Pluie et froid sur l’Europe. A n’en plus finir ! Scandaleux ! Comment la nature ose-t-elle nous faire un coup pareil ? N’est-ce pas le printemps ? Ne devrions-nous pas être en train de courir dans des champs couverts de fleurs ? Eh bien non, nous ne le pouvons pas, en raison du temps qu’il fait. Mais au fond, qui décide qu’il pleuvra ou ne pleuvra pas ? En tout cas, celui ou celle qui décide ne nous a pas consultés. C’est scandaleux, anti-démocratique ! Ne faut-il pas faire un référendum contre le froid ? Comment nous, citoyens modèles, pouvons accepter tant d’arbitraire ? N’est-ce pas tyrannique de nous soumettre à la pluie ou au beau temps sans que nous n’ayons rien à dire ? Qui nous soumet ainsi à de malvenus caprices. Qui qu’il soit, nous aimerions le traîner en justice, voire le décapiter, comme au bon vieux temps de la révolution française. C’est pour le coup que nous jouirions d’un véritable printemps, peut-être arabe.
Nous nous prétendons tous démocrates, aujourd’hui. Mais que voulons-nous dire par-là ? Difficile de répondre, étant donné qu’il y a tellement de formes différentes de démocratie qu’en se référant à elle, nous évoquons un être insaisissable. Est-elle directe ou pas directe. Quand elle est directe, comme en Suisse, on ajoute qu’elle est semi-directe. Et quand elle est ni l’un ni l’autre, comme dans tous les pays européens, elle consiste essentiellement en des élections. Mais sont-elles, ces élections, proportionnelles comme en Israël ou majoritaires comme en France ?
Foin de ces subtiles distinctions. Nous sommes des démocrates parce que nous estimons qu’un peuple doit pouvoir choisir son destin. Mais un destin, n’est-ce pas justement quelque chose qu’on ne choisit pas ? Laissons tomber cette objection avec équanimité. L’idée de se choisir un destin est une belle idée, elle réchauffe les cœurs. Surtout qu’aujourd’hui, un peuple, les peuples, ne veulent pas être soumis à la dictature du marché. S’il faut se soumettre à quelqu’un ou quelque chose, ce sera la volonté populaire. Nouvelle objection tout de même : comment la découvre-t-on la volonté populaire ? Par les élections, par des votations comme on dit en Helvétie, par des référendums, des initiatives ?
Un peuple n’existe pas comme entité homogène ou cohérente. Un peuple, surtout aujourd’hui, c’est une multiplicité de groupes, d’associations, de syndicats, de corporations, de ligues, de minorités et, last but not least, de partis. Si l’on veut s’adresser à lui pour lui demander ce qu’il veut, il faut se préparer à une rafale de réponses toutes différentes les unes des autres. Les bouchers demanderont des mélanges de viande de bœuf et de cheval pour faire baisser leurs prix, tandis que les écologistes demanderont au contraire des prix plus élevés pour une viande de bœuf biologique.
Nous vivons dans une époque où il s’agit d’être de plus en plus proche des gens. Une classe politique qui n’obéit pas à ce très saint commandement est une caste. Et une caste, c’est horrible. Elle s’accorde des privilèges au mépris d’une satisfaction universelle des besoins. Une caste méprise le peuple et, pire encore, elle laboure le terrain d’une violente réaction contre elle qu’on appelle le populisme. Difficile de contenter tout le monde. Si l’on cherche à satisfaire les gens, on s’enfonce dans un labyrinthe de sondages, de débats citoyens, de comités de soutien, sans qu’intervienne une décision, comme l’apprend aujourd’hui François Hollande, et si, au contraire, on tente de s’élever au-dessus de ce labyrinthe pour se redonner un avenir, on se fait accuser de favoriser le retour de démagogues.
Personne n’aurait l’outrecuidance de penser qu’il y a une alternative à la démocratie. Tout le monde s’est moqué de Francis Fukuyama lorsqu’il a publié un livre sur une possible fin de l’histoire avec un l’universel avènement d’un régime démocratique et libéral. Mais en même temps, personne ne semble croire que l’histoire puisse s’achever sur autre chose qu’une démocratie. Certes améliorée, perfectionnée, moralisée comme on dit aujourd’hui en France, mais une démocratie.
Ainsi l’Europe s’enfonce-t-elle dans une impasse, coincée entre la satisfaction des besoins appelant nécessairement des technocrates bruxellois et la peur d’un pouvoir qui ne s’appuierait pas sur ces besoins. Où donc va-t-elle ? Personne ne le sait, mais en attendant, ayons au moins la décence de ne pas nous référer constamment à la démocratie pour exorciser nos peurs. Une vieille tradition helvétique veut qu’on n’étale pas tout au grand jour. N’étalons pas non plus la démocratie directe, semi-directe ou représentative au grand jour. Cela commence à devenir indécent.
Pierre-Henri Reymond, vous avez raison. Ces paroles du Christ en croix (pourquoi m’as-tu abandonné ?) sont étonnantes puisqu’elles suggèrent qu’il s’écrase devant un autre, le grand Autre, comme aurait dit Lacan. Or, il n’y a plus d’altérité ou d’alliance lorsque l’un des deux s’annihile face à celui qui lui fait face. Mais comme le suggère la tradition juive, le questionnement devant des textes sacrés ou des propos substantiels, peut se développer à l’infini. C’est ce questionnement qui compte.
En vous relisant je me souviens d’une citation du Coran, que j’ai faite dans une autre publication! “vous vous comportez comme si c’était vous qui faisiez tomber la pluie”. En lisant ce passage j’ai vu les rodomontades des promesses électorales.
Bravo, Monsieur Marejko! Et merci! Vous mettez l’accent sur le problème! En fait, pour faire court, “son” royaume n’est pas de ce monde! Evidement, puisque il est “des cieux”. Soudain ils me parlent, les mots de l’irréprochable. Celui qui auquel tout pouvoir a été donné! Et qui se laisse bousiller sans broncher, (sinon “père, pourquoi m’as-tu abandonné”)? Encore que ces dernières paroles m’étonnent dans sa bouche. Il a donc renoncé à l’exercice du pouvoir! Comment vous dire ma pensée? Moi qui balbutie! N’avons nous le choix qu’entre le pouvoir discrétionnaire du totalitarisme, l’anarchie ou un moyen terme démocratique? Je n’en sais fichtre rien! Ce que je sais est que si vous ne redevenez, et non pas devenez, des enfants vous ne pouvez ni voir le royaume, ni y entrer! L’injonction est plus claire en hébreu! Elle implique un retour! Celui qui a vu des enfants de partout dans le monde peut comprendre! Puissent ces quelques lignes inspirer méditation.