Déchets radioactifs suisses en mer

Bruno Pellaud
Bruno Pellaud
Physicien
post_thumb_default

Le chancelier social-démocrate allemand, Helmut Schmid, a su exprimer en quelques mots l’ironie, le tragique de deux métiers sensés nous informer: “Politiciens et journalistes partagent ce dur destin; ils doivent aujourd’hui parler de choses qu’ils ne comprendront que demain”. Encore faut-il tenter de comprendre ce qui s’est passé hier et donc de rechercher et d’analyser les faits avec un peu moins de politique à la clé. Ce qui n’est pas toujours facile des décennies plus tard, il faut en convenir.
Alors, partons en mer; essayons de comprendre.

 

La Suisse devrait ramener chez elle les déchets radioactifs qu'elle a scandaleusement enfouis en mer profonde il y a plusieurs décennies clament nos écolos-politiciens, suivis en cela par les médias de service. Cette fois-ci, c'est une émission d'Arte du 23 avril qui les incite à grimper aux barricades, une émission qui annonce la découverte de fûts de déchets radioactifs intacts dans la Manche par 124 mètres de fond, dans une mise en scène Arte méritant bien son nom, avec des scènes de fûts éventrés et de vagues déposant des détritus autour d'enfants sur des plages immaculées.

Et la Suisse dans tout ça? Le chancelier social-démocrate allemand, Helmut Schmid, a su exprimer en quelques mots l'ironie, le tragique de deux métiers sensés nous informer: "Politiciens et journalistes partagent ce dur destin; ils doivent aujourd'hui parler de choses qu'ils ne comprendront que demain". Encore faut-il tenter de comprendre  ce qui s'est passé hier et donc de rechercher et d'analyser les faits avec un peu moins de politique à la clé. Ce qui n'est pas toujours facile des décennies plus tard, il faut en convenir.

Alors, partons en mer; essayons de comprendre.

Les faits et les chiffres d'abord. Oui, entre 1969 et 1982, la Suisse a déversé 5321 tonnes de fûts contenant des substances radioactives dans trois tréfonds marins bordant le Golfe de Gascogne, entre 3900 et 4750 mètres de profondeur. Pour 99% de la masse, il s'agissait de béton et autres solides non radioactifs. En terme de radioactivité, les déchets suisses se montaient à 4419 terabecquerels, une quantité considérable, puisque la Suisse - avec une part de 5% de toute la radioactivité déversée en mer dans le monde entier - s'est située en troisième position après l'Union soviétique (45%) et le Royaume-Uni (41%). Ces déchets suisses déclinaient en terme d'intensité radioactive et continuent de décliner au rythme inexorable d'un facteur 2 tous les 30 ans ce qui correspond à un facteur de 1000 après 300 ans et d'un million après 600 ans.

Un moratoire international a mis fin à ces pratiques en 1993, la Suisse ayant cessé en 1982 déjà. A l'époque, je m'étais opposé par principe à ces dépôts en fonds marinsque je jugeais inopportuns, car il était devenu clair que notre société ne pouvait pas continuer de déverser ses déchets de tout genre dans les eaux et dans les airs de notre planète. Au lieu de la dilution, il fallait concentrer et enfouir en lieux sûrs dans le sol profond tous les déchets industriels toxiques. Selon ce principe, aucune technologie ne pouvait prétendre recourir à la mer, même avec des solutions certifiées scientifiquement acceptables.

Mais, comment des institutions et des scientifiques suisses ont-ils pu s'associer de bonne foi avant 1982 à une telle opération en Golfe de Cascogne, alors que le sens commun suggère un brassage continuel de la mer, des dispersions de contaminants et des remontées en surface avec impact sur santé et environnement?

L'explication, c'est que les fonds marins en dessous de 3000 mètres exhibent des caractéristiques physiques étonnantes qui échappent au sens commun, des caractéristiques que l'on connait bien scientifiquement et qui nous donnent une perspective différente de la durée et du temps en milieu marin profond:

-Dans une fosse marine de 4000 m de profond, l'eau ne circule pour ainsi dire pas; on le constate en la datant grâce à ses caractéristiques physiques et chimiques. La stratification reste très stable, piégeant les eaux profondes pour des éternités. En fait, les océanologues supputent  tout de même des déplacements verticaux de "quelques mètres par année", et ceci uniquement à certains endroits de l'Océan Indien, ce qui se traduit par une remontée de 3000 mètres en peut-être 1000 ans.

-La lumière n'atteint pas ces grandes profondeurs, la photosynthèse a cessé, l'activité biologique est au minimum végétal. Le peu de vie qu'on y trouve ne participe pas à une chaine alimentaire verticale. Ces rares animaux "lunaires", vivant en équilibre avec une pression ambiante de 300, voire 400 bars, ne survivraient pas à un voyage en altitude vers les plages de Biarritz. Ce qui laisse conclure que ni l'eau, ni une vie animale suffisamment riche ne peuvent transporter ces contaminations profondes jusqu'à la surface

Et en fin de compte, il n'y aura plus rien à transporter vers les eaux supérieures de l'océan. Bien évidemment. L'un dans l'autre, le béton mis à nu par le fût rouillé ne se désagrègerait pas dans l'eau avant un siècle pour le moins (les piliers de nos ponts semblent le confirmer), l'eau contaminée ne pourrait ensuite atteindre les eaux vivantes de la surface que de 600 à 1000 ans plus tard. Et sur place, ces eaux mortes ne peuvent porter atteinte à aucun environnement, puisque ce monde des grandes profondeurs n'a presque pas de vie. Et pendant ces centaines d'années, la radioactivité aura en fait disparu d'elle même.

