Repenser l’école: briser le tabou de la non-mixité

Jean-David Ponci
Docteur en philosophie

Aujourd’hui, de nombreux spécialistes de ce domaine s’accordent sur le fait que la mixité scolaire a été introduite sans qu’on y ait réfléchi suffisamment. En témoignent…

Dans les années 70, la mixité scolaire s’est imposée un peu comme un dogme dans les pays occidentaux. L’objectif louable de cette réforme était de parvenir à une égalité de fait entre hommes et femmes. On garantissait ainsi l’accès des filles aux mêmes programmes et aux mêmes exigences scolaires que les garçons. Aujourd’hui, de nombreux spécialistes de ce domaine s’accordent sur le fait que la mixité scolaire a été introduite sans qu’on y ait réfléchi suffisamment. En témoignent les deux citations ci-dessous :

 

« L’école s’est donc trouvée embarrassée par une mixité introduite subrepticement. Il n’y a pas eu de réflexion préalable sur les changements que cela introduisait. Et l’école a fait comme si elle pouvait continuer à se concentrer sur les apprentissages et les performances, en déniant les corps, la sexualité et les désirs, et plus généralement en négligeant sa vocation éducative[1]»

 

« L'égalité en droit, la mixité scolaire n'ont pas suffi à abolir la différence de regard porté sur les filles et les garçons, la construction sexuée des parcours scolaires ni les violences sexistes à l'école[2]. »

 

Toutefois, les difficultés liées à l’introduction de la mixité à l’école n’ont pas empêché la société de devenir plus égalitaire et les femmes d’avoir une place plus importante qu’autrefois dans le monde du travail et dans la vie politique. Il y a bien sûr encore des progrès à faire… Cependant, le grand paradoxe est là : c’est justement dans l’institution censée être fondatrice de cette réforme sociétale que la mixité aujourd’hui pose problème. Alors qu’elle constitue un avantage indéniable pour une entreprise ou un parti politique, les élèves de nos classes semblent avoir plus de difficultés à apprendre en raison, entre autres, de la mixité. C’est peut-être le seul endroit où elle n’aide pas… Pourquoi ?

 

Rappelons que, dans les années 70, la mixité semblait poser moins de problème qu’aujourd’hui. Depuis lors, la sexualisation de la société, la fragilisation du mariage avec la multiplication des familles monoparentales – de nombreux garçons sont en manque de modèle masculin – et la dépendance à l’égard des nouvelles technologies, typiquement les jeux d’ordinateur pour les garçons et les réseaux sociaux pour les filles, pourraient expliquer pourquoi nos enfants sont plus fragiles qu’autrefois.

 

Quelles qu’en soient les causes, la mixité tend désormais à être un frein à l’apprentissage, alors que la principale vocation de l’école est que nos enfants y acquièrent des connaissances, la fondation d’une société égalitaire n’étant qu’une de ses vocations secondaires. Pour promouvoir l’égalité des sexes, on attend de l’école mixte qu’elle permette de lutter contre les stéréotypes sexuels, afin que les filles s’orientent davantage vers des études dites « de garçons » et vice versa. Mais même en cela, il semble que la mixité n’atteigne pas ses objectifs, car les élèves renforcent les stéréotypes pour mieux souligner leur identité masculine et féminine face à l’autre sexe. C’est ainsi qu’en Suisse romande les classes dont les élèves ont choisis maths renforcées comptent souvent une écrasante majorité de garçons. Inversement, dans les écoles non-mixtes qui offrent une variété suffisante de débouchés, on trouve proportionnellement plus de filles s’orientant vers des études d’ingénieurs et plus de garçons vers des études de lettres. Aux Etats-Unis, les recherches corroborent cette tendance[3]. La non-mixité semble libérer les élèves du rôle qu’ils sont censés jouer en tant que garçons ou filles et ils se sentent plus libres de développer leurs talents.

 

La mixité ne tient donc pas ses promesses tant en ce qui concerne les résultats scolaires – les filles ne sont pas meilleures qu’autrefois et les garçons sont souvent en échec – qu’en ce qui concerne l’égalité. Face à ce constat, pourquoi ne pas envisager la non-mixité ? Je ne parle pas de l’introduire brusquement, ni partout – car il n’est pas sûr qu’elle convienne à tous les élèves -, ni de revenir aux années 60. Il s’agirait d’une non-mixité réfléchie, adaptée aux différentes manières d’être des garçons et des filles. Il existe dans les pays anglo-saxons toute une pédagogie différenciée pour les garçons et pour les filles, dont il serait bon de s’inspirer[4]. L’essentiel des pédagogies différenciées est une prise de conscience : l’élève n’est pas neutre et il faut, par conséquent, tenir compte des différences entre garçons et filles dans l’enseignement, tout comme, par ailleurs, un bon enseignant saura s’adapter à d’autres différences, comme celle entre les auditifs et les visuels. De ce point de vue, il ne s’agirait pas d’un retour en arrière mais d’un enrichissement de l’offre pédagogique.

