On peut s’attendre à ce qu’il ne soit pas un partenaire facile si les élections lui permettent de jouer un rôle. Son partenaire habituel, la Ligue du Nord, défend des positions sur l’euro et l’Europe qui ne sont pas très différentes de celles de Berlusconi, mais, en plus, la Ligue du Nord a récemment réclamé l’organisation d’un référendum sur l’appartenance européenne.
Un référendum sur cette question, c’est la bombe atomique qui menace le fragile édifice européen. On se souvient de la panique de Sarkozy et Merkel quand le pouvoir grec d’alors avait évoqué cette menace de référendum.
Berlusconi, c’est un personnage de film. Ce n’est donc pas un hasard si, immédiatement, l’association d’idées nous conduit à l’assimiler à Schwarzenegger et à titrer « I will be back ».
L’establishment, tout en jouant perpétuellement la comédie, n’aime pas les personnages de films hauts en couleurs comme Berlusconi. L’establishment est cool, il n’est pas hot. Il vit dans un monde aseptisé (en apparence). Il vit dans un monde d’alternances où l’on va du pareil au même, il vit dans le monde froid du mensonge. Il vit dans l’opacité. Dire la grisaille serait plus vrai.
Les gens comme Berlusconi sont hot, chauds ; on dit même que c’est un chaud lapin. Il aime les femmes, il est macho, il n’a pas beaucoup de sympathie pour les homosexuels, il emploie même à leur égard un vocabulaire que certains trouvent choquant. Attention, Berlusconi, ce n’est pas du DSK. Il aime le sexe, il ne s’en cache pas. Mais cela ne le plonge pas dans la culpabilité. Il y a une différence à notre avis entre les deux personnages. Berlusconi est entier, il n’est pas clivé, il n’y a pas un côté pile et un côté face. Etant entier et se montrant pour ce qu’il est, il n’est pas disqualifié pour exercer le pouvoir. Les gens qui ont deux faces, dont une honteuse et vicieuse, comme DSK, eux, se disqualifient.
Berlusconi nous fait aussi penser à Bernard Tapie, personnage hot, entier, truculent. Il y a du « parler vrai » chez ces gens-là, même si, finalement, ce sont de grands manipulateurs. Leur manipulation consiste précisément à pratiquer le « parler vrai ». C’est en pratiquant ce « parler vrai » que les populistes réussissent. Ce qu’ils disent résonnent dans la tête et dans le cœur des citoyens et pas seulement chez les plus primaires d’entre eux. Cette résonnance que quelqu’un, comme Le Pen, a admirablement travaillée fait d’eux des personnages sympathiques auxquels, à certains moments de sa vie ou dans certaines circonstances, on a plutôt envie de s’identifier. Particulièrement dans les moments où on en a marre, où on a envie d’éclater, de se laisser aller.
L’establishment vit sur une négation de l’humain, il vit sur l’a-sexuation, l’émasculation. Hélas le peuple sait que cela est mensonge et apparence et que, derrière, il y a des gens avec leurs faiblesses, leurs vices, leurs ambitions, leur volonté de puissance.
Grâce aux médias, et surtout grâce à la télévision, l’establishment généralement l’emporte sur les populistes. Tout se passe comme si les modèles affichés par les télés, tout en n’étant pas vraiment attirants, provoquaient une sorte de honte du populisme, une sorte de culpabilité, lesquelles conduiraient à ne pas oser donner aux populistes la responsabilité de la conduite des affaires. On ne comprend pas le populisme si on ne va pas voir ce qui se passe dans la tête et dans le cœur des gens. Si on n’admet pas, comme disait Le Pen, que les populistes disent tout haut ce que les gens pensent tout bas. Mais on ne comprend pas non plus le succès de l’establishment si on en démystifie pas la force des modèles médiatiques et la culpabilité, voire la honte, qu’ils sont capables d’instiller dans la tête des citoyens. Si on voulait pousser plus loin et plus profondément l’analyse, on arriverait certainement à des idées qui tournent autour des concepts de clivage, d’homme total, de rejet en l’homme de ce qu’il y a d’humain, etc. l’establishment veut un homme abstrait, les populistes l’acceptent en chair et en os. En chair et en os, mais aussi avec tout ce que l’on n’évoque normalement pas, le sang, le sexe, la sueur, les larmes.
