Le long tunnel de la fonction publique

Jean Romain
Jean Romain
Ecrivain, philosophe, député PLR GC Genève

Bien des gens ont perdu leur confiance en l’Etat, un Etat incapable d’assurer la sécurité des citoyens; un Etat qui a renoncé à instruire chaque élève avec un peu de rigueur ; un Etat impuissant à assurer une circulation acceptable ; un Etat qui ne parvient pas à construire les logements dont il a besoin.

A Genève, la situation de la fonction publique est très délicate. En effet, plusieurs facteurs convergent sur cette fonction publique et la mettent à mal, à telle enseigne qu’après la modeste démonstration de force de la semaine passée, elle a décidé de faire la grève le 6 décembre pour réagir à ce qu’elle estime des attaques. A mes yeux, elle a tort de faire la grève mais elle est bel et bien en butte à une série de remises en question fortes et dont certaines sont de nature à mettre en péril – en ce qui concerne l’école particulièrement – la vision que nous avons de la république.

Retraites

Tout d’abord, c’est la fusion des caisses de pension, fusion négociée afin d’honorer l’obligation confédérale de couvrir les assurés, et fusion votée par le Grand Conseil il y a quelques mois, qui diminuera la rente des futurs pensionnés tout en les obligeant à travailler plus d’années. C’est ce vote qui a mis le feu aux poudres. Les parlementaires socialistes se sont battus honnêtement pour défendre leurs idées ; ils ont majoritairement refusé en plénière de soutenir cette fusion sur des points annexes, tout en admettant, avec d’autres députés, que c’était la moins mauvaise solution. On ne choisissait pas entre un bien et un mal, mais entre un mal et un moindre mal. Or ce vote a été contesté par un référendum malvenu provenant de l’extrême-gauche et soutenu par une partie de la droite dure. On votera le 3 mars 2013 puisqu’il a abouti. Mais là, les choses ont changé de nature ; et le risque, de degré. En effet, si la fusion est refusée le 3 mars, c’est la Confédération qui viendra, dès 2014, mettre son nez dans nos affaires cantonales, et un scénario catastrophe pourrait bien de voir le jour. Ce serait alors la fin de l’école publique telle que nous la concevons actuellement. Le mot d’ordre ne serait plus « Refaire l’école » mais « Sauver l’école » ! Il faut cependant souligner que l’ensemble des députés défend l’école publique même s’ils trouvent qu’elle a souvent oublié sa mission, qu’elle n’est pas assez exigeante ; ces députés, s’ils ne connaissent pas dans le détail le travail des professeurs, savent néanmoins ce que représentent les « hussards noirs de la République » dont parlait Jules Ferry.

Economies budgétaires

Ensuite, le budget 2013 déficitaire, refusé par le Parlement genevois, nécessite des économies importantes pour être accepté. Des pistes ont été avancées pour diminuer les dépenses de l’État, qui vont toutes dans la même direction : augmenter la productivité de la fonction publique. Derrière les mots, il y a des implications : une diminution des postes de fonctionnaires, donc des salaires à verser. Faut-il les diminuer un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ? On va en discuter, mais ce qui est certain c’est que « pas du tout » n’est pas envisageable.

Après les retraites mises à mal, ces mesures d’économie sont une deuxième remise en question de la fonction publique. Elles viennent souffler un vent froid sur des gens qui font correctement leur travail et qui sont, dans leur immense majorité, d’honnêtes serviteurs de l’État.

Désamour

De plus, à Genève, est née une sorte de désamour entre le peuple et sa fonction publique. Ce désamour se repère dans des formules du genre « tous des planqués, ces fonctionnaires ». C’est une erreur. L'Etat ne peut remplir ses missions régaliennes sans la fonction publique, mais il est vrai que les citoyens sont en butte à de consternants constats quotidiens. Bien des gens ont perdu leur confiance en l’Etat, un Etat incapable d’assurer la sécurité des citoyens ; un Etat qui a renoncé à instruire chaque élève avec un peu de rigueur ; un Etat impuissant à assurer une circulation acceptable ; un Etat qui ne parvient pas à construire les logements dont il a besoin ; un Etat dont le système informatique est plus que déficient ; un Etat dont les prisons débordent ; un Etat dont la Cour des Comptes est le lieu de règlements de comptes ; un Etat où son Grand Conseil se jette des verres d’eau à la figure ; un Etat où le manque de crèches est chronique ; un Etat où les projets enthousiasmants sont au point mort ; un Etat dont la dette est faramineuse ; un Etat qui ne privilégie pas ses propres ressortissants pour les mettre aux postes clés ; un Etat… Chacun peu ajouter un élément à la liste. Exagéré, ce portrait ? Sans doute. Mais il est des partis politiques qui se nourrissent de cette exagération et qui ont intérêt à que le débat vire à la confrontation, qui fait tout pour cela, c’est le MCG. Depuis sa création, ce parti fonde sa légitimité sur le malaise politique et social : plus Genève ira mal, plus il aimantera sur lui les voix des mécontents. Et à Genève, il y en a des mécontents. C’est dans ce contexte tendu que tout le monde connaît, que le MCG joue son rôle de catalyseur : il transforme le râleur ordinaire en indigné systématique.

Alors les syndicats de la fonction publique se mettent en grève le 6 décembre prochain pour s’opposer à l’austérité qui s’annonce. Ils prennent un risque majeur dans la situation décrite plus haut. C’est celui du résultat du 3 mars 2013. Ce jour-là, devant l’urne, il n’y aura pas de miracle mais seulement des citoyens qui se souviendront. Accepteront-ils, ces contribuables, d’endetter l’État durant des décennies pour sauver les retraites d’une fonction public qui, gréviste, apparaît, à tort ou à raison, sous un jour peu rassurant ?

Jean Romain

2 commentaires

  1. Posté par Jean Romain le

    Il me semble que mon analyse dit assez que la fonction publique est inflationnaire, qu’il lui faut maigrir et augmenter son rendement, mais pour le dire, je ne suis pas d’accord de jeter sur elle le dicrédit.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Monsieur Romain, j’apprécie vos prises de position. Mais, en cette occurence, je vous désaprouve. Je ne saurais nier l’utilité de la fonction publique. Mais vous la louez sans évoquer le dépassement de bornes, qui ne lui sont pas imputables j’en convient! Que dire d’une “focntion publique” qui fait fermer une boutique pour défaut d’affichage des prix en vitrine? Qui trace des marques rouges sur le sol pour limiter les terrasses de bistrots! Qui contrôle tout! Jusqu’à la moindre barière dans un immeuble! Qui édicte des règles pour définir une porte à fermeture automatique séparant une zone fumeur! C’est délirant! C’est Genève! Une nursery! Un enfer! Pas une semaine ne passe sans qu’une Genevoiserie ne heurte mon intelligence! Les enfants dont je suis père sont âgés de trentes ans. Quand ils me parlent de l’école de leur temps je suis effaré! Je savais que ce n’était pas de la tarte, mais je n’aurais pas imaginé à ce point! J’ai dévié sur l’école mais je reviens à l’administration! Une administration tentaculaire qui se mêle de tout, à l’injonction des petits chou-choux à leur mamy que les vélos gênent! Piteuse république! Lamentable et pathétique! Et pourtant! L’eau coule du robinet! Même si j’ai mauvaise conscience de pomper celle de l’Afrique en me rinçant les dents! Compenez-vous, Jean, où je veux en venir?

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