Cependant, la non-mixité à l’école fait peur. C’est un véritable tabou. Dans nombre de pays occidentaux, mixité scolaire rime avec égalité sociale, si bien que celui qui la mettrait en doute s’inscrirait du même coup en faux contre l’égalité homme-femme. Toutefois, face aux difficultés que traverse l’école, il est bon de faire sauter ce tabou pour nous autoriser à réfléchir. L’influence de l’école sur la fondation d’une société égalitaire ne dépend certainement pas de la seule séparation physique des garçons et des filles, mais du contenu de l’enseignement. Associer la mixité à l’égalité et la non-mixité à l’inégalité est simpliste. D’ailleurs, dans les pays anglo-saxons les écoles prestigieuses sont souvent non-mixtes sans que la société y semble moins égalitaire. En Angleterre, ces écoles sont les meilleures du pays. Les résultats au General Certificate of Secondary Education permettent de dresser un classement annuel des établissements dont les élèves (de 15-16 ans) obtiennent les meilleures notes. Alors que seules 2% des écoles publiques et 14 % des écoles privées sont non-mixtes, elles constituent d’année en année près de 75% des 100 meilleures écoles du pays[5]. Sans doute ces bons résultats ne sont-ils pas dus uniquement à la non-mixité. Une étude du gouvernement anglais se propose de faire la part des choses, en évaluant l’influence de la non-mixité indépendamment des autres paramètres, et conclut qu’elle a une influence positive sur les notes[6].

 

Il n’y a pas lieu ici de citer plus d’études. Mon but est uniquement d’inviter tout le monde à réfléchir aux avantages pour nos enfants de la non-mixité et de la mixité à l’école. Je me suis attelé à cette tâche en tant que chercheur indépendant il y a 4 ans, sans trop d’idées préconçues, et j’ai pu constater que la mixité semble apporter bien peu de chose – même les avantages liées à la socialisation entre garçons et filles sont discutables –, tandis que la non-mixité est une option pédagogique intéressante.

Toutefois, en vertu, de la chape idéologique qui pèse sur cette question, peu de monde connaît les recherches sur les écoles non-mixtes[7]. Il est temps que cela change et que l’on ose ouvrir le débat en surmontant ce tabou.

 

Jean-David Ponci, Docteur en philosophie

Délégué de l’EASSE (European Association Single Sex Education)

pour les pays francophones et germanophones


[1] La mixité à l'école : filles et garçons, conférence de consensus de l’IUFM de Paris/Créteil (2009) sous la direction de Marie Duru-Bellat et Brigitte Marin.

[2] Vincent Peillon, Najat Vallaud-Belkacem, Pour plus d'égalité entre filles et garçons à l'école, Le Monde, 25.09.2012.

[3] Pour un ensemble d’études scientifiques à ce propos cf. http://www.singlesexschools.org/research-singlesexvscoed.htm

[4] Très peu de choses ont été traduites. Ce qui existe en anglais est de qualité inégale. Je recommanderais les livres de Leonard Sax : Why Gender Matters, Boys Adrift et Girls on the Edge, et les deux livres de Abigail Norfleet James : Teaching the Male Brain et Teaching the Female Brain.

[5] Cf. http://www.telegraph.co.uk/education/leaguetables/8723085/GCSE-results-2011-school-by-school.html et http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/education/4170183.stm

[6] Spielhofer, T., O’Donnel, L., Benton, T., Schagen, S., Schagen, I. (2002)The impact of school size and single-sex education on performance, National Foundation for Educational Research.

[7] On trouvera de nombreuses références sur mes deux pages Facebook : https://www.facebook.com/easse.org?fref=ts et https://www.facebook.com/pages/Association-pour-lenseignement-diff%C3%A9renci%C3%A9-filles-gar%C3%A7ons-EASSE/456461351038957?fref=ts

Un commentaire

  1. Posté par Abigaïl le

    Les propos de Monsieur Ponci invitent à la réflexion. C’est leur mérite.

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