Adhérer à l’UE pour sauver l’agriculture suisse ?

Guy Parmelin
Guy Parmelin
Conseiller national UDC (VD), Agriculteur, Viticulteur
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L’expérience du marché montre qu’il s’agit surtout d’une dangereuse utopie.

L’adhésion à l’UE, avec reprise de l’euro, serait la seule façon de sauver l’agriculture suisse d’un inévitable déclin et les paysans suisses auraient tort de freiner des quatre fers face à ce qui est présenté comme l’unique bouée de sauvetage possible selon Jacques Janin, ancien directeur de la Chambre Vaudoise d’Agriculture.

Reverdir

Le « remède » préconisé est original mais tout comme la saignée pratiquée au Moyen-Age, ses effets secondaires pourraient bien tuer le patient ! En effet, cette vision qui se consacre en priorité à une agriculture productrice de denrées alimentaires, fait fi de nombreux paramètres qui ont évolué ces dernières décennies. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la mission de produire des denrées alimentaires a malheureusement du plomb dans l’aile si on regarde l’évolution du dossier Politique agricole 2014-2017. C’est au contraire à une cure de «verdissement » accéléré auquel le Parlement, sur proposition du gouvernement, va soumettre l’agriculture suisse.

En ce sens, Jacques Janin se trompe d’interlocuteurs et devrait s’adresser aux responsables du Département de l’économie ainsi qu’à la majorité du Parlement plutôt qu’aux paysans et à leurs représentants actifs dans la défense professionnelle. En outre, même s’il ne faut jamais jurer de rien, sur le simple plan institutionnel, une adhésion à l’UE, qui plus est en abandonnant le franc suisse pour l’euro, n’est pas d’actualité tout simplement parce que les oppositions sont multiples et diverses dans l’ensemble de la population et pas seulement chez les 3,5% d’agriculteurs. Et je ne parle pas des autres problèmes collatéraux qu’un abandon du franc suisse provoquerait. Plusieurs spécialistes prévoient une hausse inévitable des taux d’intérêts hypothécaires. Avec l’endettement actuel de l’agriculture suisse, elle verrait ainsi un alourdissement considérable du poids de sa dette et donc un affaiblissement supplémentaire de sa compétitivité, contraire au but recherché.

Distorsions

Sur le fond, il faut une fois pour toute battre en brèche un cliché qui a la vie dure et qui propage le sentiment que l’agriculture suisse jouit seule au monde d’une protection maximale au contraire de l’agriculture des Etats membres de l’UE. De par les multiples réformes imposées ces dernières années, les agriculteurs suisses ont au contraire fortement augmenté leur productivité. Mais ils souffrent de plusieurs handicaps connus et qui subsisteront toujours, adhésion ou non.

Tout d’abord, l’exiguïté des domaines agricoles qui est un paramètre incontournable ; à cela s’ajoute l’environnement économique d’un pays riche sur lequel l’agriculteur n’a aucune prise. Penser qu’une adhésion fera baisser les coûts fixes de production tels les salaires, les assurances, le prix des terrains, les prix de la construction etc. est tout simplement de l’utopie. Même la reprise de la Politique agricole européenne (PAC)avec son arrosage de subventions qui dévorent près de 55% du budget communautaire ne permettrait pas de combler la différence.

A cela s’ajoute encore la dure réalité du terrain : il n’y a pas une seule politique agricole européenne tout comme il n’y a pas une seule politique étrangère ou de défense européenne. Chaque Etat mène discrètement sa politique interne, locale et régionale, pour protéger ses propres agriculteurs en les soutenant par différents canaux qui amènent des distorsions de concurrence au sein de l’UE elle-même.

Sens contraire

A ces aspects qu’on a tendance à systématiquement occulter mais qui s’avèrent décisifs lorsqu’on veut être compétitifs, il faut aussi ajouter le contexte international dont on ne peut pas faire abstraction. L’OMC est actuellement en panne et la mode est aux accords de libre-échange bilatéraux avec différents pays émergents ; et dans les négociations, l’agriculture est souvent la monnaie d’échange, sans oublier que du côté de Berne, on continue, malgré l’évidence, à vouloir conclure un tel type d’accord (ALEA) avec l’UE.

