Toutes les fins du monde, et il y en a eu, annoncées régulièrement par les multiples rabat-joie de l’histoire suivent toutes la même structure : il s’agit de rompre avec le monde actuel pour faire table rase de l’ancien.
Ouf ! La fin du monde est derrière nous ! Homo festivus a eu chaud : un événement catastrophique qui, inexplicablement, ne dépend pas de ses options a bien failli l’empêcher de faire la fête. Car à la fête, il est rompu, Homo festivus : depuis janvier, appliqué, il s’exerce aux festivités et autres glissades cool de fin d’années ; les magasins d’ailleurs lui rappellent dès octobre que c’est bientôt Noël et que le Père Noël existe pour lui dans ce monde panfestif. D’ailleurs son année est jalonnée de fêtes préparatoires à la THE fête du 31 décembre, parangon de toutes les fêtes du monde puisqu’elle promet l’avènement d’une nouvelle année. Or Festivus, le néophile, aime le nouveau. Mais rien n’a dérangé les dispositions prises par Festivus : la fin du monde festif n’a pas eu lieu. Soulagement !
Certains grincheux, mal intentionnés et passablement rebelles à l’esprit du temps, peu disposés d’ailleurs à s’éclater (c’est le mot de Festivus), avaient agité le spectre maya de la fin du monde. Pas dans l’air du temps, ces Mayas ! Primitifs, ils ne souscrivent guère au rythme du monde-qui-bouge. Festivus les a soupçonnés d’être, au choix, réactionnaires, hermétiques, frileux, pas branchés, obtus et même, c’est dire ! un peu fachos, ces Mayas. Jeter un doute au cœur de la festivocratie, c’est renoncer à « aller plus loin » ! Ces Mayas résistent à l’avance de la société qui s’éclate et s’opposent de manière incompréhensible aux bienfaits du monde comme il va. Pour lui, le cas est pendable.
Parce que toutes les fins du monde, et il y en a eu, annoncées régulièrement par les multiples rabat-joie de l’histoire suivent toutes la même structure : il s’agit de rompre avec le monde actuel pour faire table rase de l’ancien, et refonder les bases d’un monde nouveau. Mais Festivus ne veut pas d’un autre monde puisqu’il vit déjà dans un monde nouveau. Et cet univers contre lequel il fait parfois semblant de se rebeller, de s’indigner, de pester, ce monde qu’il entend fuir dans la fête, l’alcool ou les drogues, ce monde bourgeois, Festivus n’entend pas sérieusement s’y opposer. Dans sa religion du Progrès, il n’y a pas de place pour une réelle contestation puisque chaque époque, mécaniquement, s’emploie à gommer le Mal, à s’en débarrasser. Puisqu’il a fait du brouillage des frontières une vertu, Festivus ne veut plus d’un monde où le négatif aurait sa place et son rôle. C’est un croisé de la méga-teuf.
En fait, la fin du monde était ludique, c’était pour rire un peu. La « cohésion sociale » et le « vivre ensemble », préceptes de la néo-modernité, vont pouvoir continuer à s’obtenir dans le bruit, c’est-à-dire en écrasant tout sous le vacarme festif. On a eu chaud ! Ça a failli changer pour de vrai !
Jean Romain
Cher Jean, vos lignes me ferrent! Elles hameçonnent mon imagination, que je laisse floter à son gré! Et me voici projeté en plein désert! Après l’Egypte! Le leader, le libérateur tarde sur la montagne! On s’emmerde comme des rats morts! D’ailleurs le mot “désert” contient “parole, chose et événement”, et leur absence! Nul ne supporte l’absence, le vide! L’homo festivus est plus prompt à fabriquer des raccourcis. Mais nul n’échappe à l’angoisse du vide. A la solitude au milieu de tous, comme le rappelle le titre d’un livre que je n’ai pas lu, d’Henri Guillemin. Peut-être la pire de toutes! Qui alors ne fabriqueras pas? Une fête de Noël? Qui exacerbe la solitudes des esseulés? On célèbre l’Avent? Et l’après, ne serait-il pas une dé-fête? Je ne sais pas.