Contrairement à ce qu'affirme Arte, l'objectif n'était pas la dilution totale dans l'eau océanique, mais bien au contraire le confinement localisé  dans des fosses marines jusqu'à la disparition de la radioactivité par déclin physique. Pour conclure ce périple maritime, spéculons néanmoins sur un scenario catastrophe; admettons que par un coup de baguette maléfique, toute cette radioactivité suisse de 4419 terabecquerels s'était à l'époque échappée vers Biarritz pour se disperser dans les 100 mètres d'eau supérieurs du Golfe de Gascogne, celle du bouillonnement, celle des vagues: et bien cet apport suisse aurait représenté  moins d'un 60ième de la radioactivité naturelle qui s'y trouvait déjà depuis des millions d'années (14'000 becquerels par mètre cube) – un 150ième aujourd'hui. Et dire que la vie sur notre planète est issue de l'écume radioactive de la mer…

Ce voyage à travers le monde marin explique pourquoi ce stockage en eau profonde était scientifiquement justifié, était socialement acceptable du point de vue environnement et santé publique – une vérité pour les déchets d'origine suisse et pour les trois destinations géographiques choisies. Laissons donc nos déchets helvétiques finir leur vie dans les profondeurs désertiques de l'Océan Atlantique; pas de danger, car le monde poétique des Cousteau ne commence que beaucoup plus haut! Cette conclusion ne vaut naturellement pas pour tout, pour tous et partout, en tout cas pas en Mer Baltique pour les héritages soviétiques fortement radioactifs et peut-être pas pour les fûts de la Manche.

 

 

2 commentaires

  1. Posté par PowerPlant le

    @Ueli Davel :
    Un vrai bouquin sur les essais atomiques français dans les atolls :
    http://www.amazon.fr/Les-Atolls-lAtome-Bernard-Dumortier/dp/2915379114
    Bientôt les mêmes conséquences à Marseille, donc.
    Lorsqu’on pense qu’ils firent sauter et raser une montagne entière (visible sur google earth) en Algérie dans le désert (lorsque l’Algérie était française) suite à un accident atomique lors des premiers essais… (c’est à cause de cet événement que les vieux généraux français sont tous aveugle maintenant… regarder ces explosions rend aveugle…)…
    Des psychopathes en France et leurs valets en Suisse.
    @Bruno Pellaud :
    Tous les déchets nucléaires finiront sans exception dans nos assiettes, car ils contamineront tout l’environnement si on ne trouve pas le moyen, soit, de les transmuter, soit de les envoyer sur une autre planète.
    Vous minimiser les risques des déchets envoyés sous la mer…
    Mais que faites vous des déchets de longue vie qui sortent des centrales en Suisse et en France ?
    Puisque vous minimisez le risque des déchets enfouis sous la mer, vous devez aussi minimiser le risque des déchets de longue vie, que vous voulez certainement enfouir dans des roches argileuses en Suisse ou en France ?
    Le plutonium pour n’évoquer que ce dernier, n’est pas dangereux ?
    Une simple feuille de papier permet de se protéger de ses radiations ?
    Enfermé sous terre, dans des roches argileuses, ce plutonium, résidu de la combustion des centrales, ne va pas bouger ?
    Au contraire, ce plutonium, à l’occasion de milles événements (guerres, séismes etc.) au cours des 400 000 prochaines années, va bouger, va contaminer tout l’environnement et sera ingéré par l’Homme dans la chaine alimentaire.
    Alors le plutonium n’est pas dangereux, une simple feuille de papier permet de s’en protéger, comme vous pouvez nous expliquer que les futs au fond de l’Océan ne sont pas dangereux, sauf que s’il est ingéré, le plutonium est mortel pour l’Homme, 4 micro-grammes ingérés engendrent la mort de l’Homme !
    Les déchets radioactifs NE SONT PAS STOCKABLES.
    Ni sous les océans, ni dans l’argile des profondeurs.
    Vous pouvez faire des châteaux de sable avec de l’argile dans une grotte suisse, vos déchets n’y seront pas en sécurité, jamais.
    Le contenant finira par prendre la radioactivité du contenu… et au fil des décennie, tout sera éparpillé (guerres, séismes etc.), tout se retrouvera dans l’agriculture sur tout le continent et au delà.
    Lorsque vous stockerez ces déchets, ils vont générer des gaz, des gaz radioactifs, qu’il faudra évacuer, sous peine d’explosion (ce qu’on constate en France dans les centres de stockage), donc votre centre de stockage sera en contact permanent avec la surface, rien ne sera hermétique puisqu’il faudra évacuer les gaz radioactifs, périodiquement… et dès qu’un défaut de surveillance ou de maintenance aura lieu (sur 400 000 ans, entre faillites, guerres et autres séismes…) BOUM.
    Mais en France ils ont résolu le problème en choisissant de ne pas le résoudre, en France la contamination de toute la région Champagne est prévue pour débuter dans 300 ans.
    Vous dites que les déchets sous la mer ne sont pas dangereux.
    Comment vos stocks de déchets nucléaires seront protégés des terroristes ?
    Un tel stock rend votre pays incroyablement vulnérable, en son coeur, comme les centrales nucléaires rendent l’humanité entière incroyablement vulnérable.
    Si vous avez un stock de déchets nucléaires dans de l’argile, qui rejette périodiquement des gaz radioactifs (donc on évacue le pays à terme ?), c’est comme ci vous montriez à l’ennemi la cible qu’il doit toucher pour vous éteindre.
    Idem pour une centrale nucléaire.
    Tout cela menace l’existence même de l’Homme sur terre.
    On nage en plein obscurantisme.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.