Alors quand Monsieur Janin parle « de la nécessité du maintien en Suisse d’une production substantielle », il faut être conscient que de tels accords vont exactement à sens contraire. Si en Suisse, les investissements consentis dans le secteur de la transformation des produits alimentaires ( entrepôts de stockage frigorifiques, abattoirs, usines d’aliments etc. ) doivent être rentabilisés sans soutien des pouvoirs publics, dans l’UE et aussi dans de nombreux autres pays, tout ce premier échelon de l’industrie alimentaire bénéficie de plusieurs dizaines de millions de francs de soutien par année faussant totalement la concurrence.

Protection à la frontière

La seule arme efficace pour permettre à l’agriculture suisse de résister dans une mesure limitée à cette concurrence déloyale reste une certaine protection à la frontière par des droits de douane adaptés. Mais cela dépend du pouvoir politique ; et en Suisse, curieusement, alors que nous sommes les champions du monde de l’importation nette de denrées alimentaires, la Berne fédérale a plutôt tendance à remettre en question ce type de protection. Quant à ce qui pourrait aider les produits agricoles suisses à bien se positionner sur les marchés, il suffit de regarder ce qui s’est passé et ce qui se mijote discrètement dans certaines officines sur le plan fédéral : introduction unilatérale du principe du Cassis de Dijon, ALEA avec l’UE malgré l’opposition ferme et réaffirmée du Conseil national, projet Swissness fortement contesté, discrète préparation d’un accord de libre-échange avec la Chine incluant des concessions qui pourraient à terme ébranler les fondements même de notre agriculture et j’en oublie.

Une agriculture suisse de type productif telle que souhaitée par Jacques Janin est donc bien menacée mais une adhésion à l’UE n’apporterait de toute façon aucune solution aux principaux handicaps dont elle souffre. Seule une véritable volonté politique dans le pays de lui procurer les armes pour assurer son futur la sauvera du déclin que Jacques Janin perçoit. Aujourd’hui, les paysans suisses doivent se battre avec détermination pour assurer l’avenir immédiat de leur profession en équilibrant le budget de leur entreprise tant bien que mal avec des paramètres fixés par l’officialité fédérale. Les utopies à long terme sont certes intéressantes et peuvent faire rêver mais elles sont déconnectées de la réalité du terrain et malheureusement d’aucun secours pour les paysans suisses.

Guy Parmelin

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Permettez que j’étale mon ignorance! Mais que des paysans doivent se battre me dépasse! Doit-on se battre pour faire pousser du blé ou des betteraves? Que les paysans soient subventionnés me dépasse aussi! Dans mon enfance les paysans étaient réputés riches. Roulant en Mercedes. Il y a vingt ans j’ai rencontré une paysanne française, Travaillant de 4 heures du matin à 9 heures du soir, pour survivre! Il y a un problème. Non? Je considère le subventionnement des paysans comme un humiliation! Je considère les tâches administratives dont une bureaucratie tentaculaire les accable comme une humiliation! Le “doux monstre de Bruxelles est humiliant”! Celui de Berne ne l’est pas moins. Je ne parle pas de Genève! Dont, il y a plus de 40 ans, je voyais les prémisses de celle d’aujourd’hui! J’en conviens, j’ignore beaucoup de choses! Mes raisonnements ne sont guère plus élaborés que ceux de mes grands-parents. Même si j’ai lu Soljenitsyne, Bukowski et des kilos de documents soviétiques! Mes propos ne sont pas documentés. Je ne cite pas Milton Friedman, von Mies ni von Hayek. Est-ce pour cela que je n’aurais pas droit de cité? Pourtant, même si mes perceptions sont de l’ordre deu Café du Commerce, un auteur tel que Pierre Leconte me rend justice. Dans “la grande crise monétaire…”, mentionné dans un autre commentaire.

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