Exposé de Pierre Leconte du 11 décembre 2012 dans le cadre de la journée Valquant 2013 sur la conjoncture des investissements à Paris.
Préambule :
Depuis la Première Guerre Mondiale et la crise des années 1920, progressivement, les Etats ont aboli l’étalon-or et institué des politiques monétaires discrétionnaires qu’ils ont confiées aux banques centrales (faussement supposées indépendantes), tout en intervenant eux-mêmes de plus en plus directement au plan économique, en particulier au moyen de politiques keynésiennes d’endettement exponentiel et de politiques dirigistes de taxation massive des agents économiques (particuliers et entreprises), quand ils n’ont pas décidé de gérer directement la plupart des activités ressortant traditionnellement de la sphère privée et des mécanismes du marché libre. Tout cela dans le but proclamé de créer plus de croissance économique comme de mieux en répartir les fruits escomptés...
La réalité c’est que, quelle que soit la balance entre les degrés de collectivisme ou de libéralisme relatifs, atteints dans certains pays par rapport à d’autres, l’étatisation croissante de type socialiste des mécanismes monétaires et économiques a globalement échoué pour culminer actuellement dans une Crise Permanente à laquelle plus personne ne peut échapper.
Dans la mesure où la récession des économies occidentales, illustrée par le chômage de masse, la paupérisation croissante des peuples, la baisse de compétitivité des pays comme d’innovation des entreprises, la chute du pouvoir d’achat des monnaies fiduciaires de papier, la faillite des Etats et la ruine des banques centrales, fait tâche d’huile. Sans que les « pouvoirs publics » dominants ne puissent stopper puis renverser les dérives précitées qui se termineront nécessairement par une catastrophe planétaire économique, monétaire, sociale et politique puisque, plus leurs méthodes interventionnistes échouent, plus ils y recourent massivement! Nonobstant les libertés individuelles et collectives des populations qui sont de plus en plus broyées par les politiques de manipulation, d’autoritarisme et de répression que lesdits pouvoirs publics mettent partout en œuvre pour éviter le plus longtemps possible que le contrôle des sociétés civiles et des mécanismes sur lesquels elles reposent leur échappe. Tout cela étant pratiqué au nom de la supposée indispensable limitation du capitalisme de marché, alors que lui seul est capable de produire la croissance donc la richesse, ou de l’organisation supposée plus efficiente des pouvoirs publics, alors qu’ils ne sont que des monstres bureaucratiques devenus anachroniques à notre époque de circulation immédiate de l’information et de l’efficacité supérieure des structures décentralisées et participatives, tout en étant dorénavant les principaux obstacles à la réalisation de l’« Etat de droit » démocratique.
Certes, à d’autres époques dans les derniers siècles, il y a eu des crises - en particulier d’endettement - qui se résolvaient généralement assez vite par des révolutions ou des guerres. Mais elles ne furent jamais aussi globales et internationales, structurelles et systémiques, sans solutions de la part des dirigeants politiques presque tous enfermés dans la même « pensée unique » comme de nos jours, que la Crise Permanente actuelle qui dure en gros depuis les années 1970 (fin de la convertibilité partielle du dollar US en or et instauration des taux de change flottants entre monnaies fiduciaires de papier dirigées par les banques centrales) et s’est accélérée depuis l’année 2000 (éclatement progressif des bulles internet, immobilière et financière produites par le laxisme des banques centrales, la Federal Reserve US sous la conduite d’Alan Greenspan en particulier). Puisque, par exemple, au XIXe siècle, en dépit de révolutions et de guerres répétées, la croissance économique s’est régulièrement développée en raison de la stabilité monétaire (de 1803 à 1914 la valeur du franc-argent puis or dit « Germinal » n’a rigoureusement pas varié par rapport à celle de la livre sterling-or, l’autre monnaie principale de l’époque), de progrès scientifiques et techniques sans précédents issus d’initiatives privées, comme des développements du capitalisme de marché mondialisé partit de l’Europe à la conquête des autres continents (qui n’a rien à voir avec le « capitalisme d’Etat ou de connivence » d’aujourd’hui faussé par les manipulations monétaires et des marchés financiers ou les manœuvres protectionnistes de toutes sortes).
