Crise de la presse. Les journalistes: victimes ou coresponsables?

Uli Windisch
Rédacteur en chef

Même dans un journal qui se veut de qualité et une référence, citez-moi les journalistes incontournables. Comment fonctionne en réalité un tel journal ? Où sont les plumes de qualité, tant revendiquées ? Les articles qui font date et qui sont des références, sont en grande partie écrits et offerts par des spécialistes et personnalités extérieurs au journal. Il ne faut pas être injuste…

Mardi 11 décembre 2012 une cinquantaine de journalistes ont manifesté devant les fenêtres du journal Le Temps à Genève et d’autres protestations du même type ont eu lieu dans d’autres villes de Suisse romande  pour protester contre la résiliation par les éditeurs  de Suisse romande  de la convention collective de travail(CCT). Cette absence de CCT devrait entraîner, selon Impressum, un syndicat de journalistes, une pression à la baisse des salaires et « une diminution inévitable à terme de la qualité des journaux ». A Lausanne, les journalistes ont aussi manifesté en scandant « leur volonté de défendre une presse de "qualité".

Oui la situation de la presse écrite est difficile mais la faute est-elle vraiment due uniquement à des raisons économiques et à ceux qui ne veulent pas renouveler ces CTT ? Défendre une presse de qualité, très bien, mais où est-elle précisément cette presse de qualité, avec sa diversité, sa pluralité, avec des journalistes dont les articles sont des références et que les lecteurs attendent avec impatience ? Articles qui marquent par leur regard enrichissant, leur profondeur d’analyse et leur contribution déterminante en matière d’information sur les problèmes majeurs de notre époque ? Le manque en la matière est tout simplement affligeant et nombre de journalistes sont davantage des moralisateurs politiquement corrects, qui se contentent souvent d’ironiser ou de tenter de discréditer des personnalités politiques qui ne sont pas de leur chapelle politique. Grossière caricature ? A peine. Un exemple: le journal Le temps  qui semble sur le point de licencier quinze-vingt  journalistes. Pensez-vous que l’on licencierait un journaliste de grande qualité et dont les articles sont attendus par un large public ?

Même dans ce journal qui se veut de qualité et une référence, citez-moi les journalistes  incontournables. Comment fonctionne en réalité ce journal ? Où sont les plumes de qualité, tant revendiquées ? Les articles qui font date et qui sont des références, sont en  grande partie écrits et offerts par des spécialistes et personnalités extérieurs au journal. Il ne faut pas être injuste, de tels articles viennent aussi de l’intérieur, de la partie économique, entre autres. Mais personne n’ose poser ce problème. Une publication où foisonnent les textes de qualité et qui réussit à se rendre indispensable a peu de chance de disparaître.

Que feraient certains journalistes s’ils n’avaient pas presque quotidiennement l’UDC ou l’une de ses personnalités à se mettre sous la dent ? ou telle autre journaliste qui doit être très malheureuse si elle n’avait pas régulièrement le thème de l’asile ou l’immigration pour tenter de montrer à quel point la Suisse est défensive, rétrograde, xénophobe, ou que sais-je encore. Et ainsi de suite pour d’autres domaines : l’Europe, etc, etc. Ces journalistes ne se rendent pas compte que le public est de plus en plus lassé par ce style, et préfèrent aller voir ailleurs, par exemple sur le Net, où, sur tous les sujets importants, on trouve, en cherchant un tout petit peu, des articles et des dossiers de qualité, sans ce ton moralisateur insupportable. En plus, les  auteurs de ces textes ne sont souvent même pas journalistes mais très compétents. D’où le triste mécanisme de défense des journalistes qui nous servent l’antienne : le travail sur le Net n’est pas l’œuvre de vrais journalistes mais de scribouilleurs. Il y a de cela et de tout sur le Net, c’est connu, mais il y a surtout beaucoup de textes de grande qualité que nombre de journalistes ne seraient même pas capables de produire.

Autre cause des difficultés de la presse : l’intolérance envers une véritable ouverture et un pluralisme médiatique chez les journalistes eux-mêmes, si ce n’est une ouverture obligée et symbolique, retenue et comptée, juste pour tenter de montrer que l’on est pluraliste. Et pour continuer à être lus ?

On préfère mener la guerre contre ceux qui se permettent d’écrire sans être dans le mainstream de la bien-pensance . Parfois on cherche  même à les empêcher d’exister, par tous les moyens.Voir ici

Autre cause : la formation des journalistes. Maintes fois j’ai attiré l’attention sur le très faible niveau de formation des journalistes en Suisse romande, eu égard au niveau international. Ce qui n’empêche pas que l’on trouvera toujours  des journalistes self made man excellents. Mais ils se font rares !

