, lancée en janvier 2013 par la France.
Dans un précédent billet daté de mi-janvier, je faisais déjà le constat suivant: "La défense européenne n’existe pas et, face aux réductions massives des dépenses militaires dans la plupart des pays européens, seuls quelques Etats disposent encore des capacités d’agir sur le plan militaire. C’est ce constat qui devrait retenir l’attention des Européens, y compris des Suisses". Quelques mois plus tard, ce constat n'a malheureusement pas perdu de son actualité.
Alors que la publication du nouveau Livre blanc est imminente et que d'âpres combats se déroulent en coulisses entre Bercy et l'hôtel de Brienne sur le futur niveau budgétaire de l'effort de défense hexagonal , la France a fait au Mali l'amère constat que, pour mener à son terme une guerre, il faut encore être capable de la faire seule ou presque … Ce qui est vrai dans le reste du monde se vérifie avec acuité sur le Vieux Continent.
Ce n'est pas là une vision suisse de la situation, mais aussi celle du groupe de travail du Sénat français formé en vue du débat et du vote sur l’autorisation de prolongation de l’intervention française au Mali, vote qui, le 22 avril, a abouti à sa prolongation au-delà de l'été 2013. L'engagement des forces armées françaises a mis en lumière trois lacunes capacitaires déjà connues: le ravitaillement en vol, le renseignement – et tout particulièrement les drones d'observation – et le transport.
"Serval" a montré que la France ne disposait pas des capacités de transport stratégique et de ravitaillement en vol nécessaires pour intervenir seule sur un théâtre d’opérations. 75 % des affrètements aériens militaires ont été assurés par des pays alliés. Ces derniers ont transporté les trois quarts du matériel et du personnel durant les trois premières semaines de l’opération, soit durant la phase décisive. Faute de capacités propres et dans l'attente de la livraison cette année des premiers A400M de série, les forces françaises ont dépendu des avions américains, britanniques, canadiens ou belges, voire des capacités disponibles sur le marché (Antonov russes en particulier). Ce sont aussi des alliés qui ont assuré une part significative (30 %) du ravitaillement en vol des avions. L’observation et le renseignement sont des domaines dans lesquels la France a dû bénéficier de l’appui et de la pleine coopération des Etats-Unis.
L'allié américain: incontournable!
Bien qu'ils n'aient pas de troupes engagées au sol, les États-Unis restent aujourd’hui le principal partenaire de la France, que ce soit sur le plan financier ou opérationnel. Contrairement à certains Etats européens, les Etats-Unis ont apporté immédiatement leur appui politique à l'opération française. Ils ont répondu progressivement à l’ensemble des demandes de soutien opérationnel exprimées par la France après le lancement de "Serval". Que ce soit en termes de partage du renseignement, de transport ou de ravitaillement en vol, l’appui américain reste aujourd’hui inégalé. C'est là un enseignement qui a déjà pu se vérifier lors de l'opération au-dessus de la Libye en 2011.
L'Europe de la défense en sommeil profond
Bien qu'il ne soit pas désintéressé, l'engagement américain contraste avec la cacophonie européenne. L'aide militaire européenne est restée essentiellement bilatérale. Plusieurs Etats ont apporté une aide substantielle. Il s’agit du Royaume Uni, de l’Allemagne, de l’Espagne, mais aussi de la Belgique ou encore du Danemark, pourtant au bénéficie d’une "exemption" en matière de défense, dans le cadre des traités européens. Toutefois, il n'y a pas eu d' "EUFOR Mali", alors que plusieurs conditions étaient réunies: un mandat robuste de l'ONU, un certain consensus européen, une demande légitime du Mali. Quant à lui, le cadre opérationnel était également défini: une crise, hors d’un territoire européen mais avec des effets probables sur sa sécurité, à moins de 6000 km de Bruxelles, où une intervention rapide était nécessaire avant la relève par une autre force.