Contrairement à ce que répètent la plupart des responsables politiques pour justifier leur emprise croissante sur les mécanismes économiques et monétaires, l’insolvabilité globale actuelle des systèmes bancaires et monétaires ne tient pas aux excès supposés du libéralisme, alors même que ce sont l’étatisme et le socialisme rampant, sources de l’endettement abyssal et de la manipulation monétaire via les pratiques de Quantitative Easing, qui ont déclenché la crise et entretenu son mauvais traitement. Le libéralisme authentique n’étant en aucune façon la loi de jungle ou de l’état de nature parce que c’est, tout au contraire, depuis l’Ecole de Manchester et Adam Smith, l’effort visant à inventer des normes et des règles permettant de surmonter la lutte de tous contre tous.
Je me propose, en première partie de cet exposé, à la lumière de quelques citations d’économistes libéraux se situant généralement dans la ligne de la pensée économique dite « autrichienne » dans la mouvance de laquelle je me place à titre personnel, d’illustrer mes propos précédents et de vous laisser en conclure quels sont les désastres auxquels nous n’échapperons hélas pas. D’ailleurs, lisez « L’action humaine" de Ludwig von Mises et vous saurez exactement ce que nous réserve l’avenir si l’on ne procède pas immédiatement aux quelques réformes que j’évoquerai ensuite, dans la deuxième partie de ma présentation.
Première partie : le constat.
« Une monnaie de papier est une créance sur un inconnu, sur un pays ou sur un gouvernement, dont personne ne peut prévoir à l’avance les aventures politiques, sociales ou financières et les décisions arbitraires » (Charles Rist).
« Un gouvernement est la seule organisation capable de prendre une matière importante comme le papier, d’y mettre un peu d’encre dessus et de rendre le tout totalement sans valeur » (Ludwig von Mises).
« Il faudra bien que l’on comprenne que les tentatives d’abaisser artificiellement, par l’extension du crédit, le taux d’intérêt qui se forme librement sur le marché ne peuvent aboutir qu’à des résultats provisoires et que la reprise des affaires, qui intervient au début, sera forcément suivie d’une rechute profonde, laquelle se traduira par une stagnation complète de l’activité industrielle et commerciale… Un boom d’expansion du crédit doit inévitablement conduire à un processus que le discours commun appelle dépression… La dépression n’étant en fait qu’un processus de réajustement, de remise en ligne des activités de production avec l’état réel des données du marché… Toute tentative de substituer des moyens fiduciaires à des biens capitaux inexistants est vouée à l’échec… Il n’y a aucun moyen de soutenir un boom économique résultant de l’expansion à crédit. L’alternative est ou bien d’aboutir à une crise plus tôt par arrêt volontaire de la création monétaire, ou bien à une crise plus tard avec l’effondrement de la monnaie qui est en cause… Le résultat de l’expansion du crédit est un appauvrissement général » (Ludwig von Mises).
« Les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales » (Ludwig von Mises).
« La cause des vagues de chômage n’est pas le capitalisme, mais les gouvernements qui refusent à l’entreprise privée le droit de produire de la bonne monnaie… Nous n’aurons pas de monnaie honnête tant que d’autres que les gouvernements en fonction n’auront pas le droit d’en proposer de meilleure que celle de leur fabrication » (Friedrich von Hayek).
« L’ordre ne sera rétabli dans la vie économique que lorsque le désordre monétaire aura pris fin, grâce au retour de l’étalon-or » (Ludwig von Mises).
« Lorsque la monnaie cesse d’être un bien réel ou de se référer à une bien réel, elle devient un bon d’achat peu discernable du crédit » (Raymond Aron).
« Il n’y a que deux ‘‘politiques monétaires’’ possibles : celle qui ne veut pas avilir la monnaie et celle qui entraîne la baisse du pouvoir d’achat de l’unité monétaire… Recourir à l’inflation pour surmonter des difficultés passagères équivaut à brûler ses meubles pour se chauffer ! » (Ludwig von Mises).
« Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage » (Jacques Rueff).
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Deuxième partie : les réformes
La monnaie doit donc être gagée sur un actif-marchandise réel stable, dont le prix est déterminé une fois pour toute d’entente entre les principaux Etats ce qui permet l’instauration des taux de change fixes (éventuellement révisables en cas extrêmes), et librement convertible dans cet actif. Mais doit être aussi coupée de toute capacité des Etats ou des banques centrales d’en créer ex nihilo en excès par rapport au stock dudit actif détenu par eux, ce qui permet d’éviter les manipulations monétaires et l’inflation. A défaut, on doit permettre la création de monnaies privées librement utilisables par les agents économiques qui entreraient en compétition avec les monnaies fiduciaires étatiques actuelles, dont le cours forcé serait supprimé.
Il faut sortir au plus vite du modèle actuel de planification monétaire géré par les banques centrales qui, en se rajoutant à celui de planification économique depuis longtemps mis en place par les Etats, a pour effet de fausser l’information et les signaux que donne le marché libre et donc d’orienter les investisseurs et les entrepreneurs dans le « mal-investissement » généralisé, tout en les enlisant dans des secteurs économiques non rentables en faillite réelle ou virtuelle. Les banques centrales, en fixant la quantité de monnaie émise, la masse du crédit public ou privé, les taux d’intérêt voire les taux de change, alors que c’est à leurs utilisateurs de les déterminer par la confrontation de l’offre et de la demande, empêchent toute possibilité de sélection optimale des choix économiques ou d’investissement. D’où les phénomènes de mimétisme qui se terminent en krachs boursiers, obligataires ou monétaires.
Les Etats, quant à eux, en pratiquant le « too big to fail », se livrent à la socialisation des pertes qu’ils mettent à la charge de la collectivité comme à la privatisation des profits qu’ils attribuent à de petits groupes de manipulateurs-privilégiés sélectionnés par eux-mêmes, tout en empêchant la « destruction créatrice » dont Joseph Schumpeter a démontré qu’elle était indispensable à toute économie saine. D’où le maintien d’entreprises artificielles non rentables (en l’occurrence pour la plupart du temps des banques ou des firmes industrielles) qui finissent par ruiner leurs actionnaires, leurs clients et finalement l’ensemble des contribuables, selon le programme criminel d’« euthanasie des rentiers » que John Maynard Keynes entendait mettre en place.
On doit donc aussi instaurer la séparation complète des activités des banques de dépôts d’un côté et des banques commerciales ou d’affaires de l’autre, selon le modèle de l’ancien Glass Steagall Act en vigueur aux USA avant que le président Bill Clinton le supprime, ce qui aurait évité la création de tous les produits titrisés et la recapitalisation forcée des banques en faillite par les Etats ou les banques centrales, qui n’en avaient pas les moyens, à l’origine directe de la crise d’endettement actuelle.
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En conclusion, comme il est quasi certain que les Etats et les banques centrales ne mettront pas en œuvre les réformes qui s’imposent pour stabiliser le Système monétaire international actuel en bout de course (surtout quand la zone euro qui n’est pas viable dans sa forme actuelle – faute de fédéralisme fiscal intégral qui est impossible à mettre en œuvre puisque cela reviendrait pour ses Etats les plus riches à se ruiner eux-mêmes - viendra à imploser), la Crise Permanente pourrait évoluer en s’aggravant dans l’une des trois directions différentes possibles suivantes :
1/ L’accélération des pressions déflationnistes (du type Allemagne de l’année 1931),
2/ La fuite en avant vers l’hyper-inflation (du type Allemagne de Weimar en 1923 ou Argentine et Pérou en 1989),
3/ L’effondrement keynésien par extension indéfinie de la dette et de sa monétisation (du type Japon pendant la décennie 1990 jusqu’à nos jours).