J’ai personnellement cherché à contribuer à une meilleure formation en la matière en projetant de créer un Master en journalisme à l’Université de Genève(UNIGE).  Réaction de la responsable du Centre de formation des journalistes (CRFJ) en Suisse romande ?  Elle a essayé par tous les moyens de s’opposer à cette formation, allant jusqu’à demander au Recteur de l’UNIGE de l’époque de l’empêcher ! Pour, ensuite, chercher à « noyauter » (selon les bonnes vieilles  méthodes gauchistes) le Conseil de l’Université qui devait autoriser cette formation. Elle y est parvenue à quelques voix près ! Une vraie bataille politique pour empêcher une formation journalistique de niveau universitaire ! Comme cela existe dans tous les pays développés. Voilà une réalité qu’il faut rappeler car ce genre d’attitude est aussi pour quelque chose dans la situation de la presse écrite. Il ne s’agit pas là d’une affirmation gratuite ; cela est public puisque j’ai dit à l’époque dans émission d’une TV locale genevoise que cette personne aurait dû prendre rapidement une retraite anticipée. Dans un poste clef pour la qualité du journalisme on a nommé une personne qui ne correspondait guère aux exigences en vigueur dans les Ecoles de journalisme internationales. Sans parler bien sûr de son orientation  politique à gauche. Bravo à ceux qui l’ont imposée !

Finalement, par une astuce, nous avons pu créer une Mention en journalisme à l’intérieur du Master en Communication et médias, une mention n’exigeant pas le passage par toutes les instances de l’institution, comme l’exige un Master. Genève est pourtant LA ville internationale la mieux placée  pour une telle formation en Suisse romande. Espérons que cette formation ne sera pas abandonnée sous un prétexte ou un autre. Une telle formation à Genève (en collaboration bien sûr avec d’autres universités intéressées comme je l’ai proposé de manière répétée) est d’ailleurs dans l’intérêt de tout le monde et pas seulement de l’université. Aux acteurs politiques de le rappeler de manière appuyée.

La qualité de la presse écrite et sa situation plus générale pourraient faire l’objet d’un long feuilleton. Pour notre part, nous le reprendrons régulièrement, en espérant ne pas être seul.

Dans l’immédiat, il y a un dernier point que nous aimerions encore brièvement souligner. On entend de plus en plus d’auditeurs de la Radio suisse romande se plaindre de l’omniprésence de politiciens de gauche, présence presque quotidienne, à une émission comme Forum par exemple, au point où certains se demandent si ces politiciens de gauche ont carrément obtenu un abonnement.  Sur ce point la radio devrait avoir l’obligation de répondre à cette critique en entreprenant régulièrement des comptages permettant de prouver la fausseté de cette impression.

En bref, que des journalistes manifestent pour  défendre des « acquis » est une chose ; mais ne devraient-ils pas aussi chercher à s’adapter aux réalités nouvelles, à perfectionner leur métier, à l’ouvrir, à le diversifier et à le pluraliser réellement, afin de se rendre à nouveau indispensables, voire attendus et recherchés, tant ils redeviendraient exemplaires. L’époque où les ouvriers cassaient les machines est terminée.

De la défensive à l’offensive, généralisée. Avec confiance, détermination, et une lutte (plutôt qu’une attitude défensive, voire destructrice) pour un réel et effectif pluralisme médiatique et de qualité, propre à changer l’image d’un métier qui n’est plus garanti par la simple appartenance à un syndicat protectionniste.

Sinon la concurrence du NET, dont les acteurs ne sont pas que des journalistes, l’emportera.

 

2 commentaires

  1. Posté par Jean-Pierre Pasche le

    A relire sans attendre le livre de Roger de Diesbach:” Presse Futile, Presse Inutile”. Seul le sensationnel et le “People” n’ont d’intérêt pour les journaux et magazines. On nivelle l’information par le bas sous prétexte que c’est ce que demande le public. Mais cela est une réflexion de journalistes pardon de journaleux. Il n’est plus question d’investigation et de recherche. Il faut “sortir la nouvelle” avant les autres. Existe-t-il encore de vrais journalistes en Suisse? Ils finiront sans doute dans une réserve visités par les familles qui montreront à leurs rejetons des humanoïdes politiquement incorrects.

  2. Posté par Marcel Rubin le

    Il vaut la peine de rappeler qu’alors que “la gauche” en général, toutes chapelles confondues, recueille le soutien d’un tiers de la population, une enquête mise sur pied il y quelques années (2-3 ans) par Le Temps et lsa SSR, révélait que plus de 60 % des journalistes de Suisse romande se déclaraient “socialistes ou proches des idées de gauche”. Cherchez l’erreur – ou la manipulation!!

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