Reconnaissez comme nous que Monti est le prototype de pantin de l’establishment.
Reconnaissez comme nous que Berlusconi est un modèle dans le genre populiste.
Ce n’est pas un hasard si Berlusconi triomphe en Italie. Il y a quelque chose de hot, de chaud, chez les Italiens. Et puis, Berlusconi a des télés, cela lui permet de travailler son image et surtout cela contrecarre, cela fait obstacle à la prégnance des images cool de l’establishment. Berlusconi n’est pas le seul populiste qui réussit en Italie, il y a aussi le nouveau rassemblement spontex de Bepe Grillo. Rassemblement spontex qui monte, qui monte.
Exit Monti donc. Il va partir au lendemain du passage de la loi budgétaire 2013/2015. En fait, Monti n’avait plus aucun choix puisqu’il n’avait plus aucun soutien.
On va donc vers de nouvelles élections anticipées. Anticipées de peu, puisque la date normale était prévue pour avril. Les élections doivent en effet avoir lieu entre 45 et 70 jours après la dissolution du Parlement. Cela nous mène autour de la mi-février.
Nous ne considérons pas que la donne soit bouleversée en Italie. Il y a longtemps que nous avons signalé la dégringolade de Monti et son absence de soutien aussi bien politique que médiatique et populaire. Ce qui était difficile à prévoir, c’était l’attitude de Berlusconi, car il faut bien reconnaître qu’il est un peu fantasque. Berlusconi, c’est : « un coup je te vois, un coup je ne te vois pas ».
Le plus important pour nous a toujours été l’absence de stabilité de l’Italie et l’absence de légitimité de tout pouvoir issu des urnes. Avec les élections anticipées, cela ne va pas s’améliorer. On parlait de changer la loi électorale. C’est maintenant impossible avec le nouveau calendrier. La situation politique italienne va donc rester ce qu’elle est, authentiquement instable, ingérable. C’est certainement cet aspect qui est fondamentalement le plus important. Et évidemment la finance n’aime pas cela, comme le montre la tension immédiate sur les taux de la dette italienne.
La question des alliances futures va évidemment être déterminante. Le retour de Berlusconi est « game changer » pour l’Europe. Nous pensons d’ailleurs que Berlusconi garde un chien de sa chienne à l’égard des élites européennes. En particulier, sur celle qu’il appelle la sinistre Merkel.
Berlusconi a développé un discours très anti-européen tout au long de ces dernières semaines et même un discours anti-euro. Il est contre l’austérité, il est anti-allemand. Compte tenu de son désir de vengeance après les humiliations qu’il a subies, on peut s’attendre à ce qu’il ne soit pas un partenaire facile si les élections lui permettent de jouer un rôle. Son partenaire habituel, la Ligue du Nord, défend des positions sur l’euro et l’Europe qui ne sont pas très différentes de celles de Berlusconi, mais, en plus, la Ligue du Nord a récemment réclamé l’organisation d’un référendum sur l’appartenance européenne.
Un référendum sur cette question, c’est la bombe atomique qui menace le fragile édifice européen. On se souvient de la panique de Sarkozy et Merkel quand le pouvoir grec d’alors avait évoqué cette menace de référendum.
Nous pensons qu’il faut s’attendre à un combat sanglant. Les élites européennes vont tout, mais absolument tout faire, pour s’opposer à un retour de Berlusconi. Toutes les armes seront utilisées, y compris les plus abjectes et les moins ragoutantes. La future campagne électorale italienne va constituer un test extraordinaire, et là, le mot extraordinaire doit être pris dans toute sa force, pour l’Europe. Pour les banques françaises, lesquelles ont quelques centaines de milliards de créances sur l’Italie.
Si le retour de ce bouffon antiUE est en apparence séduisant (il s’agit bien de l’anti UE qui est séduisant; pas le bouffon), je ne peux qu’espérer, si Monti ne se représente pas, que les italiens trouvent une autre solution afin d’éviter une descente aux enfers.