Etant donné que les quantités extravagantes de monnaie créées ex nihilo par les banques centrales - comme en témoigne l’explosion un peu partout de la masse monétaire - n’entrent pas dans l’économie réelle ainsi que le démontre la double chute du multiplicateur de crédit et de la vitesse de circulation de la monnaie (les banques ne prêtant plus et les agents économiques n’empruntant plus), nous excluons à court terme la fuite en avant vers l’hyper-inflation, d’autant que la mondialisation, le chômage de masse et la récession globale continuent d’entretenir les pressions déflationnistes. Lesquelles ne devraient pas non plus s’aggraver dans la mesure où les dispositifs actuels d’austérité dits de rigueur dans un environnement récessionniste ne pourront pas être maintenus longtemps, sauf à provoquer des révoltes sociales et politiques en face desquelles les gouvernements occidentaux actuels abdiqueraient et/ou seraient remplacés par d’autres plus accommodants. Notre scénario, c’est l’effondrement keynésien, que Marc Faber a récemment décrit. Au terme duquel la dépression économique devrait faire s’effondrer progressivement les prix de la plupart des actifs de papier (monnaies fiduciaires, actions et obligations) au profit des actifs réels (immobilier et métaux précieux).
Ludwig von Mises, déjà cité précédemment, écrivait à ce propos « Le boom ne peut durer qu’aussi longtemps que l’expansion du crédit continue à un rythme toujours accéléré. Le boom prend fin aussitôt que des quantités supplémentaires de moyens fiduciaires ne sont plus jetées sur le marché de l’emprunt. Mais il ne pourrait pas durer éternellement, même si l’inflation et l’expansion du crédit devaient se poursuivre sans fin. Il rencontrerait alors les barrières qui empêchent l’expansion infinie du crédit de circulation. Il conduirait à l’explosion du boom et à l’effondrement du système monétaire tout entier… Si l’expansion du crédit n’est pas arrêtée à temps, le boom se transforme en un boom explosif, la fuite vers les valeurs réelles commence et la valeur de la monnaie s’effondre ». Voilà ce qui nous guette puisque la création monétaire ex nihilo par les banques centrales s’est enlisée dans la « trappe à liquidités », dont on ne pourra sortir que par la liquidation de tous les mécanismes et institutions en faillite réelle ou virtuelle que les pouvoirs publics s’acharnent vainement à maintenir en respiration artificielle!
De telle sorte que les détenteurs de capitaux n’ont plus qu’une seule porte de sortie - pour se protéger de l’effondrement keynésien - qui consiste à acheter les métaux précieux (l’argent-métal surtout parce que sous-évalué par rapport à l’or et parce que sa remonétisation est à terme inévitable), même si tout est actuellement mis en œuvre par lesdits pouvoirs publics pour prévenir le plus longtemps possible leur hausse inexorable. Cependant, l’histoire montre que l’or et l’argent-métal ne montent que lorsque la monnaie dans laquelle on les exprime baisse, dans la mesure où ils constituent le seul actif alternatif à la dévaluation de la monnaie fiduciaire de papier. Ce qui signifie qu’une forte hausse du dollar US toujours possible, du fait de l’implosion de l’euro par exemple, pourrait les faire encore baisser avant qu’ils trouvent des niveaux de supports incompressibles que j’établis au pire vers 1.200-1.300 et 16-18 dollars US l’once sur l’or et l’argent-métal respectivement (tout simplement puisqu’il s’agit des coûts finaux moyens de tout le processus d’extraction, de raffinage, de transport et d’assurance en dessous desquels les produire n’est plus rentable). Ce qui ne veut pas dire qu’il faille attendre ces niveaux pour les acheter mais seulement être conscient qu’ils peuvent les atteindre en cas extrême.
Pierre Leconte, économiste, président du Forum monétaire de Genève, gérant de portefeuilles en Suisse.
www.forum-monetaire.com
Voir encore:
Marc Faber Says We Are Marching Toward a Keynesian Economic Disaster “The Chinese Economy Could Crash.”
Et vous, qu'en pensez vous ?