Pourquoi alors ne pas avoir engagé le "Battle Group" européen de piquet, avec des moyens de transport aérien coordonnés depuis Eindhoven, siège de l'EATC (European Air Transport Command), comme le prévoit le concept opérationnel des Battle Groups? Ceci d'autant plus que le Battle Group était formé par les trois pays qui se veulent au cœur d'une "défense européenne" et disposent de forces armées bien aguerries : la Pologne qui en est la nation-cadre, l’Allemagne et la France? Ces trois pays dits du "Triangle de Weimar" ont déjà manifesté ensemble leur souhait d’utiliser les groupements tactiques européens qui, jusqu’à présent, n’ont jamais encore été employés. On touche là aux limites d'une Union à 27, lorsqu'il s'agit d'agir rapidement et avec des moyens militaires conséquents pour juguler une crise qui risque de faire tache d'huile.
Dans ce contexte, le "Pooling & Sharing" ou la "mutualisation" des capacités militaires européennes ne saurait constituer la panacée. L'opération "Serval" en est l'éclatante illustration. La mission européenne d'assistance à l'armée malienne, depuis peu opérationnelle, reste très majoritairement composée de militaires français. En outre, des restrictions d’emploi (caveat) s’appliquent à certains contingents et limitent leurs possibilités d’emploi. Au-delà des instructeurs eux-mêmes, dont la France fournit le contingent le plus important, le déploiement de la mission a dépendu de la fourniture de capacités critiques telles que le soutien médical (fourni par l’Allemagne), l’évacuation médicale par voie aérienne (fournie par la Belgique), ou encore la protection de la force. Malgré des contributions tchèque et espagnole, l' "appel à contributions" restée lettre morte a conduit la France à agir – seule – pour permettre le démarrage de la mission, notamment en fournissant dans l’urgence les trois sections manquantes et la section de commandement pour protéger le site de Koulikoro, soit 95 militaires supplémentaires. Est-ce qu'aucun Etat européen n'est plus capable de fournir l'effectif d'une compagnie d'infanterie pour une mission de protection? Mieux que de grands discours, cet épisode en dit long sur le degré de mobilisation réel des Etats européens …
Que faire?
Dans le contexte actuel caractérisé par la crise financière de l’euro et la dérive des dettes souveraines, avec des effets inéluctables sur la "variable d'ajustement", le budget de la défense, la coopération militaire en Europe passe par une retour à davantage de réalisme. Elle passe certainement par une restructuration du secteur de l'armement, avec la recherche de vraies synergies et non des auto-goals, comme la compétition Eurofighter-Gripen-Rafale en est l'exemple répété. Sans Europe de l'armement, point d'Europe de la défense. De même, sans noyaux durs, comme le couple franco-britannique ou le Benelux, aucune réelle avancée n'est à attendre à court et moyen terme, si ce n'est de nouveaux projets politiquement rassurants mais dénués de fond.
Et la Suisse?
L'opération "Serval" n'est pas sans intérêt pour la Suisse. Elle montre que, dans certaines circonstances extraordinaires, un Etat doit disposer des capacités de mener seul des opérations militaires. Dans le cas suisse, ce constat renvoie à la neutralité armée et à la farouche volonté des Suisses de ne pas faire partie d'une alliance militaire. Dans ce cadre, l'armée doit rester capable d'assurer la protection ou la défense de son espace aérien et de son territoire, avec toute la palette des moyens militaires. C'est là le sens du projet en cours "DEVA" (développement de l'armée), pour autant qu'un effort budgétaire suffisant soit encore consenti et que l'illusion d'une Europe en paix permanente ne nous place pas dans la même situation que nos aïeux, au sortir des années 30 et d'une crise économique, elle aussi sans précédent …
Pierre Streit
@Laurent
Les intérêts européens en Afrique ? J’écris de la politique de non-intervention et vous répondez des intérêts européens en Afrique. Nous n’avons pas les mêmes idées certes. Quels sont les intérêts de l’U.E. en Suisse? Peut-être pourriez-vous me les expliquer…
D’après vous c’est le Peuple Syrien qui souhaite une intervention étrangère? Comme cela a été le Peuple Iraquien ou Lybien ou Afghan etc..? Pour se protéger des terroristes islamiques bien sur…?
Je suis forcé de vous faire part du fait que tout cela est bien plus compliqué…et que vos “islamistes” sont toujours plus présents après que les “sauveurs” soient intervenus, comme par hasard…et si vous me dîtes que vous regardez trop la télévision, la RTS ou que vous êtes abonné au site de CNN et que les Atlantistes et les USA vont sauver le monde et convertir les Peuples à la démocratie, je n’en serai pas étonné du tout…
Certains font des comparaisons de la France avec la Suisse. Heureusement pour nous les Suisses, nous avons si peu en commun. Nous n’avons jamais été un royaume, ni un empire, ni un état colonialiste. Nous n’avons jamais fait d’essais atomiques ni en Afrique, ni en Océanie. Ces essais ont tué et tuent toujours des habitants de ces zones. Nous n’avons pas de Legion Etrangère, vestige d’une histoire bien guerrière, ni d’armes atomiques. Notre démocratie n’est heureusement pas comparable avec celle de la France, une France centraliste ou l’on apprend aux enfants des territoires d’outre mer que leurs ancetres etaient les Gaulois… Nous autres petits Suisse en avons assez de l’arrogance, de gauche comme de droite de vos politiciens incapables de diriger un pays à la dérive. Tout vos problèmes viennent des autres, actuellement des Allemands, des Anglais, des Suisses, des japonnais,…
Comment peut-on accorder des heures d’émission á un Melenchon espèce de fou de roi d’Hollande? C’est le délire, certains le voie comme premier ministre! Nous allons avoir la légion et les CRS à nos frontière!
@ M.T
Vous dites : “Je ne savais pas que l’Europe était attaquée par le Mali. Pour un homme comme moi qui suit de proche la politique internationale, je ne vous cache pas mon étonnement !”
A mon tour de vous faire part de mon étonnement à votre endroit. Si vous suiviez de près la politique internationale, vous devriez savoir que la France n’est pas intervenue contre le Mali mais contre des groupes terroristes qui menaçaient Bamako, et cela, à la demande du président malien par intérim. Parmi ces groupes figurait al-Qaïda au Maghreb islamique, qui, a plusieurs reprises, a menacé la France et les intérêts européens en Afrique. Mais si vous considérez que les gens d’AQMI ne sont que de gentils gars qui se paient du bon temps en faisant du camping dans le désert (mais avec quand même plus 200 tonnes de munitions et d’armes), alors je serais moins étonné…
Si le but de votre article est de souligner le fait que “l’armée doit rester capable d’assurer la protection ou la défense de son espace aérien et de son territoire, avec toute la palette des moyens militaires” je vous en remercie.
Cependant compte tenu du contexte de l’article et de son contenu, je n’en suis convaincu.
?La défense européenne?
Joli titre mais…Je ne savais pas que l’Europe était attaquée par le Mali.
Pour un homme comme moi qui suit de proche la politique internationale, je ne vous cache pas mon étonement !
Votre histoire me fait penser au “Dpt. of War” des USA qui en 1949 avait changé son appellation pour “Dpt. of Defense”…
“Ce n’est pas là une vision suisse de la situation” Voici qui est bien dit cher Monsieur.
En effet, La Suisse, du moins celle que j’aime, ne soutient pas l’interventionisme d’abords. Ensuite, la Suisse souhaite respecter le droit international notamment quand aux articles de la charte des Nations Unies soit particulierement au sujet du droit et j’ajoute de la résponsabilité des nations à disposer d’eux-mêmes, connu en anglais comme “self-determination”. http://www.un.org/fr/sc/repertoire/principles.shtml
De plus, la France n’est pas le “principal partenaire” des USA dans cette affaire mais bel et bien vice-versa, le contraire. Il existe assez de documentation sur ce fait. Les USA ont des militaires sur le terrain et prétendre le contraire est ridicule.
Finalement, vous avez malheureusement raisons….”cet épisode en dit long sur le degré de (pouvoir de ) mobilisation réel des Etats européens” …Je vous renvois justement à la création de l”U.E.”, projet imperialiste et non-Européen…
Les Américains ont été important mais leur aides est finalement assez mince 3 C17 pour une flotte de 217 avions , l’Europe de la défense n’existe pas , la defense de l’Europe s’est le FRance et l’Angleterre , cette dernière est ultra dépendante des Américains jusqu’aux drones commandé depuis le desert du Nevada et non par les brittaniques et la France est le seul pays Européen et l’un des rare pays au monde à avoir une capacité de renseignement autonome spatial (satellite militaire d’ecoute , observation, electromagnétique…)